Magazine Bien-être

Sortir de la souffrance - Jacques Vigne (3)

Par Guimay

SORTIR DE LA SOUFFRANCE - (3)

Conférence de Jacques Vigne

donnée le 7 mars 2006 au Centre Culturel Alpha

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Et aussi un autre problème avec la souffrance c'est que paradoxalement on peut y prendre plaisir; il y a une accoutumance à la souffrance. Salingman était un grand psychologue américain, d'ailleurs il est peut-être encore en vie, et il a fait une expérience très simple : il a mis un chien dans une caisse. Le fond de la caisse était une plaque métallique; le dessus de la caisse était une vitre et là, c'est évidemment un peu cruel, il donnait des petites décharges électriques au chien, qui sautait en l'air et voulait s'extraire de cette maudite caisse; et il essayait de sauter en dehors et il se cognait la tête. Et donc, au bout de plusieurs fois, il a compris qu'il y avait une vitre au-dessus et il a arrêté de sauter et il supportait les petites décharges électriques. Bon, il geignait un peu, il n'était pas très content, mais il supportait parce qu'il avait vu qu'il n'y avait pas de sortie, et discrètement, l'expérimentateur a retiré la vitre et a continué à donner des décharges électriques. Et comme le chien avait été conditionné à souffrir, il ne cherchait plus la porte de sortie, C'est plus qu'une expérience, à mon sens, c'est un symbole de la condition humaine; on a des problèmes dans notre enfance, il y a des circonstances familiales spéciales qui ont causé des souffrances, mais finalement, quand on est à l'état adulte, on ne pense plus à sortir de ces souffrances parce qu'elles sont inscrites en nous. On a développé une addiction, une accoutumance à ce genre de souffrance et on est dans la compulsion de répétition, on recommence les mêmes situations indéfiniment. Alors, quand on connaît la psychopathologie, la psychiatrie, c'est très spectaculaire, la manière dont les gens recommencent exactement les mêmes souffrances, soit celles qu'ils ont eues dans leur enfance, soit les souffrances des générations antérieures. Voici le cas d'une personne que j'ai connue, qui était venue à un de mes stages, et après j'étais encore en contact avec elle, j'ai suivi son histoire. Sa mère s'était suicidée en se jetant sous un train, à l'âge de 34 ans. Elle paraissait aller assez bien, avant l'âge de 34 ans, quelques mois avant elle s'est mise vraiment à s'emmêler les pinceaux dans son propre esprit, elle faisait une sorte de thérapie, elle a arrêté parce que ça ne marchait plus, et 3 jours avant l'anniversaire de 34 ans, elle est tombée en dépression et s'est arrêtée de travailler. Et quand je lui ai dit, mais regarde ta mère, à 34 ans, elle s'est suicidée sous un train, est-ce que tu ne crois pas que toi à 34 ans, tu as peur que ça recommence, tu rejoues cela. Elle disait "non, non, c'est des conneries ce que tu racontes" et en plus, elle était thérapeute ... Donc quand on est pris dans une répétition, ce qu'il y a de très frappant, c'est qu'on ne s'en aperçoit pas et à ce moment-là on se fait embobiner dans cette répétition et, il y a pas mal de gens qui disent, on peut avoir toutes sortes de désirs, y compris les gros désirs, l'important c'est qu'on en soit conscient. Et là, en tant que psy, je ne suis pas d'accord, parce que la nature du désir c'est justement d'aveugler la conscience. C'est prouvé dès le premier âge: quand on prend un nourrisson en train de téter, il ne voit plus et il n'entend plus. Alors que dans un état normal, on fait « gouzou, gouzou » et il tourne la tête, ou alors on fait un petit bruit, il tourne parce qu'il entend. Quand il est en train de téter, on peut faire ce qu'on veut, lui il tète, et l'important c'est le sein de sa mère; il ne verra rien en dehors. Et quand on est adulte, on reste finalement nourrisson, quand on a de gros désirs, à ce moment-là, on oublie tout pour suivre ces gros désirs et finalement ça nous aveugle. Pour en revenir à Salingman, qui avait fait cette expérience à l'accoutumance à la souffrance chez le chien, ensuite il est devenu président d'une association de psychothérapeutes aux Etats-Unis et dans son discours d'ouverture, il les a attrapés. Il leur a dit : regardez les chiffres, on a fait 30 000 études sur la dépression et on n'a fait que 300 études sur le bonheur. Qu'est-ce qu'on cherche? A tourner toujours dans la dépression ? Ou est-ce qu'on cherche à rendre les gens heureux ?

