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Transhumance dans les Andes

Publié le 29 juin 2011 par Calamitysuz

Entre condors et pampa, à cheval sur la cordillère argentine pour le convoyage le plus fou qui puisse exister : le rassemblement et déplacement d'un troupeau composé de vaches, juments et chèvres.

A 2600 mètres d'altitude les plateaux et vallées des Andes offrent l'espace et l'herbe nécessaires à l'élevage de troupeaux de bétail. Mais quand vient l'hiver, la rigueur du climat oblige les propriétaires à déplacer leur animaux pour des cieux plus cléments, en l'occurrence ceux de la pampa, 1500 mètres plus bas. Notre petit groupe de français a eu la chance de pouvoir partager cette expérience hors du temps au sein d'une famille authentique, où le sens de l'accueil n'est pas un vain mot.

Avril 2006, l'automne ne semble pas pressé de s'installer sur l'ouest argentin. Bien que les nuits soient déjà glaciales, les températures dans la journée avoisinent les 25°C. Après le froid parisien, la douceur de Mendoza nous envahit dès l'arrivée à l'aéroport. Quelques heures de route nous permettront de faire connaissance et une bonne nuit de repos de nous remettre du voyage.

Lundi matin tout le monde est prêt pour le petit déjeuner bien avant l'heure convenue, nous sommes impatients de partir, même si dehors le jour, lui, n'est pas encore levé. Moins d'une heure plus tard nous sommes tous à bord du minibus qui nous conduit jusqu'au puesto de Nivaldo et sa famille. Le puesto est l'estive, la maison où la famille vit d'octobre à avril pendant que les bêtes paissent dans la montagne. Il est temps de rassembler les animaux pour repartir vers la maison se trouvant à une soixantaine de kilomètres de là. Nous faisons connaissance avec nos hôtes, Nivaldo, son épouse et leurs deux garçons ravis d'accueillir ces étranges français curieux de découvrir leur vie. Dans le corral nos montures nous attendent. Des criollos, des chevaux de la montagne, au pied sûr, qui n'ont peur de rien et dont l'endurance est à toute épreuve. Première surprise pour les habitués des clubs que nous sommes : certains chevaux n'ont pas de nom. Tout simplement car ils font partie de l'élevage, destinés à la vente ou à la reproduction, ils font partie du troupeau, tout comme les vaches ou les chèvres, ce qui ne les empêche bien évidemment pas d'être dressés et ferrés.

Nous partons avec Alexis, le fils aîné de Nivaldo, et Mario, notre accompagnateur local. Prix (modeste) à payer pour partager la vie de fermiers locaux : personne ne parle autre chose que l'espagnol. L'accompagnateur de l'Agence du Voyage à Cheval est là pour assurer la traduction et permettre les échanges. Le ciel est d'un bleu limpide et les vestes attachées sur nos fontes, rendues inutiles par la douceur de l'air. Nous nous acclimatons assez rapidement à ces selles étranges où l'entassement des peaux de moutons nous donne l'impression d'être très loin de notre cheval. Très vite pourtant nous nous y sentirons parfaitement à notre aise. D'ici la fin de la semaine nous conviendrons même que leur confort est inégalable. Etudiées pour le travail, ces selles sont avant tout confortables et malgré les journées parfois longues, jamais nous ne ressentirons de douleurs ou de courbatures.

Sous le regard des condors

Le programme de la journée consiste à rassembler les vaches et chèvres dispersées dans la montagne. Nous scrutons l'horizon à la recherche de bêtes invisibles. Heureusement Alexis sait où chercher. Il a surtout des yeux de lynx, repérant des chèvres où nous ne voyons que de vagues taches ou souriant quand les vaches que nous croyons voir ne sont en fait que des rochers… Grimpant une pente improbable nous arrivons sur un plateau et restons ébahis quand un condor nous survole, à moins de 10 mètres d'altitude, assez prêt pour que nous puissions voir ses yeux et sa collerette blanche. Impressionnant de majesté.

