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Philosophie politique

Publié le 07 septembre 2011 par Galuel
C'est sur le site jusnaturaliste www.contrepoints.org qu'un sujet fondamental a été traité et qui devrait mériter toute notre attention, car on touche là un point très profond qu'il convient de bien comprendre pour voir en quoi et pourquoi l'incompréhension de la nature de la logique produit des réactions plus ou moins violentes qui pourraient être évitées avec un soucis de compréhension de l'autre.
Tout part d'une vidéo d'une enseignante en philosophie qui assène des affirmations péremptoires dépourvues de la connaissance de la nature véritable des systèmes pĥilosophiques, ce qui pose soucis... En effet elle affirme qu'une position d'un étudiant qui nierait la nécessité d'un Etat serait "absurde", niant ainsi la cohérence des courants philosophiques anarchistes ou libertarien. Elle ajoute qu'une thèse qui défend l'idée que "les individus doivent se prendre intégralement en charge", ce qu'elle nomme thèse "ultra-libérale", et qui serait une "provocation". Enfin qu'une position qui défendrait le point de vue que "seule la démocratie est un régime idéal" serait une position "extrême"...
Il s'agit d'un méta-sujet. Le problème vient de l'incompréhension de la nature des modèles logiques ou mathématiques. Une profonde incompréhension de la nature de ce que signifie "vrai" ou "faux", système logique cohérent ou incohérent. Mais que par ailleurs les jusnaturalistes font eux mêmes vis à vis des autres courants libéraux comme le géolibertarianisme et d'autres variations du libartarianisme dont le le libéralisme de gauche. Il faut donc éclaircir ce point d'abord d'un point de vue théorique général sur la nature d'un modèle et la logique, puis plus particulièrement sur les différences particulières entre ces courants libéraux.
Concernant les modèles logiques en général l'exemple historique le plus parlant est celui qui concerne la découverte de la géométrie non-euclidienne (ou différentielle) qui a amené par la suite à la compréhension et la distinction entre axiomes, vérités et cohérence (ce dernier point en 1931 grâce au travail de Kurt Gödel, que l'on peut considérer comme aboutissement de cette révolution, tout autant que point de départ de la théorie de l'information et de l'informatique).
En effet on a donc la géométrie euclidienne qui pose pour axiome (vérité posée "à priori" et base d'un système logique), (a) "deux droites parallèles ne se coupent pas". Quand Gauss affirme qu'il peut bâtir un système logique tout à fait cohérent qui pose (b) "deux droites parallèles peuvent se couper" le débat est lancé, et il est violent car on voit immédiatement que (a) et (b) s'opposent frontalement...
Gauss détruit une "vérité" qu'on croit "absolue" depuis plus de 2000 ans, et qui pour beaucoup de ses contemporains semble n'avoir aucun sens. Et en effet pour un tenant de la géométrie euclidienne, il peut déclarer sans se tromper "la géométrie non-euclidienne est incohérente" puisqu'elle conduit à des théorèmes manifestement faux en géométrie euclidenne. Mais l'inverse n'est pas vrai, au sens de la cohérence, puisque la géométrie euclidienne s'avère être un cas particulier de géométrie non-euclidienne, ses théorèmes sont valables sous certaines conditions. Comme on l'a compris un peu plus tard, cette révolution conceptuelle qui a consisté à nier un des axiomes de la géométrie euclidienne permet de construire des géométries sur des surfaces non planes, comme une sphère et où la somme des angles d'un triangle est supérieure à 180°.
Philosophie politiqueSurface hélicoïde (wikimedia)
Si ces deux modèles logiques sont parfaitement incompatibles l'un par rapport à l'autre, la géométrie euclidienne est cohérente vis à vis de la géométrie non-euclidienne car est n'est qu'une restriction de la géométrie non-euclidienne pour une surface de courbure nulle.
Et cette avancée remarquable a été le fondement qui a permis à Albert Einstein de développer la Théorie de la Relativité Générale en postulant que l'espace-temps physique est modélisable comme une géométrie non-euclidienne dont la courbure est définie par la répartition des masses dans ce même espace, l'expérience appuyant par la suite la très grande pertinence de cette modélisation.
