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Maroc : Oui mais...jusqu'à quand ?

Publié le 17 juillet 2011 par Robocup555

images.jpegLe printemps arabe n'a pas épargné le Maroc. Dés le début des manifestations à l'appel du mouvement du 20 Février (#20Fev), le Roi Mohammed VI a prononcé un discours historique le 9 Mars et a appelé à l’élaboration d’une réforme constitutionnelle devant permettre une réelle séparation des pouvoirs, un renforcement du rôle du premier ministre et une indépendance de la justice. En somme, un grand pas vers la démocratie devait être franchi avec laconstitutionnalisation des droits de l’homme, l’égalité des sexes et la reconnaissance de l’amazighité. Une commission consultative de 19 membres sous la houlette du conseiller politique royal a été constituée à cet effet. Genèse du « printemps marocain ».

Bras de fer Makhzen-20Fev

Dés le 13 Mars, soit à peine 4 jours après le discours royal, une manifestation du mouvement du 20Fev qui appelait à l’élection d’une assemblée constituante a été violemment réprimée. Dès lors, le mouvement du 20Fev et la monarchie sont entrés dans une logique conflictuelle et de manque de confiance.

Le 20 Mars, les partis politiques, les syndicats et la société civile ont encadrés les manifestations en leur donnant un caractère pacifique voire festival.

Si la chute des régimes de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte ont séduit la rue arabe, la guerre civile en Libye, les répressions au Yémen et en Syrie ont servi d’épouvantail au Makhzen pour décourager les ferveurs révolutionnaires des jeunes du 20Fev elles ont montré aux marocains le risque de sécurité et d'instabilité encouru.

Les médias contrôlés ont été légèrement déboulonnés pour laisser s’exprimer des années de frustrations et de ressentiments à l’égard du politique : absolutisme, corruption, clientélisme. Rien ni personne n'est épargné à l'exception du Roi, qui continue de jouir d'une légitimité historique et populaire, mais qui concentre des pouvoirs tels que le jeu politique en soit faussé.

Le bras de fer Makhzen-20Fev est déséquilibré par 2 autres facteurs :

- le taux d'analphabétisme de la population qui avoisine les 50% qui voit dans le Roi l'arbitre, le juge et le dernier recourt face à l'injustice sociale et qui lui attribue toute les avancées économiques.

- le silence/ou la compromission de des élites intellectuelles, politiques et économiques, les rares exceptions confirmant la règle.

Le Makhzen a en outre bénéficié de 4 évènements majeurs :

- L'attentat de Marrakech Argana du 28 Avril qui a radicalisé la politique sécuritaire.

- Le festival international de musique Mawazine, véritable arène populaire malgré les passions qu’il a suscitées des pour et des contre, jugeant l’enveloppe salée.

- La victoire du match de foot Maroc-Algérie par 4-0 à Marrakech comptant pour les éliminatoires de la CAF, le foot est depuis Hassan II, l’opium du peuple.

- L'inauguration du Tramway de Rabat dont les travaux durent depuis 4 ans et est une fierté nationale.

Défauts de jeunesse, manipulation et récupération

Le mouvement du 20 Février a péché par sa jeunesse en commettant 4 erreurs fatales :

- Il s'est allié aux communistes, aux républicains et aux islamistes fondamentalistes, un panel autant disparate que contradictoire. Faire défiler des laïcs et des islamistes côtes à côte revient à envoyer un message flou voire faux tant à la monarchie qu'à la population.

- Il s'est radicalisé au point de refuser de participer aux travaux de la commission de révision de la constitution. Ses slogans anti fassi, anti entourage du Roi, ses drapeaux noirs ou berbères, ses Tee Shirts Che, ses barbus fanatiques ont entamé le capital de sympathie qui leur faisait attribuer l'origine des promesses des réformes royales.

- Il n'a pas réussi à s'organiser en force de propositions se cantonnant dans l’opposition tout en surestimant ses forces.

- Last but not least, il s’est retrouvé pris en otage par des courants antimonarchiques. Les vidéos sur YouTube, les commentaires radicaux sur internet ont fait peur au citoyen lambda qui n’hésite plus à voir dans ce mouvement une manipulation et une ingérence étrangères.

