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d'après un conte de Guy de Maupassant

Publié le 09 juillet 2011 par Dubruel

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LES SABOTS

Omont cherchait une servante honnête.

Malandais, paysan sec et bête

Se dit : « Ça s’rait p’t être bon,

C’te place chez maître Omont.

Il est veuf, et il a d’quoi.

J’y envoie not’ fille Olivia. »

Olivia était une gaillarde

Pas froussarde

Aux cheveux roux

Et aux grosses joues.

-« T’entends, grande bête,

T’iras chez Césaire Omont, l’ mait’

T’proposer comme servante

Et sans faire l’extravagante,

Tu f’ras,

Tout c’qu’il t’ commandera. »

Olivia restait le regard benêt.

La mère lui fit mettre son bonnet

Et elles partirent trouver Omont.

Il avait cinquante ans environ.

Gros, jovial, bourru,

Comme un homme cossu,

Césaire criait, buvait du cidre, du vin

Et passait pour un chaud lapin.

Il les reçut devant son café-calva.

Se renversant, il demanda :

-« Vous voulez quoi ? »

-« C’est not’ fille Olivia…

Qu’elle f’rait ben votre domestique.»

Maître Omont considéra la bique.

-« Quel âge qu’elle a ? »

-« Vingt et un an. »

-« All’ aura quinze francs

Par mois. J’ l’attends demain

Pour faire ma soupe du matin. »

Le lendemain, comme Olivia

Nettoyait la cuisine, Omont la héla.

Elle accourut. –« Me v’la. »

-« Qu’il n’y ait pas d’malentendu.

T’es ma servante. Rin de pu. 

T’entends, soubrette ? »

-« Oui, not’ maît’. »

-« Nos sabots, nous les mêlerons

Point. T’as le chaudron.

Chacun sa place. J’ai l’salon. »

-« Oui, not’ maître. »

-«Va à ton ouvrage, soubrette ! »

A midi, Olivia alla prévenir son patron.

Et servit un fricot qui sentait bon.

Maître Omont entra, s’assit,

Regarda autour de lui.

Et cria comme s’il allait la massacrer.

Olivia arriva, effarée.

-« Ta place, où s’ qu’elle est ? »

-« Mais, not’ maitre… »

Il hurlait : « J’aime pas être

Seul à manger, tu vas t’ mett’ là

Ou tu fous le camp si tu veux pas.

Va chercher t’ nassiette et ton verre. »

Epouvantée, elle apporta son couvert

Et s’assit

Face à lui.

De temps en temps,

Elle allait chercher pourtant

Du pain, du cidre ou un verre au buffet.

Elle n’apporta qu’une tasse de café.

La colère reprit Omont, il grogna :

-« Eh bien, et pour toi, Olivia ? »

-« J’ n’en prends point. »

-« Pourquoi qu’ t’en prends point ? »

-«  Parce que je l’aime point. »

Alors, de nouveau, Omont éclata :

-«J’prends pas seul mon café, Olivia. 

Si tu n’veux pas en boire avec mé,

Tu vas foutre le camp, nom de dié ! »

Elle alla chercher une tasse,

Se rassit, prit une goulée,

Fit la grimace 

Et dut tout avaler.

On but le premier verre de rincette,

Le second du pousse-rincette,

Et le troisième du coup de pied-au-cul.

Alors, Césaire Omont détendu,

La congédia.

-« Va faire la vaisselle, Olivia »

Après diner, elle dut jouer une partie

De dominos. Puis Omont l’envoya au lit. 

A peine était-elle sous les draps,

Qu’ Césaire vociféra.

Elle répondit : « Me v’là…»

-« Veux-tu v’nir, nom de Dieu !

J’aime pas coucher seul, nom de d’là !

Si tu veux pas, fous le camp, vain dieu ! »

Il la prit par le bras,

La poussa

Dans sa chambre et cria

-« Plus vite que ça ! »

Six mois passèrent.

Un dimanche, son père

Lui dit : -«T’es grosse ? » E’ regarda

Son ventre et concéda :

-« Mais non, je n’ crois point. »

-« Quéques soirs vous n’avez point

Mêlés vos sabots tous deux ? »

-« Oui, il s’ disait amoureux. »

Malandais alla chez Césaire

Pour causer de l’affaire.

Au prône du dimanche suivant,

Le vieux curé publiait les bans

D’Omont avec sa servante,

Toute pimpante !


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