Inquiétude sur la Turquie

C'est Florent (Mars Attaque) qui nous le signale sur FB : le CEMA, le CEMAT le CEMAA et le CEMM trucs ont démissionné collectivement (voir ici). C'est le dernier développement de l'affaire Ergenekon, mais qui dénote quelque chose de plus inquiétant, à mon avis.

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1/ Certes, on peut se féliciter de voir que les pouvoirs exceptionnels de l'appareil militaire sont mis au pas et donc normalisés : c'est la version rose du processus en cours. Ainsi, les passe-droits militaires, mis en place à la faveur des coups d'états militaires (1960 et surtout 1980), sont résorbés. On notera que le pouvoir militaire n'est donc pas contemporain du kémalisme, même s'il a voulu en prolonger la doctrine.

2/ IL reste que cette démission est surtout le dernier épisode d'une lutte sans-merci du pouvoir en place, qui a su utiliser le procès Egrenekon pour mettre à bas tous ses adversaires : procès dont la légalité et les arguments sont plus que sujets à caution, et qui ne répond pas aux canons des démocraties avancées.

3/ Surtout, il laisse l'AKP sans aucun contre-pouvoir, alors que ses pouvoirs (obtenus démocratiquement) étaient déjà énormes.

4/ On remarquera enfin que l'AKP n'a pas su résoudre la question kurde et que les dernières élections ont vu les indépendantistes kurdes reprendre du poil de la bête et redevenir une opposition, alors qu'ils avaient soutenu l'AKP à ses débuts (voir billt ici sur les rapports AKP PKK) ; que le rapprochement avec l'Arménie, dont nous nous étions félicité, a tourné court ; que les relations avec l'UE sont plus que tendues (billet), la Turquie ayant même lancé une sorte d'ultimatum envers la prochain présidence chypriote de l'Union (voir ici); sans même parler des relations plus que difficiles avec Israël, la Syrie, et même la Grèce (franchissements massifs de clandestins à la frontière de Thrace). J'avais parlé d'un néo-ottomanisme : il n'est finalement pas si brillant, quelques mois plus tard. Et la modernité de l'AKP a pris un coup de vieux.

5/ Dès lors, il y aura sans nulle doute deux lectures occidentales, toutes deux très idéologisées :

• la première dira que c'est la faute de l'UE, qui n'a pas su être assez généreuse pour accueillir la Turquie lorsqu'elle était demandeuse, et qu'en fermant nos portes, on l'a rejettée dans les limbes du fanatisme
• l'autre dira qu'on a bien eu raison de ne pas les accueillir, car dès qu'ils ont été dans la difficulté, ils sont revenus à des manières d'autocrates

6/ Je ne suis convaincu par aucune des deux : en fait, je crois qu'il faut faire attention à la personnalité de M. Erdogan, le premier ministre turc. J'ai l'impression que le cours des choses lui doit beaucoup, et qu'il porte une responsabilité grande dans l'épuisement du modèle démo-musulman turc et son évolution vers une sorte d'autocratisme. Peut-être suis-je trop alarmiste.

7/ Il reste que cette évolution est simultanée à l'explosion des révoltes arabes, avides de démocratie. Avez vous remarqué que si à l'origine du printemps arabe, beaucoup de commentateurs ont loué le modèle turc, on n'en entend plus beaucoup de nos jours ? comme si le démo-musulmanisme était épuisé avant même d'être arrivé à maturité. Je seras FM (Frère musulman), je m'inquiéterais.....

Réf : tribune de Genève et Turquie européenne.

O. Kempf