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Psychiatrie : les malades abandonnés

Publié le 01 août 2011 par Lana

L’auteur

Danièle Gilis, médecin de santé publique, dirige le Centre de santé municipal d’Ivry-sur-Seine

La situation des malades mentaux en France est indigne. Face à une réduction des capacités d’accueil en hôpitaux psychiatriques, les malades se retrouvent souvent à la rue ou en prison.

Psychiatrie : les malades abandonnés

Wrangler / Shutterstock

Un sans-abri, ou bien un schizophrène exclu par le système de santé ? Un tiers des sans domicile fixe souffrent d’une maladie mentale grave.

Il y a des chiffres qui restent dans l’ombre, que l’on évite d’ébruiter, comme pour ne pas affronter l’étendue des problèmes qu’ils recouvrent. Ainsi, d’après une enquête menée par le samu social de Paris et l’inserm en 2009, 32 pour cent des sans domicile fixe souffrent d’un trouble psychiatrique sévère. Chez les 18-25 ans, ils sont 40 pour cent. Non que la maladie résulte de la condition de sans-abri – les troubles psychiatriques constatés ne se développent pas, pour la plupart, au contact de la précarité. Ces troubles sont souvent préexistants, et devraient être traités comme il se doit. Simplement, les « fous », comme on les nommait autrefois, n’ont plus leur place dans la société civile.

Lorsqu’ils ne dorment pas sous les ponts, on les trouve en prison. En 2004, le bureau d’études en santé publique cemka-eval, a réalisé, auprès de détenus, une enquête sur la prévalence des troubles psychiatriques en milieu carcéral, à la demande de l’Administration pénitentiaire et de la Direction générale de la santé. Les chiffres obtenus sont inquiétants. Les troubles anxieux apparaissent les plus fréquents (56 pour cent), suivis des troubles de l’humeur encore dits troubles thymiques (47 pour cent). Par ailleurs, 34 pour cent des détenus présentent une dépendance aux drogues et parfois également à l’alcool et 24 pour cent un trouble psychotique.

Que la société ne veuille pas voir ses malades mentaux, les excluant de facto, voilà qui ressemble étrangement à un retour en arrière. En effet, la santé mentale a été prise en compte au xviie siècle par une politique d’enfermement dans les hôpitaux généraux très bien décrite par Michel Foucault dans Histoire de la folie à l’âge classique, publié en 1961. Cette organisation avait surtout pour but de garantir l’ordre public : il fallait cacher ceux qui encombraient les rues. Étrange miroir inversé : autrefois, on créait des asiles pour vider les rues de leurs malades mentaux, aujourd’hui les asiles ferment et les rues se remplissent de ces mêmes infortunés…

Avant de chercher le coupable, rappelons qu’il n’y a pas de fatalité. Un monde où les malades mentaux sont intégrés à la société est possible. Cette situation a existé durant une trentaine d’années environ, à compter des années 1950. À cette époque, l’arrivée des neuroleptiques a permis de soulager enfin une partie des souffrances mentales, et a facilité la réflexion sur une politique de sectorisation de la psychiatrie qui permettait de maintenir les patients à domicile. C’est ainsi qu’ont été créés les Centres médico-psychologiques. Ils devaient permettre aux malades de consulter près de chez eux sans qu’ils soient obligés de se rendre dans les grands hôpitaux qui faisaient peur. Médecins et infirmiers pouvaient les recevoir dans un cadre plus accueillant, ou se rendre à leur domicile quand le patient avait du mal à se déplacer. Ce n’était pas une utopie : j’ai vu fonctionner un système de ce type jusqu’au début des années 1980 dans certains secteurs psychiatriques, dont celui de Choisy-le-Roi.