Philosophie politiqueReprésentation de la courbure de l'espace-temps par une masse en Relativité Générale
(Wikimedia)
Et donc on peut de façon très libre définir toute sorte de modèles, cohérents ou incohérents les uns par rapport aux autres, la cohérence étant une notion parfaitement relative, et donc la "vérité", le "vrai" ou le "faux", n'existent pas hors du modèle de référence qui permet de s'assurer que les assertions vraies ou fausses sont conformes ou non conformes au processus d'inférence (démonstrations à partir des axiomes). Sans donc préciser à quel modèle vous faites référence pour affirmer ou infirmer une affirmation vous êtes dans la liberté de choix de ce que vous définissez comme vrai ou faux. Mieux, vous proposez une définition conceptuelle qui peut n'avoir aucun référent dans un autre modèle. Il est donc vain d'affirmer que tel ou tel modèle est "absurde" ou "extrême" ou quoi que ce soit d'autre, si vous ne précisez pas le modèle de référence à partir duquel vous inférez ce résultat.
Passons donc maintenant à nos philosophies politiques. Il semble que dans cette vidéo cette enseignante a pour modèle de référence un modèle de type "autoritarisme socialiste" qui postule que l'Etat est central, fondamental. A partir de ce modèle, il est tout à fait justifié de déclarer qu'une position qui postule que l'Etat n'a pas de sens, que seuls existent des individus qui doivent se prendre en charge, est absurde et que par ailleurs la démocratie n'est pas forcément un modèle de société idéal. Mais l'inverse est vrai. A partir du modèle qui pose pour axiome la négation de la pertinence de l'Etat et qui pose la propriété comme devant être conforme à un autre axiome qui est le droit naturel (jusnaturalisme), bien évidemment, les modèles logiques qui réfutent ces assertions de façon axiomatique ou inférentielle apparaissent absurdes.
Il s'agit donc d'un dialogue de sourds, si chacune des parties ne fait qu'asséner de façon péremptoire des "vérités" qui ne sont que les conséquences de propositions axiomatiques particulières.
Quelle est la position du libéralisme de gauche dans ce débat ? Le libéralisme de gauche pose comme principe fondateur, comme axiome, ni le droit naturel, ni l'existence ou l'absence d'Etat ni l'autoritarisme, mais les libertés. Conformément au fondement du libéralisme liberté signifie non-nuisance. Aussi si droit il y a il doit être librement établi et donc modifiable par les individus par des moyens acceptables (exemple : pouvoir modifier la Constitution par une initiative démocratique), si Etat il y a il doit respecter les individus avant toute chose et ne doit en avantager ou désavantager aucun à commencer par ceux qui travaillent pour lui, donc appliquer un principe général de symétrie envers tous, permettre par exemple la subsidiarité etc... Si autoritarisme il y a ce ne peut être que pour s'assurer de la défense des droits de tous etc...
A partir de là, le libéralisme de gauche ne se prononce pas sur les propriétés individuelles ou le rôle de l'Etat autrement qu'en affirmant que leur existence n'est cohérente avec les libertés que s'ils respectent la non-nuisance vis à vis d'autrui au sein du territoire où s'applique le droit modifiable, donc l'espace-temps qu'il définit. La non-nuisance n'étant par ailleurs aucunement définie de façon absolue mais procéde d'un droit librement établi, modifiable dans le temps selon les générations successives qui le façonnent par accords mutuels, selon des processus de type démocratiques.
On comprendra donc pourquoi le libéralisme de gauche englobe le jusnaturalisme, car tout comme la géométrie euclidienne n'est qu'un cas particulier de géométrie non-euclidienne, il ne s'agit que d'un cas particulier de droit. Mais comme le droit réellement respectueux des libertés de chaque individu ne peut être aucunement un droit "absolu" posé axiomatiquement et qui n'évoluerait pas selon les générations qui l'acceptent librement, le libéralisme de gauche ne peut-être cohérent vis à vis du jusnaturalisme qui ne peut l'intégrer, puisque ayant posé le droit naturel comme base, et pas les libertés.
C'est ainsi que l'on voit dans ces commentaires Lucilio qualifier de "logique rigolote" l'inférence qui prend les libertés pour base. Comme Lucilio est jusnaturaliste et pas libéral de gauche, il définit un droit particulier comme étant absolu et non-négociable, qu'il souhaite imposer à autrui. Il ne reconnaît pas qu'un droit puisse être la manifestation d'un processus d'établissement démocratique qui en serait différent, et ne postule pas que c'est la liberté qui est la base. Tandis qu'ayant la non-nuisance pour base le libéralisme de gauche peut voir apparaître le "droit naturel" comme une possibilité de droit si à la suite d'un processus démocratique véritable il était établi et restait modifiable par les générations futures.
