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Faites la dictée, pas la guerre

Publié le 03 septembre 2011 par Legraoully @LeGraoullyOff
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Faites la dictée, pas la guerre

Le dimanche matin est ce moment brumeux où le cerveau est la victime expiatoire de la céphalée et des séquelles de l’hommage à Bacchus rendu la nuit précédente,  où l’on peine tant à rassembler ses esprits que c’est l’heure qu’a choisi Dieu pour son comité d’entreprise hebdomadaire. Quand on est plus sensible à la stagnation dans la position du fruit du chêne, aussi appelé glandage, qu’aux nourritures célestes, se fait parfois cruellement ressentir l’absence de partenaire sexuel à nos côtés dans la literie qui semble alors vaste et froide comme les steppes septentrionales de la Sibérie mystérieuse, tant les libations nocturnes nous auront avili au rang de la bête sauvage et réduit nos tentatives de parade nuptiale à de vaines gesticulations frénétiques au milieu desquelles notre vocabulaire a décidé de se passer sans nous en aviser de la moitié des consonnes de l’alphabet.

Fort heureusement, il existe d’autres domaines vers lesquels canaliser notre torrent d’affection dominicale, et dont la variété des positions et la qualité de l’extase finale n’a rien à envier aux feux de Bengale de l’acte de chair sous Picon-bière. Si vous consentez à prendre vos aises, et à vous départir de votre pudeur de première communiante qui éveille mes sens et m’évoque trop le premier paragraphe pour me permettre de me concentrer, je vais vous ouvrir les portes de ce merveilleux royaume de plaisirs sans fin, qui peut se pratiquer en solitaire sans la crainte de l’opprobre de l’éjaculateur précoce qui considère l’amour comme une compétition. Soyez sans crainte, je serai très doux. Tout d’abord, la lexicologie et l’étymologie sont les deux ingrédients de l’aphrodisiaque nécessaire  et préalable au rapport sensuel qui va nous unir à la langue française, qui est une amante généreuse quoique volage pour ne pas dire volatile au sens chimique du mot, même si l’amour peut se pratiquer avec des dindes. Pour la séduire, nul n’est besoin d’apprendre par coeur l’oeuvre monumentale de Balzac, ou de s’infliger la torture de l’oeuvre achélémique de Guillaume Musso (achélémique est un néologisme, autre pratique tantrique de la relation avec le langage, que j’ai forgé sur HLM et sur la misère de la maison Musso). Saisissez-vous d’un mot ou d’une expression, et la langue française vous lancera un regard qui en dit long sur ses intentions. Comme le dimanche matin, on a parfois peu de mots à disposition, revenons à la soirée de la veille, et rémémorons-nous l’échange houleux qui nous a opposé à un client de taverne quelconque qui souhaitait accéder avant nous au comptoir pour admirer la voluptueuse poitrine de la serveuse. Suite à la légère collision provoquée par la perte momentanée de nos centres de gravité respectifs sous l’effet de la vodka, le malotru nous aura invité à perpétuer une charmante pratique  vendéenne qui a permis à Philippe de Villiers et à diverses dynasties déclinantes de régner sur la Vendée depuis des générations. En d’autres termes,  il nous enjoint à nous accoupler avec l’auteure de nos jours , ou je cite : « à niquer nos mères ».

Faisons fi du grossier gredin qui était tellement pris de boisson qu’il ne s’était même pas rendu compte que nous sommes déjà en septembre alors que la fête de nos génitrices n’interviendra qu’en mai, et que la serveuse accorte aux promesses de spécialités folkloriques ibériques était un homme, pour nous intéresser au domaine le plus brûlant de la passion pour le langage, qui est l’injure. A l’instar de la sonnerie de téléphone portable ou de l’éternument intempestif juste avant la pâmoison et le spasme qui justifient les mouvements de bassin réguliers d’un rapport charnel, l’injure mal placée ou mal formulée peut nous brouiller avec notre idiome aux mille caresses. Quand Rabelais, Villon ou Brassens, auteurs de rondes et de sarabandes de jurons pleins de sève pouvaient rédiger d’une traite un KamaSutra de centaines de pages d’invectives foudroyantes et comiques, les proxènètes des vocables contemporains, plus inspirés par une pornographie vulgaire et consumériste que par les jeux de séduction qui font le sel d’une relation, n’utilisent que quelques dizaines d’expressions surgelées visant à émettre des doutes sur notre hétérosexualité ou à nous faire migrer aux Sables d’Olonne. Ces tristes sires dont l’imaginaire érotique est sans doute aussi pauvre que leur vocabulaire ne méritent que le mépris, et seront sans doute condamnés à jouir comme ils s’expriment, c’est à dire en abréviations. Mais quant à nous qui savons que la nuance est l’épice philosophale du rapport à autrui, d’un mot nous aurons fait un voyages de noces et de la fratrie synonymique du mot fiancé  une orgie dans laquelle aucune perversion et aucun rapport de possession  n’aura cours.

Dans un prochain épisode, nous suggèrerons aux adeptes du Marquis de Sade et Sacher-Masoch de se coltiner avec maîtresse Orthographe, qui est sans pitié. Alors, heureux?


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