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Prudence est mère de sûreté (Tenez-vous le pour dit, Mesdames les Féministes Primaires !)

Publié le 04 juillet 2011 par Flopy

bfemmesAujourd'hui sur le site du Monde, on peut lire le Point de vue de Michel Fize, sociologue au CNRS, « spécialiste des questions de l'adolescence, de la jeunesse et de la famille », jadis mis à disposition au cabinet du Ministère de la Défense pour y mener une étude d'évaluation scientifique du dispositif « Défense 2ème Chance » . Michel Fize, donc – un monsieur sérieux et respectable, comme chacun-e l'aura compris - s'adresse aux féministes, toutes les féministes. Enfin, à toutes celles qui se sont, selon lui, imprudemment emparées de ce que l'on a convenu d'appeler « l'affaire DSK ».

C'est qu'avec le discrédit récemment jeté sur le témoignage de Nafissatou Diallo, la femme de chambre du Sofitel new-yorkais, le monsieur se croit autorisé – pour notre bien et notre instruction, à nous, les féministes – à nous agiter son index sous le nez en nous réprimandant sur l'air de « je vous l'avais pourtant bien dit, mesdames ».

Alors, avant toutes choses, je tiens à préciser deux trucs. D'une part, je tiens beaucoup à ce qu'on m'appelle Mademoiselle, et d'autre part, je me garderai bien de parler au nom de toutes les féministes. Il m'a toujours semblé qu'on parlait « des féministes » comme on parle « des bonnes femmes ». Il y a « des » femmes et il y a « des » féminismes. Je ne vois à peu près rien de commun entre Christine Delphy et Caroline de Haas, à part naturellement l'absence de pénis. Des propos très différents, voire carrément opposés parfois, sont tenus sous couvert de « féminisme ». Et il faudrait, sous prétexte qu'on est une femme, se reconnaître et s'y retrouver ? Et ben non, ça ne marche pas comme ça.

Rien n'est tout blanc ou tout noir. On peut être féministe, fervent défenseur de la présomption d'innocence (au point d'être plutôt d'accord avec Michel Fize quand, le 20 mai dernier, il nous donnait à lire un Point de vue intitulé « Une inadmissible justice-spectacle », bien que le ton général était déjà du genre irritant), tellement de gauche qu'on exècre DSK (oui, j'avoue m'être plutôt réjouie qu'il soit mis hors circuit, parce que DSK candidat de la gauche en 2012, vraiment ça me foutait grave les boules rien que d'y penser), et révoltée par la façon dont les médias français ont traité « l'affaire DSK ».

Parce qu'en fait, c'est ça le vrai problème. Je n'étais pas dans la chambre du Sofitel, je ne sais pas ce qui s'y est passé. En

cahier-pratique-de-morale
revanche, j'ai lu des articles absolument immondes dans les quotidiens français. Des articles qui nous expliquaient que la séduction à la française, c'était quelque chose, hein ma poule. Qu'on ne pouvait pas blâmer un homme qui aime les femmes, que d'ailleurs, DSK savait se tenir puisque des femmes journalistes avaient pu l'interviewer sans se faire sauter dessus. Alors si c'est pas une preuve de sa bonne éducation, ça, qu'est-ce que c'est, je vous le demande. Et puis d'ailleurs, y a pas mort d'homme. Ce n'est qu'une histoire de troussage de domestique, etc. (Burp)

Au-delà de DSK lui-même, dont à ce jour personne à part lui ne sait réellement ce qu'il a fait ou pas fait, c'est ce que Christine Delphy* appelle « la double exception française » qu'on s'est pris en pleine figure, nous-les-féministes, nous-les-bonnes-femmes, nous-tous-qui-luttons-pour-l'égalité-entre-les-hommes-et-les-femmes. « [La] double exception française : un refus du féminisme beaucoup plus accentué qu'ailleurs, qui se traduit par un « retard » par rapport aux autres pays occidentaux ; et surtout, une justification de cette résistance précisément en termes d'exception, exception revendiquée, exception vantée (alors que ce qu'on appelle à l'étranger l'exceptionnalisme français n'est pas un compliment), et finalement d'identité nationale. La France n'a pas besoin de changer quoi que ce soit : soit parce qu'elle est déjà au point en matière d'égalité des sexes, au contraire des autres pays, soit parce que cette égalité heurtait ou plutôt aurait heurté une culture de séduction – qu'hélas ne connaissaient pas les autres pays ; soit parce que le féminisme venait de ces autres pays (comme le mauvais temps) et ne pouvait par définition pas concerner le nôtre : tous les arguments et leur contraire étaient utilisés pour résister des quatre fers. »

Du jour au lendemain, il a fallu voir les choses en face : la société française n'a pas évolué d'un iota sur la question des femmes. Bien sûr, il y a la com', censée nous faire gober que tout a changé et que rien n'est plus comme avant. Et hop ! on déclare la lutte contre les violences faites aux femmes grande cause nationale. On clame que le viol, c'est mal, qu'on est contre, et pour le prouver, on pétitionne.

(S'il y en a parmi vous qui sont "pour" le viol, qu'ils ou elles se fassent connaître.)

Mais dans le fond, rien ne bouge (et même si j'osais, j'avancerais qu'on recule, mais bon, ça fait un peu raffarinade et puis, ce sera peut-être l'objet d'un autre billet, un autre jour, parce que là vraiment, ça va faire trop long, pour vous comme pour moi). Rien ne bouge, et les leçons de morale de Monsieur Fize sont franchement déplacées. C'est tout ce que « l'affaire DSK » a révélé au grand jour qu'il faut étudier, analyser, commenter. Présumer de l'innocence d'une personne mise en examen ne signifie pas la défendre coûte que coûte jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie ; ça, c'est le boulot de l'avocat. Malheureusement, il ne s'est pas trouvé grand monde pour recommander « lucidité et prudence » à nos intellectuels et journalistes... Et il me semble que c'est précisément cela qui a fait réagir plus ou violemment « les féministes », toutes tendances confondues : ce déferlement de propos sexistes, censés défendre le pauvre directeur du FMI, innocent jusqu'à preuve du contraire.

* Christine Delphy, Un universalisme si particulier, sous-titré Féminisme et exception française (1980-2010), Éditions Syllepse, 2010


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