Bientôt, enfin, nous apercevons nos premières vaches. Nous nous séparons en fonction des besoins, essayant de regrouper au mieux les animaux et les diriger vers la plaine signalée par Alexis. L'hiver a été très humide et l'herbe est d'un vert tendre stupéfiant. Les vaches n'ont aucune envie d'abandonner ces pâturages et il nous faut parfois insister pour les déloger. Les chiens sont partout et font leur travail bien mieux que nous…

Les repas sont un moment important de la journée pour les argentins, d'ailleurs avec le goûter nous ferons généralement quatre repas par jour. Aujourd'hui, on nous a prévu de l'asado, de la viande grillée, de chèvre et de bœuf. Cuite lentement à la chaleur des braises, la viande reste tendre et juteuse ; un vrai régal, que nous dégustons debout ou étendus sur les peaux de moutons de nos selles. L'après-midi sera mis à profit pour rassembler les chèvres et les descendre avec les vaches vers le puesto, dans la lumière rasante du coucher du soleil.

Abandonnant nos montures à un repos bien mérité, nous reprenons la route vers notre auberge. Une journée au grand air et les restes du décalage horaire ne nous pousseront pas à veiller tard. Les douches et les lits seront les bienvenus pour se préparer au lendemain.

Arrivés au puesto, Nivaldo nous annonce que nous devons repartir dans la montagne : le comptage a montré qu'il nous manque des vaches. Nous procéderons ensuite à leur marquage dans l'après-midi. Mario nous confie à Alexis pour rester préparer sa spécialité culinaire et nous voilà repartis dans la montagne où nous ferons chou blanc côté vaches, mais bénéficierons d'une expérience unique. Aux abords d'un ruisseau nous croisons un groupe de juments, Alexis demande des volontaires pour les conduire jusqu'au puesto. Sa demande rencontre forcément du succès et c'est le sourire aux lèvres qu'un premier groupe nous abandonne pour mener, seuls, les juments à bon port.

A présent moins nombreux, nous nous éloignons dans la montagne à la recherche des vaches manquantes. Alexis commence à soupçonner que celles-ci, ayant compris ce qui les attend, n'aient déjà pris le chemin du convoyage toutes seules, nous les retrouverons lors de notre progression. Mais une autre surprise nous attend... Alors que nous partions récupérer un deuxième groupe de juments, nous apercevons au haut d'une montagne un troupeau de chèvres. Nous voilà, Bertrand et moi, investis de la lourde tâche de ramener les juments jusqu'au puesto tandis qu'Alexis ira déloger les chèvres pour les descendre au puesto. Il nous faudra près de deux heures pour accomplir cette mission avec un sentiment de responsabilité et de liberté comme j'en ai rarement connu ; seuls avec une vingtaine de chevaux avec pour toute indication de route de descendre vers la vallée. Tout simplement inimaginable. Après un déjeuner tardif (Bertrand et moi sommes arrivés au puesto vers 15h00) nous aidons Alexis et son frère Leo à sortir les bêtes du corral et les faire boire, puis assisterons à une séance de marquage où des amis sont venus prêter main forte. Le travail se fait dans les rires et les démonstrations de technique de lasso, au milieu de la poussière, de la fumée des cuirs brûlés, des aboiements des chiens et toujours ce soleil étincelant de la montagne.

Nivaldo et Gladys nous ont proposé de rester dîner avec eux, au puesto. Allongés autour du feu sur nos peaux de mouton, nous surveillons la viande qui grille (les chiens ne sont pas loin) et entonnons quelques refrains. Bientôt les accords des guitares arrivent à nos oreilles, Nivaldo et son beau frère ont improvisé un concert privé. Hésitant à interrompre ce cercle familial, nous sommes accueillis avec le sourire et bientôt les femmes présentes sont invitées à danser au son des ballades traditionnelles de la région. Nous passerons une soirée inoubliable, admis dans le cadre intimiste d'une simple soirée familiale.

Nous voilà "reseros"

Le convoyage à proprement parler commence aujourd'hui. Nous voilà devenus "reseros", ces hommes qui conduisent les troupeaux. La matinée est mise à profit pour permettre au bétail de se nourrir et de s'abreuver avant d'attaquer la longue piste qui nous mènera jusqu'au premier bivouac. L'occasion de profiter d'un instant de tranquillité et de se faire plaisir avec quelques galops dans la vallée. Il nous suffit juste de surveiller les bêtes afin qu'elles ne partent pas soit dans la vallée, soit remontent dans la montagne.

