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Omar Raddad : quand la défense de rupture fonctionne

Publié le 24 juin 2011 par Copeau @Contrepoints

JusticeOmar m’a tuer. Le nouveau film de Roschdy Zem relance sans surprise les débats sur l’innocence du jardinier le plus célèbre de France. La justice a condamné celui-ci et a refusé la révision avec une argumentation appuyée (demande de révision car l’appel n’était pas à l’époque intégré dans la procédure des assises), néanmoins l’opinion publique croit majoritairement à l’innocence en dépit de ces décisions, de preuves et d’un mobile.

Nous ne ferons pas la critique d’un film que nous n’avons pas vu. Ce qui apparaît intéressant dans l’affaire Omar Raddad, c’est le succès d’une stratégie de rupture, ce qui sera donc le sujet de cet article.

Rendue célèbre par Me Jacques Vergès, rarement formalisée, la défense de rupture se définit comme la stratégie judiciaire consistant à jouer l’opinion publique contre l’institution de la justice.

Elle a été employée avec le plus de brio dans l’affaire Omar Raddad. Celui-ci était condamné par la justice pour le meurtre de sa cliente, qui avait écrit de son sang « Omar m’a tuer », sur un mur, dans une pièce barricadée de l’intérieur. Un drame digne d’un polar mais sans grand mystère. L’affaire était pliée lorsque, à la fin du procès, l’avocat de l’inculpé, Me Vergès, prenait les journalistes à témoin et s’exclamait : « Il y a 100 ans on condamnait un officier car il avait le tort d’être juif, aujourd’hui on condamne un jardinier car il a le tort d’être maghrébin. »

Ce faisant il discréditait l’accusation comme raciste et parvenait à atteindre les préjugés de l’opinion publique, flattée de pouvoir prendre la cause d’une erreur judiciaire motivée par le racisme. Évidemment le procès était perdu mais le pouvoir politique devait intervenir pour satisfaire l’opinion et gracier partiellement le condamné.

Chapeau l’artiste. Pour cette fois-ci du moins car la plupart du temps la défense de rupture assure la condamnation du mis en examen sans grâce au bout de la route.

Plus récemment un autre inculpé célèbre a pratiqué une stratégie de la rupture : Yvan Colonna. Ses avocats dénoncent continuellement l’honnêteté de la procédure, font preuve à l’audience d’un comportement extrêmement désagréable. Ils s’adressent aux journalistes et non au tribunal car ils cherchent à toucher l’opinion publique, à la flatter cette fois sur l’air de « moi on ne me la fait pas. » Ils claquent finalement la porte, de façon à imputer la condamnation de Colonna non pas à sa culpabilité mais à la volonté arbitraire d’une cour illégitime. L’avocat général de l’affaire, Jean-Jacques Krauss, a raconté les artifices employés par la défense.

L’optique est différente de l’affaire précédente : pour l’inculpé il ne s’agit pas tant de se ménager une grâce présidentielle future que de chercher à affaiblir l’État en discréditant sa justice comme politique. En quelque sorte et dans cette espèce la défense de rupture est la poursuite du terrorisme par d’autres moyens.

Une dernière affaire, plus récente encore, semble exposer une dernière stratégie de rupture : la défense de Dominique de Villepin dans le procès dit de l’affaire Clearstream. Me Thierry Herzog compare la défense de l’ancien premier ministre à la stratégie de Colonna. Cf Lemonde.fr : Pour Thierry Herzog, le mode de défense de Dominique de Villepin consiste à « imiter procéduralement Yvan Colonna ».

De fait, Villepin cherche à faire apparaître sa présence devant la Cour d’assise comme un procès politique, produit de la volonté de son ennemi politique devenu président et d’une justice aux ordres. Le socialiste Montebourg avait d’ailleurs immédiatement embrayé sur une présentation aussi agréable.

Évidemment il n’y a aucune preuve mais le discours de rupture, comme dans les affaires précédentes, vise les passions et les préjugés de l’opinion publique. Alors que des accusations irréfutables devraient être tenues pour fausses, le soupçon entourant l’action de Nicolas Sarkozy transfigure le discours de Villepin et lui prête les vertus du courage, de l’honnêteté, du sacrifice.

Contrairement à Colonna, qui s’attendait à la peine maximale et n’avait rien à perdre, Villepin – qu’on me pardonne le rapprochement – estime probable au final une faible condamnation – n’étant là que pour des infractions commises essentiellement par abstention – et a donc tout à gagner à l’exposition médiatique qui peut le remettre en selle.

En effet la stratégie des outsiders de droite c’est de compter sur un effondrement de Sarkozy. Si un Villepin ou un Bayrou parvient à se hisser au second tour, il a ses chances de victoire en capitalisant sur l’antisarkozysme. Villepin a dès lors tout intérêt à profiter au maximum de l’opportunité que le Président lui sert.

Finalité variable, stratégie constante : la défense de rupture est négation des institutions, éloge du soupçon, flatterie de l’opinion.


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