La constitution octroyée

Le 17 Juin, le Roi a présenté les grandes lignes de la nouvelle constitution et a appelé à l’approuver.

La nouvelle constitution comporte des avancées notables au niveau des droits de l’homme, et un renforcement du rôle du premier ministre. C'est une constitution consensuelle en ce sens qu'elle donne l'impression de satisfaire les partis politiques participant au "processus démocratique", c'est à dire à une négociation du jeu de rôle que chacun doit jouer pour donner l'illusion que le pays avance vers la démocratie même si le chemin à parcourir reste énorme, pire, même si l'on s'en éloigne, pourvu que nos partenaires y croient et y paient de leurs poches.

La constitution a été approuvée à 98,5% des voix avec 73,6 % de taux de participation, malgré l'appel au boycott du mouvement du 20Fév et du parti islamiste radical et des partis d'extrême gauche. Nos partenaires européens et américains ont applaudi. Les manifestations du dimanche ont continué, malgré l’essoufflement et le dénigrement.

La suite logique de l’adoption de la nouvelle constitution, ce sont les élections législatives anticipées, prévues début Octobre 2011, d'ici là, il faut revoir la loi électorale pour l'adapter à la nouvelles constitution, il faut mobiliser les partis et les pousser à revoir leurs organes internes afin de voir l'émergence éventuelle d'une nouvelle élite à même de pouvoir concrétiser sur le terrain la séparation de pouvoirs qui n'existe pas sur papier. Car, après tout que vaut une constitution sinon ce qu’on en fait ou on n'en fait pas. Un cadre légal pour des rapports de force. La constitution marocaine de 2011 aura été d'abord une réponse rapide, opportune et intelligente à une manifestation issue du printemps arabe. Un acte de génie politique destiné à calmer les ardeurs, à donner l’impression de lâcher du lest mais que nenni et Niny est bel et bien en prison pour prouver si besoin la fin de la récré.

La faiblesse des partis et la pratique du consensus

Or, si le discours et les promesses royales laissaient conclure à l'émergence d'une monarchie parlementaire de type espagnol ou britannique, c'était sans compter sur les forces conservatrices tant au sein des partis historiques qu'à fortiori au sein des partis makhzeniens. C'était sans compter non plus sur le satisfecit de nos partenaires sur la préservation de leurs intérêts stratégiques par la gouvernance conservatrice. C'était sans compter enfin sur l’évolution de la situation tant en Tunisie qu’en Egypte où les "révolutions" ont débouché sur le chaos, où islamistes et progressistes s’entretuent de slogans et où l'économie s’en trouve paralysée.

Mais fallait il pour autant ajouter pouvoirs au pouvoir royal, n'était il pas temps de mettre sur rails la promesse de Feu Mohamed V d'une monarchie parlementaire qui renforce la légitimité dynastique en la plaçant au dessus du temporel, en véritable arbitre des institutions en lui ôtant la charge de la gestion quotidienne des affaires publiques et en la soustrayant véritablement de toute comptabilité de ses actes et de toute responsabilité.

Que la monarchie veuille conserver le statut métaphysique religieux de "Commandeur des Croyants" en lui confiant un rôle de "protection des valeurs ancestrales" liées à notre histoire musulmane et à notre patrimoine culturel ne trouve opposition qu'auprès de la minorité des laïcs et de celle des intégristes. Qu'elle conserve le statut de Chef des armées ne trouve opposition auprès de quiconque.

Mais conserver en tant que chef d‛Etat, la présidence du Conseil des ministres, du Conseil supérieur de la magistrature, du Conseil Supérieur de la Sécurité revient à la fois à être chef de l’exécutif et chef du judiciaire. Quant au législatif, les partis politiques au nombre de 36 sont fonctionnarisés, le découpage électoral manipulé, les élections payées (au choix: carottes ou bâton) lorsqu’elles ne sont pas falsifiées.

Que peut émerger de ces élections sinon des représentants analphabètes d'un peuple d'analphabètes ? Des députés agairis par l'absentéisme, les transfuges et les passe droits. Quand le budget de l'Etat est voté par moins de 30% de nos parlementaires, on est en droit de se demander à quoi sert le Parlement ? On est aussi en droit de se demander à qui incombe cette situation.