C'est pour cela aussi que les jusnaturalistes ne comprennent pas non plus la Théorie Relative de la Monnaie (TRM), qui définit comme base les quatre libertés économiques et démontre à partir de cette base, que seul un système monétaire à Dividende Universel est compatible avec les libertés. La TRM manifeste de ce fait l'exacte solution du problème de la clause lockéenne dans l'espace-temps. Les jusnaturalistes ont du mal à comprendre le sens des positions de John Locke et Thomas Paine entre autres.
Philosophie politique Dans "Agrarian Justice", Thomas Paine (1737 - 1809) déduit déjà que la propriété terrienne doit, pour assurer les libertés de tous, être compensée par un revenu de base inconditionnel. (image Wikimedia)
Mais il est un fait que le jusnaturalisme étant une théorie non-contradictoire, tout comme l'est la géométrie euclidienne il reprend du point de vue des libertés des argumentaires logiques dont beaucoup de points sont conformes au libéralisme de gauche, et sur beaucoup de ces points il y a des accords inférentiels. Mais le droit naturel étant posé comme base, seuls s'expriment les libertés conformes à ce droit dans ce modèle là, produisant un certain type de nuisances par absence des autres libertés (non-nuisances). Et cela les libéraux de gauche le considère comme incorrect, car définit comme étant un droit non librement établi. Puisque ce sont bien les libertés qui sont base axiomatique du libéralisme de gauche et pas le droit naturel.
C'est du fait de l'incompréhension des fondements des systèmes logiques que les jusnaturalistes ne saisissent pas ce que les libéraux de gauche essayent de leur faire comprendre. Que leur base axiomatique n'est pas un libre établissement du droit et n'est donc que la manifestation de la volonté d'imposer un droit particulier, ce qui ne peut pas être conforme aux libertés qui sont les fondements de l'inférence conforme au libéralisme de gauche... Ce faisant ils n'appliquent pas à eux mêmes ce qu'ils dénoncent chez cette enseignante, ce qui de notre point de vue est la manifestation éclatante de la finitude de leur approche vis à vis des libertés, que nous percevons comme étant beaucoup plus larges, s'intégrant dans un espace-temps où chaque individu(t) doit être considéré.
Notamment ils ne considèrent pas le droit comme s'exerçant dans le temps puisqu'ayant posé un droit absolu non modifiable. Ainsi ils ne considèrent pas comme le font les libéraux de gauche que la liberté doit prendre en compte les générations successives dans leur considération. Ce faisant ils génèrent des nuisances bien définies au sein du modèle des libéraux de gauche qui sont l'expression d'une propriété absolue qui nie le droit opposable à la propriété pour autrui et particulièrement pour les futurs entrants.  Ils sont logiques dans leur propre modèle puisque conformes à leurs axiomes de base constitués par le droit naturel, mais incomplets vis à vis du modèle du libéralisme de gauche (distinction donc à faire entre "vrai / faux" au sein d'un modèle et cohérence entre modèles).
Enfin le libéralisme de gauche interprète la réalité expérimentale constituée par les révolutions comme l'expression d'une réaction naturelle consécutive au non-respect cumulé des libertés envers les générations futures qui mène tôt ou tard à un point forcé de rupture où ces nouvelles générations n'ont d'autre choix que de contester des prétendus droits qu'elles n'ont pas validés elles mêmes et donc de les considérer comme contraires aux libertés. Elles ne le feraient sans doute pas si ces droits décidés dans le passé avaient intégré l'espace-temps dans leur expression et leur application pratique, leur permettant ainsi d'exercer véritablement leurs propres aspirations au présent.
Il existe un site en Anglais, PoliticalKompass, qui vous permet de voir quelle est votre position en terme de modèle politique. les jusnaturalistes se retrouvent plutôt vers la dimension libertaire, mais fortement vers la droite, tandis que les libéraux de gauche sont aussi vers la dimension libertaire mais au centre.
Philosophie politiquePosition fréquemment observée des libéraux de gauche sur PoliticalKompass

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