Une situation qui se dégrade

J’ai vu des soignants tisser des liens avec une malade en parlant avec elle à travers la porte de sa chambre, close depuis plusieurs années. D’autres accompagner une jeune mère très handicapée sur le plan relationnel, pour qu’elle fasse connaissance en service de réanimation avec ses jumeaux. À cette époque, nous voulions laisser les malades mentaux dans leur lieu de vie. Nous rejetions l’enfermement dans les « asiles » et incitions les bien-portants à cohabiter avec les malades au sein de leurs quartiers et de leurs villages. Nous prenions exemple sur nos collègues belges qui, depuis le Moyen Âge, organisent la vie avec leurs malades mentaux, au sein des villes.

Alors, comment expliquer la régression que nous décrivent, chiffres à l’appui, des enquêtes comme celle de l’inserm ? Le problème est qu’au cours des années 1980, le discours sur l’accompagnement des malades dans les Centres médico-psychologiques ou à domicile a été repris au plus haut niveau avec un autre objectif : celui de fermer des lits d’hôpitaux, car ils coûtent trop cher. Aujourd’hui, environ 75 pour cent des adultes et 97 pour cent des enfants et adolescents soignés dans les services publics de psychiatrie ne sont jamais hospitalisés ; ils sont suivis en ambulatoire, dans des lieux rattachés au même « secteur ». Un tel désengagement de l’hôpital n’aurait de sens que si les structures de proximité permettant aux malades d’être accompagnés au quotidien étaient totalement opérationnelles, et si les médecins et infirmiers des Centres médico-psychologiques pouvaient aller rendre visite aux patients en rupture de soins. Or c’est loin d’être le cas.

De nombreux centres ambulatoires manquent aujourd’hui de psychiatres qui sont en nombre insuffisant, et surtout de lieux de vie alternatifs, tels les centres de crise ou les appartements thérapeutiques. Les malades mentaux, au milieu de cette déstructuration du système de soins, n’ont plus d’asile pour les accueillir.

La responsabilité de la société

Selon leur milieu social et leurs symptômes, on retrouve alors les malades mentaux, soit chez eux et non soignés, soit dans la rue livrés à l’errance, soit encore en milieu carcéral s’ils ont commis des délits liés le plus souvent à leur état mental. Que se passe-t-il dans le premier cas, à domicile ? Bien souvent, l’entourage, non soutenu par les soignants, condamne le malade à l’isolement. Ce dernier se trouve alors dans l’incapacité d’entreprendre les démarches nécessaires pour percevoir ses droits. Dans une société très organisée, mais souvent technocratique, monter un dossier de retraite, obtenir une allocation d’adulte handicapé, voire simplement payer son loyer, exigent de grandes compétences que ces malades n’ont plus – si tant est qu’ils les aient jamais eues.

Souvent, on découvre la situation de ces malades quand les bailleurs s’inquiètent de ne pas être payés, quand les voisins sont gênés ou inquiets de comportements bizarres, lorsque les problèmes d’hygiène sont tels que des odeurs, voire des insectes font penser qu’une personne malade est en cause. Au mieux, les services d’hygiène ou les services sociaux se rendent chez l’habitant pour le convaincre de rencontrer des soignants. Mais une assistante sociale ne peut se rendre au domicile d’une personne et entreprendre des démarches que si cette personne a été déclarée vulnérable. Et même quand l’autorisation est obtenue, il est de plus en plus rare qu’un psychiatre puisse faire une évaluation psychiatrique, le Centre médico-psychologique ne disposant que très rarement d’une équipe mobile.

Quand aucune prise en charge n’est possible, la situation du malade continue à se dégrader : il se retrouve expulsé, à la rue, voire en détention. Depuis que nous avons fermé les lits hospitaliers, beaucoup de malades mentaux vivent dans la rue ou en prison. C’est la place que nous sommes en train de leur assigner. Éviter que la situation ne s’aggrave, sauver ce qui peut encore l’être et espérer un retour à la situation plus humaine que nous avons connue il y a 50 ans, suppose de considérer la santé comme une question de société, de solidarité et d’éthique. La rentabilité économique ne peut pas, ne doit pas être l’unique objectif de notre politique de santé publique. ■

http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/f/fiche-article-psychiatrie-les-malades-abandonnes-27179.php?chap=1


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