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La petite fille de Monsieur Linh - Philippe CLAUDEL

Par Liliba

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"C'est un vieil homme debout à l'arrière d'un bateau. Il serre dans ses bras une valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le vieil homme se nomme Monsieur Linh. Il est seul à savoir qu'il s'appelle ainsi car tous ceux qui le savaient sont morts autour de lui."

Monsieur Linh, après un long voyage, arrive dans un pays étranger, un pays sans odeur où les gens passent leur temps à courir en tous sens. Seul avec sa valise dans laquelle il garde précieusement un poignée de sa terre natale, et avec Sang Diû, sa petite fille qu'il a réussi à sauver, la seule de la famille encore en vie, à qui il raconte inlassablement les histoires du pays, pour ressentir encore en lui les sonorités de la langue de là-bas, pour ne pas avoir l'impression d'être complètement parti.

Malgré son grand âge, il veut s'occuper de la petite fille tout seul. Il la nourrit, la change, la berce comme le ferait une mère. Et même si les gens le regardent bizarrement, même si on se moque de lui ouvertement, même s'il se sent terriblement seul, il continue ses soins avec constance et douceur, afin de pouvoir insuffler à la petite fille un peu d'espoir, et l'envie de vivre sur cette terre étrangère. Ainsi sont les paroles de la chanson qu'il chante continuellement à  Sang Diû : « Toujours il y a le matin, Toujours revient la lumière, Toujours il y a un lendemain, Un jour c’est toi qui seras mère. ».

Un jour, il va faire la connaissance d'un homme avec lequel il va parler. Enfin, l'homme va parler, et Monsieur Lihn écouter, même s'il ne comprend pas un mot. Et malgré cette communication à sens unique, les deux hommes, tous deux seuls et malheureux, vont devenir amis. Monsieur Bark, veuf inconsolable qui a du mal à supporter sa solitude, comprend bien le vieil homme, et va même jusqu'à offrir une magnifique robe pour la petite fille : « Monsieur Linh ouvre le couvercle de la boîte. A l’intérieur,il y a une feuille de soie, légère, d’un rose très tendre. Il l’écarte. Une robe de princesse vient d’apparaître, délicate, somptueuse, pliée avec grâce. Une robe éblouissante. Une robe pour Sang Diû ! […] Il prend les mains de Monsieur Bark dans les siennes, et les serre fort. Très fort. Longuement. Il prend Sang Diû dans ses bras. Les yeux de Monsieur Linh luisent, il regarde son ami, il regarde la petite. »

Mais Monsieur Linh va être placé dans un centre pour réfugiés... Pourra-t-il revoir son ami ? Pourra-t-il continuer de s'occuper de la petite fille ?

Voici une histoire absolument magnifique, comme un conte un peu triste et délicat. Ce Monsieur Linh a même réussi à me faire verser quelques larmes, tant j'ai trouvé la solitude de cet homme touchante, émouvante, et surtout sa volonté de vivre pour l'enfant. C'est une histoire qui reste longtemps dans le coeur et que je relirai, même si j'en connais maintenant le dénouement (poignant).

Claudel, avec des mots simples, précis, une écriture presque épurée, sans avoir l'air d'y toucher, brosse des paysages magnifiques et nous offre un superbe décor asiatique, le parfum de l'air, la chanson de la langue, le goût des épices, et vraiment l'impression d'y être. Dans la grande ville anonyme, nous ressentons ensuite le froid, l'indifférence, l'urgence de tous ces gens qui n'ont de temps à rien, sauf un jour par semaine où ils vont au parc.

Et puis on ressent si fort la solitude de ce vieil homme, son courage pour affronter cette vie nouvelle, l'amour pour la petite fille, l'amitié... Plus les mots sont simples, plus c'est bouleversant. C'est une leçon de vie et de tolérance. C'est juste beau.

A lire et à relire ! 

"Six semaines. C’est le temps que dure le voyage. Si bien que lorsque le bateau arrive à destination, la petite fille a déjà doublé le temps de sa vie. Quant au vieil homme, il a l’impression d’avoir vieilli d’un siècle.

Parfois, il murmure une chanson à la petite, toujours la même, et il voit les yeux du nourrisson s'ouvrir et sa bouche aussi. Il la regarde, et il aperçoit davantage que le visage d'une très jeune enfant. Il voit des paysages, des matins lumineux, la marche lente et paisible des buffles dans les rizières, l'ombre ployée des grands banians à l'entrée de son village, la brume bleue qui descend des montagnes vers le soir, à la façon d'un châle qui glisse doucement sur des épaules.

Le lait qu’il donne à l’enfant coule sur le bord de ses lèvres. Monsieur Linh n’a pas l’habitude encore. Il est maladroit. Mais la petite fille ne pleure pas. Elle retourne au sommeil, et lui, il revient vers l’horizon, l’écume du sillage et le lointain dans lequel, depuis bien longtemps déjà, il ne distingue plus rien.

Enfin, un jour de novembre, le bateau parvient à sa destination, mais le vieil homme ne veut pas en descendre. Quitter le bateau, c’est quitter vraiment ce qui le rattache encore à sa terre. Deux femmes alors le mènent avec des gestes doux vers le quai, comme s’il était malade. Il fait très froid. Le ciel est couvert. Monsieur Linh respire l’odeur du pays nouveau. Il ne sent rien. Il n’y a aucune odeur. C’est un pays sans odeur. Il serre l’enfant plus encore contre lui, chante la chanson à son oreille. En vérité, c’est aussi pour lui-même qu’il la chante, pour entendre sa propre voix et la musique de sa langue."


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