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Confection d'une Anthologie

Par Blogegide

Dans son article saluant la parution de l'Anthologie de la Poésie française présentée et préfacée par André Gide, Emile Henriot faisait remarquer que le choix deGide se présentait « un peu comme un testament. » Laconfection – osons ce mot puisqu'elle se veut un remède littéraireau dosage quasi pharmaceutique – de l'Anthologie s'étaleentre 1937 et 1949. « D'un bout à l'autre de ces douze ans lesgoûts poétiques de Gide sont restés les mêmes, mais le regardqu'il porte sur la littérature et sur le monde a changé : le livreest presque d'outre-tombe », note pour sa part Michel Muratdans Les anthologies de la poésie française d'André Gide et Marcel Arland.
Confection d'une AnthologieOnpeut suivre cette difficile confection au travers de lacorrespondance de Gide mais surtout de son Journalet des Cahiers de la Petite Dame.C'est en novembre 1937 que Maria Van Rysselberghe nous apprend que« Schiffrin veut faire, dans la collection de la Pléiade qu'ildirige, une anthologie de poètes et qu'il lui a demandé de lacomposer et d'en écrire la préface. » C'est à ce moment-làune chose encore assez neuve si l'on en croit Michel Murat : « L'idéede rassembler en un volume la totalité de la production nationale,en y incluant les contemporains, et donc en confrontant ceux-ci auxclassiques, ne semble avoir tenté ni les éditeurs, ni les écrivains: on la voit poindre à la fin des années 1930, et s'imposer presquebrusquement au lendemain de la débâcle. »
Le 26 avril 38, quelques jours aprèsla mort de Madeleine, Maria Van Rysselberghe encourage Gide à allerse reposer au foyer de Pontigny, où la bibliothèque l'aiderait àcomposer son Anthologie. Le 25 mai elle note qu'il veut faireappel à Jean Schlumberger pour piocher dans Villon à qui il veutfaire « une part de roi ». Gide commence à dresser lesgrandes lignes, les grandes lignées qui seront le squelette dulivre. Le même soir il déclare à Schlumberger :
« J'ai été ébloui par lesbeautés qu'il y a dans Malherbe; j'accorde qu'elles sont peunombreuses, mais de quelle qualité ! Et tellement significativespour le génie français : c'est la ligné Mallarmé, Valéry –tandis que Ronsard, c'est la lignée Hugo. »
Une première version de l'Anthologies'élabore assez facilement si l'on en juge par cette autre entréedes Cahiers de la Petite Dame datée du 30 mai 1938 :« Le soir il a travaillé à son anthologie, s'y est lavél'esprit comme il dit. » Mais la guerre vient interrompre tousles projets. En 1940, dans le Midi, il reprend l'écriture de lapréface comme l'indique le Journal à la date du 26 août1940 :
« Comment tout à la fois, lesjournées me paraissent-elles si tragiquement courtes et ne sais-jecomment les emplir ? N'est-ce pas à cela surtout qu'il fautreconnaître que je vieillis ? Si seulement je pouvais m'atteler àquelque long travail... ! J'ai tâché de me remettre à la préfacede l'Anthologie ; mais j 'ai tant de mal à formuler la moindrepensée, qu'il me semble que je ne sais plus écrire. Tout ce quej'éprouve à présent est trop loin des mots; je piétine dans lessables mouvants de l'indicible. »
Et l'achève, dans cette premièreversion tout du moins. Fin août - début septembre 40, la préfacefait partie des lectures à haute voix du soir à La Messuguière,chez Loup Mayrisch, où se trouve également Alexis Curvers. Mais lechoix de textes n'est pas encore terminé puisque, toujours selon lesnotes de Maria Van Rysselberghe, Gide envisage en mai 41 unaller-retour à Paris avec Catherine, pour lui montrer la villeoccupée, et avec Henri Thomas qui pourrait l'aider dans sesrecherches pour l'Anthologie. Le 7 octobre dans le Journal,on retrouve Gide dans une chambre de l'Hôtel Adriatic de Nice. Unechambre agréable - « j'y travaille, ce qui me fait accepterqu'elle coûte un peu cher » - où il écrit deux « visitesde l'interviewer » au courant de la plume et espère pouvoir seremettre à la préface de l'Anthologie.
