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Plaidoyer pour un martyr ?

Par Borokoff

A propos d’Omar m’a tuer de Roschdy Zem 4.5 out of 5 stars

Sami Bouajila - Omar m'a tuer de Roschdy Zem - Borokoff / Blog de critique cinéma

Sami Bouajila

En 1994, Omar Raddad est condamné à 18 ans de réclusion pour le meurtre, trois ans plus tôt, de Ghislaine Marchal chez qui il travaillait comme jardinier. Partiellement gracié en 1996 par Jacques Chirac, Omar Raddad s’est toujours vu refuser les moyens juridiques de prouver son innocence. Vingt ans après les faits, l’acteur et réalisateur Roschdy Zem s’est emparé de l’histoire pour livrer un plaidoyer sensible et poignant sur un homme « condamné d’avance ».

Second film de Roschdy Zem après Mauvaise foi (2006), Omar m’a tuer revient sur un fait divers qui avait occupé le devant des scènes médiatique et politique au début des années 1991 : le meurtre de Ghislaine Marchal dans les Alpes-Maritimes, une riche veuve de 65 ans retrouvée criblée de coups de couteau dans la cave de sa demeure.

Très vite, les soupçons se portèrent sur Omar Raddad, le jardinier d’origine marocaine de Madame Marchal. Parce qu’il avait l’air très calme voire froid, parce qu’il ne parlait ni ne comprenait très bien le français, les policiers eurent vite fait de l’accuser du meurtre d’autant qu’Omar aimant jouer au casino, empruntait souvent de l’argent à Madame Marchal. Ce qui pouvait expliquer son geste…

Sami Bouajila - Omar m'a tuer de Roschdy Zem - Borokoff / Blog de critique cinéma

Mais on ne retrouva aucune trace de sang sur les vêtements du jardinier ni de traces d’ADN sur les lieux du crime. De plus, le corps de Madame Marchal fut incinéré au bout d’une semaine, ce qui empêcha l’autopsie. Premiers éléments troublants.

Proche d’un style documentaire, très bien renseigné sur l’affaire, Omar m’a tuer démonte une à une les accusations qui permirent d’inculper Omar Raddad, « reubeu de service » par excellence dans une affaire où les enquêteurs n’avaient aucune piste, à part la « pseudo » accusation de la victime qui aurait écrit le nom d’Omar avec son sang sur un mur.

Jean-Marie Rouart fut un des seuls à croire à l’innocence de Raddad. Cet écrivain et journaliste du Figaro (dont il sera viré) est joué par Podalydès, alias Pierre-Emmanuel Vaugrenard dans le film. Dandy parisien et sorte de Zola des années 1990, Vaugrenard constitue un contrepoint comique au drame vécu par Raddad, et une bouffée d’oxygène dans le film. Rouart joua un rôle primordial dans la libération de Raddad, tout comme son avocat de l’époque, un certain… Jacques Vergès (Maurice Benichou).

Denis Podalydès - Omar m'a tuer de Roschdy Zem - Borokoff / Blog de critique cinéma

Denis Podalydès

Peu à peu, Zem parvient à semer le doute dans l’esprit du spectateur. Parce que le dossier des charges contre Raddad pèse si léger qu’on se demande comment la justice a pu mettre en prison un homme sans preuve tangible.

Mais Roschdy Zem n’assène pas un message politique ni ne milite avec de gros sabots. Il ne défend pas non plus la thèse de l’Arabe opprimé contre une justice et une police françaises racistes.

Non, il avance beaucoup plus subtilement, rationnellement. En démontant une à une les pièces à charge du dossier et d’un procès en forme de simulacre. Grotesque notamment, les médecins légistes changent systématiquement la date supposée du décès. Démontrant que l’affaire fut non seulement bâclée mais qu’elle révèle des manquements graves pour la justice, qui refuse toujours à ce jour de rejuger Raddad et l’innocenter définitivement alors qu’en 1998, sur demande de Maitre Vergès, des expertises scientifiques ont révélé sur les lieux du crime la présence de deux ADN masculins différents de celui de Raddad.

Sami Bouajila - Omar m'a tuer de Roschdy Zem - Borokoff / Blog de critique cinéma

Là encore, la grande force du film réside dans la sobriété de la mise en scène, la simplicité des moyens filmiques : plans fixes pour filmer Rouart, caméra à l’épaule pour suivre Raddad et traduire à la fois sa souffrance et son agitation, son émoi et sa confusion.

Evitant le piège du misérabilisme, de la commisération, Omar m’a tuer est un film à la fois documentaire et construit comme un drame intimiste, une tragédie vécue de l’intérieur par Raddad, incarné par un extraordinaire Sami Bouajila, qui tient là son meilleur rôle sans doute. Tour à tour pudique et poignant, fier et infiniment touché dans sa chair, cet Omar Raddad finit par émouvoir littéralement jusqu’aux larmes. A défaut de ne jamais savoir qui a vraiment tué Ghislaine Marchal…

www.youtube.com/watch?v=1OPgPK6CZiY

Film français de Roschdy Zem avec Sami Bouajila, Denis Podalydès, Maurice Bénichou. (1 h 25.)

Scénario : 5 out of 5 stars

Mise en scène : 4 out of 5 stars

Acteurs : 5 out of 5 stars

Dialogues : 4 out of 5 stars


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