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d'après un conte de Guy de Maupassant

Publié le 06 juillet 2011 par Dubruel

 

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LE GÂTEAU

 

Elle s’appelait madame Anseur, disons,

Pour qu’on ne découvre pas son vrai nom.

Elle ne recevait que des hommes supérieurs.

Etre reçu chez elle, constituait un honneur.

Son mari jouait un rôle de satellite obscur.

Etre l’époux d’un astre est une épreuve dure.

Cependant ce mari-là

Eut l’idée de créer un Etat dans l’Etat.

Sa femme recevait.

Lui aussi recevrait.

A l’agriculture il s’adonnait.

Son public l’écoutait.

Ses amis venaient

Les jours où sa femme invitait,

De sorte qu’on se mêlait.

Ou plutôt non, on formait

Deux groupes bien

Distincts. Madame et ses académiciens

Occupait le salon Régence.

Monsieur se retirait au fumoir

Avec ses connaissances.

Ironiquement et par caricature,

Mme Anseur appelait le fumoir :

« Le salon de l’Agriculture »

Les élites du salon dédaignaient

Les agriculteurs jugés trop niais.

Les réceptions s’effectuaient

Sans frais : une brioche et du thé.

Voilà tout.

Monsieur eut préféré de beaucoup

Deux brioches, une pour le salon,

Une autre pour le fumoir.

Mais madame fit une juste observation.

Cette manière de voir

Indiquerait trop clairement

Deux réceptions. Deux clans.

Monsieur n’avait pas insisté.

Une seule brioche sera apportée.

Mme Anseur en réservait les honneurs

A son Académie

Et passait ensuite la pâtisserie

Aux agriculteurs.

Or ce gâteau,

Fut bientôt

Un sujet d’observation :

La maitresse de maison

Confiait cette mission

A l’un des invités du salon.

Etre découpeur

Quel honneur !

Et la fonction entrainait de la supériorité,

Une sorte de royauté.

Le sceptre était le couteau,

L’emblème était le gâteau.

Le découpeur régnant était remarqué

A ses attentions marquées

Envers la maîtresse de maison.

On appelait ces heureux du salon

« Les favoris du gâteau brioché »

Lorsqu’un favori s’attendait à être muté,

Montait dans l’Académie une nervosité affichée.

Puis l’heureux élu était félicité

Aucun laboureur, bien évidement,

N’eut droit à ce privilège de favori

Et Monsieur était évincé, naturellement

La brioche fut découpée par une série 

De poètes, de musiciens, un président…

Puis un grand professeur calculaient

Les portions pendant quelque temps.

Un ambassadeur prit le relais.

Pendant qu’un favori régnait

Chacun témoignait

Une grande considération à M. Anseur.

Mais à l’heure

De la chute, il passait le couteau

Au suivant et se mêlait de nouveau

Dans la foule des admirateurs

De la « belle madame Anseur ».

Cet état de choses dura longtemps,

Longtemps.

Mais les comètes aussi palissent,

Perdent de l’éclat, vieillissent.

De fait, diminua l’empressement

Des découpeurs, forcément.

Mme Anseur avait beau manifester  

Politesse, amabilité,

Hélas, on coupait à regret.

On conservait la charge contre son gré.

Les élus devinrent rares,

De plus en plus rares.

Pendant un mois, ô prodige, M. Anseur

Ouvrit le gâteau baladeur.

Puis il s’en est lassé.

L’on vit alors Mme Anseur, blasée,

Découper elle-même.

Le lendemain, elle força un invité,

- Un pénultième ?-

Qui n’osa point se rétracter.

Le symbole étant connu de tous,

On se regardait en dessous

Avec des yeux de pharisiens.

Couper la brioche n’était rien

Mais les privilèges qui y étaient

Liés, maintenant épouvantaient.

Alors dès que le plateau paraissait,

Les académiciens passaient

Dans le fumoir se mettre à l’abri

Derrière le mari

Qui souriait tant et plus.

Les années passaient.

Et personne ne découpa plus.

Or un soir, un homme se proposait.

De la brioche, il ignorait le mystère.

Tous, sauf lui, se retirèrent.

-«Vous acceptez de découper ? »

-« Je suis ravi de l’honneur de participer

Avec le plus grand plaisir. »

L’époux, surpris, se mit à rire.

L’assistance s’étonnait.

Le jeune homme ne comprenait

Ni les gracieusetés discrètes

Ni l’espoir de reconnaissance muette

Que témoignait la maitresse de la maison

A son attention.

La soirée suivante, il eut l’air préoccupé.

Inquiet, il regardait l’assemblée huppée.

Il comprit quand sonna l’heure du thé.

Le valet parut, Mme Anseur, folle de gaité,

Saisit le plat, chercha des yeux son jeune ami.

Mais il était parti…

Au fond du fumoir. Elle fit une approche

« Mon cher monsieur, lui dit-elle,

Voulez-vous découper cette brioche ? »

Il balbutia et rougit jusqu’aux oreilles.

Alors, pris de pitié, monsieur Anseur

Se tourna vers madame Anseur :

« Voudrais-tu, charmante créature

Ne point nous interrompre,

Quand nous causons agriculture. »

Depuis, personne n’a plus à rompre

La brioche de malheur

De madame Anseur.


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