Sous les sifflements des hommes, les aboiements des chiens et les meuglements des vaches le groupe se met en route. Une attention de tous les instants s'avère nécessaire le temps de conduire le troupeau jusqu'à la piste, puis encadrés par la rivière d'un côté et la montagne de l'autre il nous suffira de surveiller les bêtes : pousser les animaux les plus lents, escalader une pente pour faire redescendre une vache intrépide ou installer un veau de quelques jours en travers d'une selle pour le ménager. C'est l'occasion de discuter, de profiter du paysage pendant quelques heures avant d'être à nouveau plus actifs à l'approche de la vallée et du corral où les animaux seront parqués pour la nuit. Une course poursuite s'engagera avec un veau récalcitrant à travers le campement, sous les cris et les rires quand il se prendra les pieds dans les tendeurs de l'une des tentes. Nos chevaux sont laissés en liberté pour qu'ils se nourrissent et s'abreuvent ; seuls deux des animaux seront "maneados" (entravés), des menottes de cuir attachées à leurs antérieurs leur permettent de se déplacer pour manger mais pas de s'enfuir. On les utilisera si nécessaire le lendemain pour aller récupérer les chevaux qui se seraient un peu trop éloignés.

Mario a installé le campement ; le confort est succinct mais un tuyau a été prévu afin de canaliser l'eau d'une source et il y a même des arbres (ce qui n'est pas une mince affaire dans cette région : tous les arbres que l'on peut voir ont été plantés par l'homme, la région est désertique, ils ne poussent pas naturellement). Il nous suggère d'installer nos affaires avant la tombée de la nuit et, pour ceux qui choisissent de dormir à la belle étoile, nous indique les meilleurs endroits. "Votre tête dans cette direction. A quatre heure du matin vous verrez se lever Alpha du Centaure grande comme ça" (en nous signalant la taille d'un ballon de foot…). Après le dîner Mario s'improvise DJ en allumant le lecteur CD du minibus et nous voilà partis à danser à côté du feu. Puis pour notre plus grand bonheur, il sortira sa guitare pour nous régaler des mélodies de la région. Le crépitement du bivouac et la douceur de ces instants magiques où l'espace de quelques heures le monde disparaît pour ne faire place qu'à la chaleur de l'amitié.

Le lendemain nous serons debout de bonne heure, la nuit a été fraîche, le parfum des flammes nous invite à aller nous réchauffer. Nous prenons notre temps profitant du lever du soleil et les garçons entament même une partie de fer à cheval. Ayant récupéré et sellé nos chevaux, nous faisons traverser la petite rivière au bétail et reprenons la route à travers les montagnes. Ca monte, ça descend, ça remonte, ça redescend, ça zigzague. Il nous faut suivre le chemin à travers les monts et les vallées pour arriver aux lagunes. Un troupeau à proximité nous obligera à faire un déjeuner rapide sous peine de voir les animaux se mélanger. Mario a le temps de débusquer un ñandu, cette autruche sud-américaine qui court encore dans les collines. Alexis et Leo ont fort à faire avec les juments qui ne cessent de s'éloigner ; nous restons seuls avec les vaches, obligés de surveiller chaque buisson : les veaux les plus jeunes sont fatigués et ne cessent de se coucher. Puis la civilisation nous rattrape : il nous faut traverser une route, la seule depuis le début, afin d'atteindre la plaine. C'est dans un nuage de poussière impressionnant soulevé par les juments au galop que nous finirons cette journée. Il est plus de 18h00, nous sommes à cheval depuis 10h00 et pourtant nos chevaux trouvent encore la force d'accomplir un dernier galop un peu fou pour retourner vers la route, où nous déposons le matériel et reprenons le minibus.

Notre aventure avec la famille de Nivaldo s'arrête là, demain nous irons découvrir le travail des gauchos dans une estancia. Nous faisons nos adieux à nos chevaux, à Alexis et Leo en ayant conscience que nous avons pu toucher du doigt un mode de vie inchangé depuis la colonisation de ce continent, qui malgré le progrès et la technique semble devoir perdurer à tout jamais. Un pays où l'histoire reste vivante et où le mythe du gaucho de la pampa solitaire restera pour toujours une réalité.

