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Bonheurs d'Olivier Larizza, de Jean-Paul Klée (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

 
Klee La surprenante, et enthousiasmante, et roborative, donc bienfaisante, force de la poésie de Jean-Paul Klée, en quarante et une années de (peu) de publications, tient de ce qu’elle transforme les faiblesses du lyrisme mal vieilli d’aujourd’hui en puissance (faiblesses exacerbées par maintien d’une tradition passéiste dans lequel il y a auto-complaisance et refus du renouvellement voire de l’expérimental lyrique et sans conteste rejet de l’expérimental, quand bien même le lyrisme se déclarerait-il, par la voix de quelques poètes, critique). En effet, quoi qu’un sujet écrivant s’expose totalement, se projette, s’évoque, invoque les muses (et, dirons-nous, une muse masculine, Olivier Larizza), évoque son âme, se raconte, s’amplifie, s’élève, se célèbre, parfois retombe douloureusement, s’enthousiasme, s’exalte, brûle d’ardente flamme, s’assimile à de la divinité, fait « je » de tout bois, un charme cérébral opère, pour ce que le lecteur se retrouve en situation, selon l’expression de Paul Valéry, de « fête de l’Intellect », sollicité, pourra-t-il se sentir, dans un emportement fait d’une volonté d’écriture qui recouvre le sombre et mène au-delà de la petite personne pourvue de sa complaisante petite personne, par dépassement généreux du « moi-je » en « nous-autres » dans la langue : la poésie de Jean-Paul Klée est langue : langue fluviale, volumineuse, généreuse, travail avec la langue, non pas contre ou sur, mais avec ; charriant histoire littéraire (on reconnaîtra des faires façon d’Aubigné, Chassignet, Flaubert, Queneau, Cliff, et, au risque de faire tiquer, et l’auteur lui-même, en rapprochant des extrêmes, une façon Denis Roche n’est point bien loin, et bien d’autres encore, car la poésie de Jean-Paul Klée est innutritive : se nourrit à la source livresque pour amplifier le fleuve verbal nutritif), charriant encore l’histoire de la langue française, la graphie étant parfois réminiscence médiévale assaisonnée à la graphie de la Renaissance (thrésor, hyver, &) et à la graphie (et/ou langue) allemande (ü) et à de l’ancienne prosodie (encor), le tout dans une fête typographique ( ? ! …*), en cela, dans le débordement de langue, le poème déborde le sujet, surpasse le narcissisme, s’ouvre entièrement à l’autre et aux autres, et c’est une prise de risque. On reconnaîtra alors et avancera un mélange de mysticisme, de maniérisme, d’élégie, de réalisme, de romantisme, de précieux, de libertin, qui donne un coulé de vers, un rythme et une estimation de la vie contre la mort qu’on peut considérer constitutifs d’un baroque moderne. Son écriture se distingue de suite visuellement. Et ce travail est une métamorphose du « faire » étymologique du poème en « fer » (« …Quel/espoir ni calendrier j’a/vance pas il faudrait le/bulldozer d’une réforme qui/pour de bon changera les/structures de ma vie:/Fer cela quinze jours sans m’a/rrêter d’y travailler nuit &/jour… »),  autrement dit, du « fait » en « fée » (« ça ne fée rien », « Et repassant à l’Opéra j’ai eü/la lüne qui dans le ciel s’est tout à fée/arrondie !... »). N’oublions pas ce qui fait l’argument et la raison de ce livre : depuis 2000, Jean-Paul Klée écrit quotidiennement un ou deux poèmes, sinon plus, dédiés à son amitié pour d’Olivier Larizza, jeune écrivain strabourgeois ; inépuisablement. La somme, ce jour d’huy, est conséquente, plus de huit mille pages la constitue, ainsi comme un vaste journal intime en poèmes. C’est pourquoi, fort courageusement, Cécile Odartchenko, prise d’amour pour la poésie de Jean-Paul Klée, a créé, à l’enseigne des éditions qu’elle anime, les Éditions des Vanneaux, les Cahiers Jean-Paul Klée, dans le dessein d’éditer la totalité de cette danse verbale.  
 
 
[Jean-Pascal Dubost ]
 
Jean-Paul Klée 
Bonheurs d’Oliver Larizza 
Cahiers Jean-Paul Klée n°1 
Éditions des Vanneaux 
242 p., 17 € 


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