Ça, c'est très important, et il faut prendre au sérieux la perspective du Bouddhisme et de l'Inde, qui disent que la base de notre mental, c'est être conscience et félicité, c'est ce qu'on dit dans le Vedanta et l'Hindouisme ou alors dans le Bouddhisme tibétain, c'est vacuité, claire lumière et félicité de nouveau. La vacuité correspond à l'être, c'est ce qui n'a pas de forme, et puis la claire lumière, ça correspond à la conscience et donc il y a cette base de bonheur qui est en nous et il faut tout le temps revenir à cette base dans la perspective spirituelle de l'Inde et dans le Christianisme; ils ont plus ou moins la même idée, quand ils disent qu'on a un héritage divin, qu'on est les fils de Dieu; on a un fond de bonheur qui est en nous et c'est un peu comme l'eau dans un étang, mais par-dessus il y a des herbes aquatiques qui sont emmêlées, et ça c'est notre mental. Ce qu'on dit dans le Vedanta, c'est qu'on peut pousser d'un seul bloc les herbes aquatiques pour voir l'eau tranquille qui est par-dessous, c'est à dire le Soi qui est par-dessous. Dans le Vedanta, c'est repousser d'un seul coup le mental; dans la psychologie habituelle on dit qu'il faut démêler le mental, fibre par fibre, mais dans le Vedanta, on explique des méthodes pour repousser d'un seul bloc. On ne peut pas dire que ça se fasse instantanément, c'est quand même l'esprit du vedanta; un grand sage de l'Inde disait : quand vous jetez une poubelle, vous n'allez pas analyser, ça c'est la peau des bananes, ça c'est le marc de café, ça c'est la pelure de pomme, non, vous jetez tout d'un coup. Et il dit, le Vedanta c'est pareil, vous apprenez à vous débarrasser du mental d'un seul coup d'un seul. Alors on peut se dire, comment faire? Ça c'est toute la Sadhana du Vedanta, on étudie les textes, on réfléchit dessus, on médite dans ce sens-là, et petit à petit on développe cette capacité. Alors pour parler un peu des Bouddhistes, il y a Matthieu Ricard qui a passé longtemps en milieu purement tibétain. Il a éprouvé le besoin d'écrire un bouquin pour les Français. Je crois que le titre c'est « Une philosophie du bonheur » et donc il a mis le doigt directement sur l'importance de poser la question du bonheur, et en tant que tel, pas simplement comme l'inverse de la dépression; de la psychopathologie, mais le bonheur en tant que tel, comment est-ce qu'on peut le développer positivement? Il y a aussi Thich Nhat Hanh, notre maître vietnamien qui vit souvent au village des Pruniers en Dordogne, non, c'est plutôt Lot-et-Garonne; à propos des voies spirituelles, il dit quelque chose de très simple : si vous pratiquez une voie spirituelle et qu'elle ne vous rend pas heureux, changez-en. Il faut que ça marche, les méditations, les pratiques spirituelles, c'est fait pour être efficace; si vous sentez que ça ne vous réussit pas, ce n'est pas forcément la faute de la voie spirituelle, ça peut être que vous n'êtes pas en phase avec cette voie spirituelle à ce moment-là, et il faut en essayer une autre. Le propre de ces voies spirituelles, c'est le bon sens du Bouddha, c'est de nous tirer de la souffrance, il faut que ça marche, sinon il ne faut pas hésiter à aller voir ailleurs...

(à suivre)

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Source texte : VIGNE Jacques. Conférence : sortir de la souffrance [en ligne] (page consultée le 19 juillet 2011). Adresse URL : http://amis.univ-reunion.fr/amis/index.php?option=com_jevents&task=icalrepeat.detail&evid=350&Itemid=83&year=2006&month=03&day=07&title=sortir-de-la-souffrance&uid=93cf60a1fd51491097c2677c27f38058


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