Elle est toujours dans ses bagageslorsqu'il embarque en mai 42 pour l'Afrique du Nord. Le Journalen donne l'évolution : le 7 février 1943 Gide est en proie à ungros rhume... et à Victor, mais « Malgré moi, je me sens enassez bonne humeur de travail, que j'occupe à la préface de monAnthologie ; mais j'en suis trop souvent distrait, et, ausurplus, me fatigue vite. » Le 19 février il préfère sereplonger dans la préface plutôt que de faire la queue devant unmagasin pour la crème de datte qu'il aime tant. Sidi-bou-Saïd,Alger, Tunis, Fez, Gao, à nouveau Alger où la Petite Dame vient leretrouver en avril 45, puis le retour en France et de nouveau desvoyages, Italie, Egypte, Liban, Allemagne, Autriche, et enfin laSuisse où le 28 décembre 46 une note lapidaire du Journalannonce :
« A Genève : Préface àl'Anthologie Scénariod'Isabelle »
C'est la seconde partie de la préfacequi vient d'être achevée, celle dont la Petite Dame dira, le 15 mai 47 dans ses Cahiers :« Gide nous lit la fin de sa préface de son Anthologie,intéressante et désespérée, et d'autant plus intéressante querien ne la laissait prévoir. » Oui, l'Histoire est venue sefaufiler entre temps dans l'histoire littéraire, et si sur le fondGide ne concède rien de ses vues esthétiques, il ajoute quelquesconcessions politiques à ses choix et le fait savoir. Mais ce choixn'est toujours pas arrêté définitivement puisqu'en juillet 47 ilrappelle à Maria Van Rysselberghe qu'il attend toujours laprésélection qu'elle doit opérer dans Verhaeren et Laforgue.« Pierre [Herbart] et moi repêchons Tristan Corbière »,ajoute-t-elle.
Fin février 1948 une première listeest proposée qui s'avère trop maigre pour un volume de la Pléiade: il faut la rallonger ! Jean Lambert, qui a épousé Catherine deuxans plus tôt, l'aide à « revoir les épreuves, complétercertains choix, en changer d'autres, etc. Jean s'ingénie à ledécharger de toutes les corvées, et leur collaboration paraîtaisée, harmonieuse », lit-on encore dans les Cahiers de laPetite Dame. Le Journal confirme cette bonne entente etannonce, le 11 juin 1948 « mis la dernière main àl'Anthologie », dernière main ou presque puisqu'enseptembre 48 ont encore lieux quelques « derniersarrangements » avec Lambert.
L'entrée du 27 mai 49 du Journal deGide proclame enfin la parution de l'Anthologie. Il faut laciter entièrement parce qu'elle explique aussi, en partie, commentGide a fait ses choix en dépit de, malgré lui, oumalgré l'auteur. Auteurqui en l'occurrence est Jammes, moqué pour sa piété naïve jusqu'àl'impiété, selon Gide...
« L'Anthologie tant attendue aenfin paru. Grosso modo, très satisfait; et surtout,peut-être, de n'avoir pas trop fait prévaloir, me semble-t-il, mongoût personnel. J'espère avoir produit au jour nombre de menuespièces exquises, qui méritaient d'être connues et que je ne voyaiscitées nulle part.Ce matin je m'achoppe au poème deJammes particulièrement réussi : « II va neiger dans quelquesjours... » Qu'est-ce que veut dire, qu'est-ce que peut bien vouloirdire :
Et les nombresQui prouvent que les belles comètesdans l'ombrePasseront, ne les forceront pas àpasser.
Oui; c'est exquis,charmant, et d'autant plus idiot que cela vous prend un air deprofondeur. Mais tout Jammes est là; toute l'absurdité de sacroyance. Ces « nombres » mêmes sont de l'ordre de Dieu; sontDieu. Cela signifie, indistinctement, que Dieu (le Dieu de Jammes)est toujours à même de faire un miracle, de ne pas se sentiratteint par les lois qu'il a proprement instituées. C'est Josué,Dieu aidant, capable d'arrêter le soleil. Un tel propos me paraîtd'une outrageante impiété; n'est sauvé que par son inconscienteincongruité poétique. Le bon Dieu de Jammes serait libre de faireque tel triangle n'ait pas ses angles égaux à deux droits ?...Absurde! Absurde! Attentoirement absurde. Inutile d'insister. Cepetit poème n'en reste pas moins l'un des meilleurs de Jammes. »

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