Entre croyances et légendes

L'Argentine étant un pays profondément catholique, vous ne serez pas surpris d'apercevoir des autels aux abords des routes. Pourtant en y regardant de plus près il y a quelque chose de presque païen dans certains d'entre eux. Deux d'entre eux sont particulièrement frappants. Le premier par ses couleurs : d'innombrables rubans rouges l'entourent, le deuxième par son côté "poubelle" : des dizaines, voire des centaines, de bouteilles d'eau. On est très loin de nos calvaires habituels…

Le premier est dédié au "Gauchito Gil", sorte de Robin des Bois du nord argentin, un gaucho qui volait aux riches pour donner aux pauvres. Rattrapé par la justice, au moment de son exécution il accomplit son premier miracle en sauvant de la mort le fils de son bourreau moyennant la promesse d'une sépulture. Depuis on vient le voir pour solliciter sa bienveillance et demander des miracles.

Le deuxième est lui consacré à la "Difunta Correa". Diolinda Correa avait dû s'enfuir avec son bébé de quelques mois à travers le désert pour échapper aux assassins de son mari. A bout de forces, elle se laissa tomber au haut d'une colline demandant à Dieu de sauver son bébé en lui donnant suffisamment de lait pour le maintenir en vie. Des gauchos la retrouveront morte, le bébé bien en vie et tétant encore à son sein. Depuis elle est devenue la protectrice des futures mères et des voyageurs qui lui laissent de l'eau ou des pièces détachées de voiture. Et d'un seul coup, ce qu'on avait pris pour un immonde tas de détritus prend une toute autre dimension.

Le maté, une institution

Très vite vous serez initié à la "cérémonie" du maté. Plus qu'une simple boisson chaude, le maté est une véritable institution.

Tradition empruntée aux indiens, le maté est une sorte de tisane. Dans un maté (le récipient, courge évidée et séchée) on verse la yerba (l'herbe à maté, cultivée dans le nord est du pays) puis de l'eau chaude et l'on aspire à l'aide de la bombilla (paille métallique – ou en argent – dont le bout aplati forme un filtre). Le "cebador" prépare le maté puis le fait tourner : chaque personne boit l'intégralité du liquide, rend le maté au cebador qui remet de l'eau chaude et le passe à une autre personne. Dans les quelques règles d'usage à connaître : on ne coupe pas le tour de quelqu'un, on ne souffle pas dans la bombilla et on ne dit merci que lorsqu'on ne veut plus de maté.

Le maté a de nombreuses vertus dont celles de maintenir éveillé, couper la faim, combattre les toxines... Mais le maté est avant tout un moment de partage (le même maté pour tous), d'amitié (le plaisir d'être ensemble), d'écoute (celui qui boit écoute celui qui parle et vice-versa), de respect (chacun son tour), l'occasion, au moins une fois par jour, de dire merci. En bref, une vraie leçon de vie.

La selle gaucho est aussi un lit

La selle du gaucho (apero) répond à un double impératif : selle et lit. Le gaucho partait souvent pendant de longues périodes ; afin de limiter le paquetage quoi de plus simple que de porter son lit sur son cheval ?

La conception dès lors est fort simple : un premier tapis (sudadera) pour assécher la transpiration, une ou plusieurs couvertures (ou un tapis en feutre) pour protéger le dos du cheval, un grand cuir (corona) puis une armature en cuir avec des boudins de part et d’autre (bastos) d’où pendent les étriers, une première sangle retient cet ensemble. Ensuite un amoncellement de peaux recouvertes d’une dernière peau en cuir fin (pour les plus précieuses du cuir de carpincho, un très gros rongeur local) est retenu par une deuxième sangle et complète une selle moelleuse et confortable.

Tout ceci est permet ensuite de composer un lit confortable : l’herbe de la pampa et les couvertures forment un matelas, le premier cuir les recouvre pour préserver le corps de l’humidité du sol. Les peaux sont utilisées comme couvertures, le poncho permettra de se couvrir la tête afin de n’être pas incommodé par la rosée du matin.

Le vent dans les herbes chantera une berceuse et les étoiles veilleront sur le sommeil du gaucho fatigué.

Et maintenant à vous !

Cette aventure n'est pas réservée aux initiés. Il vous suffit d'être à l'aise à cheval en extérieur aux trois allures et d'avoir envie de découverte.

Pour vous joindre au prochain convoyage (ou découvrir les Amériques à cheval), contactez l'Agence du Voyage à Cheval, Rémy Pagnard au 03 81 62 02 96 ou sur internet : www.agenceduvoyageacheval.com

Susana Gonzalez ©2008


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