Magazine

Son nom est Temple Sacré de l’Aube Radieuse (1)

Publié le 09 juillet 2011 par Zebrain

at207.jpg

Une évidence : relire en une seule fois un cycle complet permet de remettre l’œuvre en perspective, de se rafraîchir la mémoire et de confronter de plein fouet le temps de la création à celui de la lecture. C’est pourquoi j’ai récemment relu en une semaine et quelque les neuf volumes des « Futurs mystères de Paris » de Roland C. Wagner, dans leur édition intégrale, c’est-à-dire dans la réédition de chez l’Atalante où, aux versions retouchées des romans, s’ajoutent nouvelles et brefs épisodes complémentaires.
Temps de la création : le premier tome du cycle est paru en 1996 (chez Fleuve Noir) et le neuvième est paru en 2006 (chez l’Atalante). Soit dix années d’écriture et de cogitation, elles-mêmes alimentées par les vingt années précédentes de création de l’auteur, puisque les « Futurs mystères » s’insèrent au sein de ce que l’auteur, Roland C. Wagner, nomme son « méta-roman » : l’« Histoire d’un futur ». C’est dans cette « Histoire d’un futur » que prennent source les années du proche avenir où se déroulent les textes format les « Futurs mystères ». Très précisément, l’événement déclencheur a lieu le 18 mai 2013.

at208.jpg
L’une des grandes difficultés de l’utopie consiste à en fournir le point de basculement historique et de la situer dans le flot de l’histoire humaine. Kim Stanley Robinson s’interrogeait notamment sur cette question dans les chapitres de Pacific Edge (son roman utopiste demeuré inédit en France) qui se déroulent dans une dystopie suisse. Comment faire le lien, comment passer de notre monde tristement quotidien à celui de l’utopie californienne où se déroule le principal de l’intrigue de Pacific Edge ? Une utopie n’est pas une uchronie, elle n’est généralement pas temps alternatifs mais hors du monde, u-topos, faute que les auteurs parviennent à expliquer de manière rationnelle une telle évolution vers une société accalmée et une humanité moins tumultueuse. Chez Wagner pourtant, il y a bien un processus d’utopie fonctionnant comme une uchronie : un « point de divergence » historique. Ce fameux 18 mai 2013. Le jour où, après de longs signes avant-coureurs (parmi lesquels le ciel devenu rouge, couvert par la « couche de Bolgenstein »), soudain se déclenche le psycataclysme.
Un personnage des « Futurs mystères de Paris », témoin de ce que l’on nommera ensuite la Grande Terreur, décrira ce psycataclysme comme une apocalypse où ce sont finalement les forces du Bien qui ont gagné.
actusf19-2010.jpg
La forme prise par cette apocalypse avait déjà été annoncée par différents événements, tels que l’ouverture des salles de tourisme psychisme, puis par l’effondrement des États-Unis : Le Serpent d’angoisse, Le Paysage déchiré, Les Derniers jours de mai, sont au sein de l’œuvre de Wagner les épisodes qui présentent cette marche crescendo vers un dérèglement de plus en plus inquiétant de la réalité — jusqu’à la Terreur, le mois où la sphère de la réalité consensuelle, notre réalité, est entrée en collision avec celle de l’inconscient collectif. Que s’est-il passé au juste ? Difficile de le savoir : les témoins mêmes de cette période confuse et terrible n’ont jamais vu les mêmes choses, chacun enfermé en quelque sorte dans une subjectivité qui a pris corps et qui marche dans les rues.  Superbe idée que celle de ces deux sphères de réalité qui se pénètrent et se brouillent, laissant au sortir du psycataclysme une humanité sans doute moins nombreuse (Wagner ne nous dit jamais combien la Grande Terreur a fait de morts, plus pudique sur ce genre de choses que les scénaristes américains d’un autre genre d’apocalypse, celui de l’évanouissement durant 2 minutes 17 de toute l’humanité, dans la série TV hélas inachevée Flashforward), et en tout cas… étrangement calmée. Une humanité qui, sortant du psycataclysme, se découvre incapable de tuer (du moins, directement) — ce qui met fin à toutes les armées —, et globalement vidée du principal de son agressivité et de certaines de ses névroses les plus brutales.

at209.jpg
Un changement psychologique absolument nécessaire à l’établissement, par un auteur, d’une utopie. En cela, Wagner a choisi une solution finalement proche de celle des scénaristes de la série Star Trek: the Next Generation, qui postulaient qu’une guerre transgénique puis la sage protection d’une espèce extraterrestre non violente (les Vulcains) avait permis à l’humanité de s’assagir afin d’essaimer les étoiles. Sur la Terre pacifiée des « Futurs mystères de Paris », tout n’est pas encore idéalement utopiste, loin s’en faut, mais au moins l’humanité a-t-elle changée. En profondeur. On découvrira au fil du cycle que cet assagissement a été provoqué par le fait que, surgissant sur notre monde en profitant du psycataclysme, le plus ancien de tous les archétypes a finalement été écarté de la « psychosphère » (le monde de la réalité consensuel) où il résidait, caché, au sein des plus profondes strates — celles déposées non par l’homme moderne, mais par ses cousins néanderthaliens. Cet archétype, celui du mal absolu, de la peur devant l’inconnu, de l’obscurité primitive, s’est fait éliminer par les autres archétypes incarnés de la Grande Terreur, retirant ainsi de la psyché humaine une part de sa violence primordiale.

André-François Ruaud


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Zebrain 230 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte