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La Conquête ; Pater

Par Alex75

La Conquête ; Pater 

“La Conquête”, long-métrage de Xavier Durringer

Avec Denis Podalydès, Bernard Lecoq, Florence Pernel

Le premier effet n'est sans doute pas celui que désirait Xavier Durringer, le réalisateur de La Conquête, long métrage qui retrace le parcours qui a mené Nicolas Sarkozy du ministère de l'intérieur au palais de l'Elysée. Quand Denis Podalydès, grimé, prend sa voix présidentielle, on oublie homme d'Etat et acteur pour penser d'abord aux marionnettes satiriques, puis au Musée Grévin. Ce qu'il dit n'a rien de comique (il essaie désespérément de joindre sa femme au téléphone), mais l'effet initial est celui d'une imitation de la réalité, qui ne suscite d'autre question que : “Est-ce ressemblant ?”

A chaque fois qu'un nouveau personnage surgira, on interrogera son pantalon haut perché sur la bedaine et sa gomina, ou sa chevelure argentée et son nasillement, et l'on répondra : Jacques Chirac, Dominique de Villepin (ou Jean-Louis Debré, Bernadette Chirac, Claude Guéant, Rachida Dati…). Cette impression, qui évoque un peu le numéro de cabaret à l'ancienne (il s'agit de travestissements réussis), s'estompera par la suite sans jamais se dissiper tout à fait.

Le scénario de La Conquête va et vient entre cette journée du 6 mai qui vit le triomphe politique et la défaite amoureuse du président, et la longue marche qui y a conduit. Là encore, le récit est construit par juxtapositions : la campagne politique de Nicolas Sarkozy, la tentative de défense du camp chiraquien et les difficultés conjugales du candidat. Ce morcellement devrait composer une mosaïque dont émergerait l'image d'un homme pris entre son appétit de pouvoir et sa passion conjugale. Il ne fait l'effet que d'un montage de morceaux choisis de l'actualité politique française, le grand zapping de Nicolas Sarkozy.

Chaque étape - le passage de l'intérieur aux finances et la prise de l'UMP en 2004, la gestion de l'affaire Clearstream - est énoncée de façon à ce qu'elle trouve sa place dans la chronologie, mais sans que sa représentation apporte quelque compréhension supplémentaire à ce qu'a déjà raconté ou expliqué la presse, écrite et parlée, la littérature d'actualité et même le cinéma (Le Bal des menteurs, de Daniel Leconte, 2011).

Effets faciles

Cette incapacité à décoller des faits pour entrer dans le domaine de la fiction tient aussi bien à la mise en scène de La Conquête, aux effets souvent faciles (comme ce plan montrant MM. Chirac et Villepin cheminant sur la pelouse de l'Elysée vers la caméra) qu'au montage agité - à l'image du personnage principal - et aux dialogues faits de citations et de reconstitutions.

Malgré ces insuffisances, il reste des raisons d'aller voir La Conquête. La nouveauté du projet brise la réticence (qui confinait à l'impuissance) du cinéma français à s'attaquer à la vie publique du pays. La question de l'incarnation de personnages publics contemporains a beau se solder - pour ce spectateur-là - par un échec, elle est prise à bras-le-corps, et les acteurs osent changer de voix et d'accent, brisant un autre tabou de l'industrie locale. Ces jours-ci, la transgression du sacro-saint domaine privé des hommes politiques, assumée gaillardement tout au long du film, prend une résonance nouvelle.

Enfin, la responsabilité de donner une cohérence à ce florilège de moments politiques et privés incombe entièrement à un seul homme, Denis Podalydès. Parce que son personnage occupe l'écran plus longtemps que les autres, et parce que c'est un acteur d'exception, il parvient à douer son président d'humanité. Ce n'est pas une humanité très sympathique - rancunière, impulsive, bravache… Mais elle est contradictoire, changeante, humaine, quoi.

Le 6 mai 2007, au second tour de l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, sûr de sa victoire, reste cloîtré chez lui, en peignoir, sombre et abbattu. Entre deux coups de téléphone à son épouse, Cécilia - qui le fuit -, plongé dans sa solitude, il se souvient des cinq années qui ont précédé, depuis sa nomination à l'intérieur en 2002. Ainsi débute le film “La Conquête“, la dernière fiction politique de Xavier Durringer, sortie le 18 mai dernier, et qui n'aura pas été épargné par les critiques, en général négatives.  

Et j'irai plutôt dans le sens général, de ce point de vue… Mais ”La Conquête“ ne pouvait être à coup sûr, qu'un très mauvais film, scénaristiquement parlant, en dépit d'une belle distribution d'acteurs, de Denis Podalydès à Dominique Besnehard, en passant par Bernard Lecoq. Car il traite d'un sujet, que l'on a sous nos yeux depuis quatre ans, en permanence… Le film se contente ainsi d'illustrer sagement, ce que l'on sait déjà, avec sa galerie d'acteurs-sosies… “La Conquête” est en fait, un film sur le téléphone portable, dont le personnage central est un portable, auquel les hommes politiques, Villepin, Sarkozy et consorts, ont l'oreille constamment rivée, comme un film publicitaire sur les forfaits de téléphonie mobile… Les rares scènes d'intimité ont déjà été évoqué dans différents livres, articles de presse, la plus intéressante étant sans doute, celle où Nicolas Sarkozy prépare un discours avec Guaino, et où il lui déclame son affection, sa tendresse et toute son admiration. Mais cela donne l'impression d'une re-dite, d'une répétition, tant toutes ses scènes ont déjà été vues, relatées, répétées. Si l'on regarde d'un peu plus près, sur le plan du jeu, nous avons des personnages qui s'animent, s'agitent. Le sociétaire à la Comédie française, Denis Podalydès, est plutôt bon dans le rôle du président, donnant parfois dans la caricature, mais en ayant bien repris les mimiques, et les tics de language. De même, Bernard Lecoq s'en sort bien, plutôt crédible dans le rôle Jacques Chirac, pas forcément évident à camper, à l'image d'Hippolyte Giradot qui interprète Claude Guéant et Dominique Besnehard, dans le rôle de Pierre Charon, Samuel Labarthe étant par contre, plus discutable, dans le rôle du premier ministre.

Mais ce film ne nous apprend rien, et si l'on s'intéresse à la politique, encore moins… Nous sommes loin de la trame scénaristique du film de Robert Guédiguian, “Le promeneur du Champ de mars“, sorti en 2005, sur la dernière année de François Mitterrand, aux côtés de Georges-Marc Bénamou. Que l'on soit mitterrandolâtre, ou pas, des pistes intéressantes y étaient lancées, sur la fin d'un chef d'Etat, d'un homme politique, cultivé et lettré, sur une période. Mais dans une approche tragi-comique, ”La Conquête” renverrait plutôt à la Société du Spectacle de Guy Debord. C'est ainsi le spectacle, qui rend hommage au spectacle. Le personnage central est vide, juste habité par son ambition, occupant son néant… Xavier Durringer a fait appel au scénariste et conseiller historique, Patrick Rotman, rendu célèbre par ses trois documentaires en plusieurs volets, sur François Mitterrand, Jacques Chirac, et Lionel Jospin… Mais le pari de Rotman et Durringer est ici manqué, pour un sujet difficile à traiter, sans profondeur, et qui se serait précisément mieux prêté à la réalisation d'un documentaire.


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