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Bertrand Rosenthal : C'est toujours la vie qui gagne

Par Gangoueus @lareus
Bertrand Rosenthal est un grand reporter, ancien responsable de l’AFP dans plusieurs régions du globe, lauréat du Prix Albert Londres pour sa couverture de la guerre de Tchétchénie (avec toute l'équipe de l'AFP Moscou). J’ai eu le plaisir de le rencontrer à l’occasion d’une soirée Afriqua Paris. Grisonnant, l’homme à la voix rauque, le regard qui pétille quand il évoque son métier de reporter, et très attentif quand vous cherchez à tirer les verres du nez de ce personnage de roman. Car c’est ce que représente dans mon imaginaire cette catégorie de journalistes. J’ai sûrement trop lu de romans d’aventure dans mon adolescence.
En abordant les premières chroniques de reporter que présente l’auteur dans ce texte au titre enchanteur C’est toujours la vie qui gagne, je suis d’abord contrarié par le démarrage lent, beaucoup plus basé sur des anecdotes qu’une réelle analyse des différentes situations qu’il couvre. Tchad, Cuba, Roumanie. Alors que je commence à penser que ce journaliste va rester à la surface des choses, le propos se densifie avec l’épisode tchétchène et surtout dans son positionnement en Afrique de l’est qui lui permet d’évoquer le Rwanda, le Burundi, le Soudan, l’Erythrée, l’Ethiopie ou le Kenya et qu’il poursuive son discours sous d’autres cieux, en particulier au Moyen-Orient et aux Caraïbes.
L’esprit mal tourné, je vous livre là ma réflexion au fil des pages, j’ai d’abord pensé qu’il était peut-être plus simple de discourir sur la misère africaine que sur les intrigues de la guerre froide. Il me semble cependant que Bertrand Rosenthal veut partager un regard sur l'état du monde actuel et pousser un coup de gueule sur certains abus. Car le texte commence réellement sur la charge que prononce le journaliste reporter à l'endroit sur ce qu’il appelle le « Charity Business », alors qu’il a posé ses guêtres au Sud-Soudan. Son analyse est une sorte d’écho au propos de Sylvie Brunel par un témoin direct des mécanismes complexes de l’action humanitaire et de son imbrication avec les intérêts politiques des puissances qui les financent et une couverture médiatique parfois sinon souvent orchestrée pour des enjeux mal cernés… La parole de Bertrand Rosenthal semble plus libre à partir de là. Son périple avec Kofi Annan au cœur du génocide rwandais, en particulier la réception volontairement froide par le pouvoir rwandais de l’époque, constitue un prélude intéressant.
Sa couverture du conflit méconnu entre l’Erythrée et l’Ethiopie est très instructive. A chaque épisode, le journaliste est à la fois sur le terrain avec les belligérants et nous fait part de ces rencontres avec des acteurs, sinon auteurs directs de ces conflits, ici Melès Zenawi et Issayas Afeworki. En gros, comment fait-on cent cinquante mille morts sans réelle raison. Bien entendu, les choses sont beaucoup plus complexes avec des orientations politiques et économiques très différents entre ces deux pays liés par l’histoire et par le sang.
La couverture de l’Afghanistan de la période post 11-septembre est particulièrement riche d’enseignement. Les contradictions américaines sont bien relevées, le côté bourrin plus que souligné. Mais c’est aussi un regard sur ce pays historiquement imprenable, intrinsèquement rebelle, ses clans, ses talibans, les statues de Bamyam détruites.
C'est au final une série de chroniques intéressantes, instructives où on suit ce reporter sur des évènements marquants ou ignorés, sous la mitraille, au péril de sa vie.
L'information diffusée quotidienntement a perdu la boussole du bon sens. Plus de relativité, plus d'échelle de valeurs, tout est mis au même niveau dans un immédiat narcissique : 10 malades ici valent mieux que 150 morts ailleurs. Je l'ai vraiment ressenti pour la première fois en revenant du Tchad où je me suis rendu compte qu'il n'y avait qu'un enjeu fondamental: la vie ou la mort. Nos soucis de riches me paraissaient bien bénins.
Nous, médias et journalistes, sommes complices, sans toujours en être conscients, de cette manipulation de la peur, de la trouille, qui fera avaler n'importe quoi au nom du sacro-saint principes de précaution, de la sécurité nationale, personnelle alimentaire, sanitaire, environnementale..., au gré des intérêts en jeu. Son principal avatar reste le racisme, qui n'est qu'une instrumentalisation malsaine de la différence depuis des millénaires; l'autre est responsable de nos maux, l'autre est un danger, l'autre veut ma terre, mon argent, ma mort et celle de ma famille, il faut donc le tuer. Plus facile encore, s'il a une autre couleur de peau, une autre religion, un autre comportement sexuel.
page 144, éditions Choiseul
Bonne lecture!
Bertrand Rosenthal, C'est toujours la vie qui gagneEditions Choiseul, première parution en 2011, 153 pages.

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