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L’Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde

Par Ledinobleu

Couverture d'une édition de poche du roman L'Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde« Cette nuit-là, j’étais parvenu à une fatale croisée des chemins. Aurais-je appréhendé ma découverte avec plus de hauteur d’âme, aurais-je tenté l’expérience sous les auspices de généreuses et pieuses aspirations, tout aurait été différent et, de ces souffrances de la mort et de la renaissance, je serais sorti en ange et non en démon. La substance chimique n’avait aucun pouvoir moral, elle n’était ni diabolique ni divine ; elle se contentait d’ébranler les portes de ma prison personnelle et, à l’instar des captifs de Philippes, le détenu s’en évadait. À cette époque, ma vertu était endormie, et ma dépravation, éveillée par l’ambition, s’empressa de profiter de l’occasion. Le résultat fut Edward Hyde. En conséquence de quoi, je possédais désormais deux personnalités et deux apparences, mais l’une était entièrement mauvaise, et l’autre restait le bon vieux Henry Jekyll, cet amalgame hétérogène dont j’avais déjà renoncé à ce qu’il changeât pour s’améliorer. À partir de là, les choses ne pouvaient donc qu’empirer. » (1)

Comme nombre d’auteurs classiques d’une époque pas si lointaine, Robert Louis Stevenson s’aventura sur les rives de la science-fiction au moins une fois : dans L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, il présentait comme protagoniste principal un savant ayant mis au point une substance capable de faire surgir des tréfonds de son âme un autre lui-même qui se moque des conventions sociales au point de se montrer capable de toutes les extrémités et de tous les maux ; un autre lui-même non seulement dépourvu de la moindre compassion envers la détresse de ses semblables mais qui prend aussi un malin plaisir à voir leurs souffrances – bref, ce qu’on appelle de nos jours un psychopathe, même si ce terme est un peu galvaudé.

Si cet ouvrage repose sur un concept depuis longtemps central dans les cultures occidentales, celui de la nécessité pour chacun de pouvoir établir une distinction nette entre le « bien » et le « mal » afin de pouvoir vivre en société, et s’il illustre donc à merveille le conflit interne que cette distinction implique, il s’affirme aussi comme une œuvre majeure de la littérature d’épouvante, un classique du genre ; on peut aussi évoquer dans la liste de ses qualités un style ciselé avec grande finesse en plus de se montrer très facilement accessible, y compris par un lectorat jeune, ainsi qu’un scénario complexe dont les multiples rebondissements le rendent tout à fait comparable aux thrillers d’aujourd’hui.

Mais la richesse de cette œuvre se mesure aussi à sa dimension psychanalytique, faute d’un meilleur terme, puisque cet « autre » auquel le Dr Jekyll laisse place représente bien sûr l’inconscient tapi en chacun de nous et qui abrite nombre de choses dont nous préférons ne pas connaître l’existence. On peut d’ailleurs aussi y voir une représentation de cet archétype démontré par Jung qui représente une partie de la psyché formée de la part individuelle refoulée et qui se trouve à l’origine de nombreux conflits psychiques : « la part d’ombre » dont le nom pour le moins évocateur colle à merveille au propos de ce récit en particulier et de son ambiance unique.

Plus qu’une histoire d’épouvante, toute aussi sophistiquée soit-elle, L’Étrange cas… s’affirme surtout comme une allégorie sur une des composantes de l’esprit humain qui conditionne le plus notre vie de tous les jours, et sans même qu’on soit conscient de son existence. On peut d’ailleurs mesurer la pertinence de son propos et la finesse d’esprit de son auteur au fait que ce concept n’était pas encore exprimé en termes scientifiques quand Stevenson écrivit cet ouvrage : ainsi, L’Étrange cas… se place-t-il dans la lignée de ces mythes grecs tels que celui d’Œdipe qui, il y a plusieurs millénaires, illustraient déjà nombre de nos travers.

(1) ce quatrième de couverture a été emprunté à une édition plus récente de cet ouvrage que celle présentée ici ; elle est aussi plus chère, voilà pourquoi je lui préfère celle retenue pour cette chronique…

Adaptations :

Le nombre d’œuvres, qu’il s’agisse de films, de chansons, de BD ou de jeux vidéo, s’inspirant plus ou moins librement de ce récit atteint de tels sommets qu’il paraît difficile de les lister toutes ici ; on conviendra néanmoins qu’une telle popularité parmi les autres auteurs, tous médias confondus, et y compris jusqu’à une époque récente, démontre bien la place centrale de cet ouvrage dans la littérature occidentale récente.

L’Étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde
(The Strange Case of Dr. Jekyll and Mr. Hyde)

Robert Louis Balfour Stevenson, 1886
Marabout, collection Folio Classique, juillet 2003
171 pages, env. 5 €, ISBN : 978-2-070-42448-1


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