A notre "protecteur" français qui a mis en place nos institutions à l’image des siennes en remontant l'horloge du temps de quelques siècles pour la faire correspondre à un certain monarque français ? A notre histoire marquée de compromission et de dissidence ? A notre hétérogénéité géographique, économique, sociale, culturelle, linguistique ? Ou à tout ceci à la fois, ce qui fait que nous voyions dans la Monarchie notre protecteur et notre ciment fédérateur et ce qui fait que nous acceptions tout ce qui nous vient d'Elle, pourvu qu'Elle daigne accepter notre allégeance.

La démocratie se définit par la séparation des pouvoirs et non par leur accumulation. L'accumulation des pouvoirs est une autocratie. La démocratie nous est promise depuis... 1962, 50 ans l'année prochaine. Entre temps, il y a eu Ben Barka, l‛Etat de siège, les coups d'Etat de 1970 et 72, et le cercle vicieux de la rupture de la confiance et du pacte national qui faisait que la monarchie et l’élite nationaliste se sont soutenues pendant les années de répression sous Noguès, sous Juin, sous Guillaume. Après l'indépendance, les nationalistes dissidents en virant trop à gauche au plus fort de la guerre froide ont rompu ce pacte. La monarchie en répondant par une constitution à ses mesures et en créant ses propres partis politiques a rompu le sien.

L'éternelle transition démocratique

Il a fallut attendre 1996 et le gouvernement "d'alternance" pour voir la réhabilitation de la gauche nationaliste. Une gauche souvent malmenée avec des bâtons sous les roues pour lui faire échec, une gauche aux commandes de la Culture, de l'Artisanat, du Travail, une gauche qui n'a aucune emprise sur les ministères dits de souveraineté et encore moins sur les investissements cantonnés dans le fonds Hassan II géré par le Palais.

Depuis 1996 et plus encore en 1999 à l'avènement du Roi Mohammed VI, le Maroc se déclare en "transition démocratique" et sous gouvernement consensuel issu d'élections non moins consensuelles. Le mouvement du 20Fev aura réussi à bousculer ce consensus, à faire émerger un brin d'orientation politique à travers des positions pertinentes liées aux choix de société et à la pratique démocratique. Le oui ouisme à l'appel au vote de la constitution a débouché sur le questionnement sur la durée de la "transition démocratique", comme pour dire "Majesté, nous avons joué franc jeu en vous ménageant durant ce "printemps arabe" en participant docilement à l'élaboration et au vote de votre constitution , en contrepartie dites nous quand pouvons nous espérer la fin de la "transition démocratique" et l'émergence d'une réelle démocratie ?

En d'autres termes à quand la monarchie parlementaire si ce n’est pas pour aujourd'hui ? Par ce langage codé, la gauche-droite nationaliste revendique sa légitimité historique par un partage du pouvoir. Elle revendique son attachement au trône qu’elle estime avoir contribué à sa légitimation lors de sa déportation.

Le consensus tue l’opposition

Les partis ont tous des logos rudimentaires : lampe, balance, cheval, tracteur, pigeon etc. et sont désignés par leurs logos : le parti du tracteur, le parti de la lampe... Leurs programmes ? Un copié-collé de généralités allant de la lutte contre la corruption à la prévision d'un taux de croissance hypothétique. Les relations extérieures leur échappent; ils ont de vagues notions d’économie, aucune de management; ils se renferment sur des slogans électoralistes populeux, résultats de 30 ans d'acculturation politique et de 20 ans de consensus, de démagogie, de compromission, de conservatisme, voire d'immobilisme.

Dans ces conditions, à quoi servent les élections ? A quoi sert un parlement sans opposition crédible ? Comment peut-on faire de l’opposition sans s’opposer au Roi puisqu’en fine, c’est lui le Chef de l’exécutif qui de plus est d‛un gouvernement de l’ombre ? Si l’article 19 tant décrié de la constitution de 1996 se retrouve dans les articles 41, 42 et 46 de celle de 2011, où est la réforme démocratique ? Si le discours du Roi à l'ouverture de la session parlementaire ne fait l'objet d'aucun débat, à quoi sert le parlement sinon à être une caisse de résonnance ? Toutes ces questions nous ramènent à nous poser inlassablement répétée depuis 40 ans par le groupe populaire Nass El Ghiwan : "fine ghadi biya khouya, fine ghadi biya" Où me mènes-tu mon frère, où me mènes-tu ? Et la réponse nous vient du tunisien Ahmed Hefnawi qu’Al Jazeera fait répéter en boucle le jour de la fuite de Ben Ali, « Harimna », nous sommes épuisés.

Le pays de toutes les contradictions

Par une réelle séparation des pouvoirs, la pratique politique aura retrouvé ses lettres de noblesse, une élite politique aura surgi portée par l'élan démocratique, des sensibilités politiques auraient élevé de multiples tendances sur des thèmes de société, un véritable débat politique nous aurait fait entrer dans notre siècle afin que nous puissions réaliser avec notre Roi une véritable révolution économique et sociale afin que nos concitoyens ne puissent plus vivre dans des bidonvilles inhumains, ni mendier dans chaque coin de rue, ni chômer devant le parlement , ni se prostituer avec des touristes du Golfe ou d’ailleurs, ni se retrouver harragas dans des pateras de mort pendant qu'une minorité corrompue s'octroie illégalement toutes les richesses en toute impunité reproduisant les modèles de la génération précédente dans une série sans fin.

Cette élite ayant accaparé les bénéfices de la marocanisation de 1973, celle des terres agricoles et des entreprises industrielles a mené le pays vers un programme d'ajustement structurel PAM forcé par le FMI dés 1980 et s'est retrouvée obligée de recourir aux investissements étrangers, voire de vendre des pans d'activités jugés jusque là stratégiques. L'indépendance économique aura été un vain slogan nationaliste. L'agriculture comme l'industrie sont depuis 50 ans orientées vers l'export vers l'hexagone, faisant fi des besoins locaux. Le Maroc exporte des fruits et importe du blé et de l'huile. Le Maroc devient l'Eldorado de la sous-traitance tirant vers le bas ses salaires. Avec un rapport de revenu de 1 à 15 avec l'Espagne enclavée au Maroc par Ceuta et Melilia, comment l'immigration ne pouvait exploser dés le début des années 90 ? Un plan « Maroc Vert » a toutefois vu le jour en 2008…53 ans après l’indépendance. Mais à qui profite t-il ?

Donner du temps au temps

Aimait à dire Hassan II. Le Maroc perd du temps, il perd ses élites, à la fois celles qui se soumettent sans conviction et celles nombreuses qui fuient : le Maroc compte 8.000 médecins immigrés (1/220 immigrés) alors qu'il ne compte pas plus de 15.000 médecins locaux (1/2200 hab.). Ces RME, dont on attend des rentrées de devises annuelles en faisant fi de la situation catastrophique du secteur de la santé qui manque du basique.

Le Roi aurait gagné à capitaliser sur sa légitimité et sur sa popularité pour éviter de se poser en équation dans le débat politique transformant la réforme constitutionnelle en allégeance à Sa Personne par une mascarade référendaire qui a ressuscité les pratiques du tristement célèbre Driss Basri.

Retour à la case départ

Après le Ramadan, après l’été et les vacances, le Maroc ronronnera à nouveau et pensera au 20Fev comme une parenthèse fermée ayant permis de roder l'appareil sécuritaire du Makhzen.

Les partis politiques feront dés la rentrée leur campagne habituelle à une semaine des élections en distribuant des billets de 50 Dirhams (4.5 €) et des casquettes et en promettant monts et merveilles. Entre-temps, la compensation des produits de première nécessité (3 milliards d’€), les augmentations salariales des fonctionnaires auront vidé les Caisses de l’Etat et un plan d’austérité devra être mis en place à la rentrée.

Quant aux élections, le parti en tête sera le résultat du consensus, c’est à dire de la tournante décidée par le Palais. Comme on tourne le dos à l’histoire.

Oui mais... jusqu’à quand ?


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