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Chroniques de la Lune

Publié le 19 septembre 2011 par Www.streetblogger.fr

Chroniques de la Lune

Case départ

J’imagine que beaucoup de personnes ont vu le film écrit par Ngijol et Eboué. Il y a tant de choses à dire sur ce film que je ne sais par où commencer. La première chose serait peut être de préciser qu’il ne s’agit pas de défendre qui que ce soit d’aborder le sujet qui lui chante sur le mode qui lui plaît mais de se demander pourquoi un film qui veut parler de l’esclavage dans un registre sérieux, comme le projet de film sur le code noir qui a avorté, ne trouve pas de financement et que celui qui l’aborde comme s’il s’agissait d’une vaste plaisanterie a une distribution nationale et internationale.

La seconde serait peut-être de s’interroger sur ce qu’on doit au juste considérer comme de la comédie dans ce film. Serait-ce un instrument critique, le rire, dont on se sert pour délivrer un message, comme pouvait le faire Aristophane ? Serait-ce une collection de traits d’esprits dont on fait des Sketchs dans une tradition française à la manière de Pierre Dac et Francis Blanche, Raymond Devos, Pierre Desproges, Thierry Le luron ou Coluche ?

Serait-ce plutôt de la Stand-up à la façon d’Eddie Murphy à ses débuts, Chris Rock ou Dave Chappelle ?

Après avoir vu le film je crois pouvoir affirmer qu’hélas aucune de ces formes de comédie n’y sont représentées. Cela tient peut être au fait qu’écrire quelques blagues de plus ou moins bon goût ne donne pas suffisamment d’étoffe pour écrire un scénario digne de ce nom.

La caricature du mec de cité et celle du « bounty » proposées par messieurs Ngijol et Eboué ne livrent que des farces faciles, plates et attendues.

En fait je ne tiens même pas à entrer dans le détail d’une analyse qui serait fastidieuse, d’autant que ce ramassis d’inepties n’en vaut pas vraiment la peine.

Cependant je vais quand même mettre en regard l’interview que Thomas Ngijol a accordée au magazine américain Loop 21 avec le film.

Je cite Mr Ngijol : « le film n’est pas à propos de l’esclavage, c’est à propos des gens pas vraiment intelligents qui ont un problème d’identité, les Noirs qui se plaignent du système. »

Il est curieux de constater qu’un film dont l’action se déroule sur une plantation n’est pas sur l’esclavage, ou en tout cas qu’il contiendrait un message à l’adresse des Noirs qui se plaignent du système et qui, pour cette raison, auraient un problème d’identité.

Faut il comprendre qu’au vu de sa situation financière et médiatique Thomas Ngijol ne peut pas se définir comme Noir, ou en tout cas pas de manière trop affirmée parce qu’en France le moindre mot prononcé un peu trop fort à propos de son origine ou de son appartenance ethnique projette forcément dans le radicalisme et le « communautarisme », et ne peut pas se plaindre du système.

Certes Thomas Ngijol ne peut pas se plaindre du système, ce serait mordre la main qui le nourrit, si ses traits d’humour reflétaient une capacité à réfléchir ou une quelconque trace d’engagement peut-être qu’il n’occuperait pas la place qu’il occupe aujourd’hui.

C’est exactement ce qui se passe dans le film, personne ne se plaint du système esclavagiste, les Noirs sont bien nourris et serviles à souhait. Si les héros se plaignent c’est parce qu’ils n’ont pas de RTT ou qu’ils trouvent que se lever tôt pour aller travailler dans une plantation est dur non pas à cause du travail dans la plantation, mais à cause de l’heure du réveil. J’imagine que bon nombre d’esclaves auraient été heureux de n’avoir à se plaindre que des horaires (entre 16 h et 21 h de travail par jour). Et on ne peut qu’agréer les propos de Mr Ngijol les esclaves qui se plaignaient du système avaient un problème d’identité certain : c’est parce qu’ils étaient Noirs qu’ils étaient esclaves.

Ensuite Ngijol dit : « Le problème en France est le racisme social. De quel quartier tu viens, la richesse – ce sont les choses sur lesquelles on juge les gens. Ce n’est pas le racisme comme vous le définissez ici. A Paris vous ne pouvez pas manquer de respect à un homme noir. La loi vous l’interdit. »

Sans commentaires.

Je vais quand même souligner un problème du film qui me semble important et qui est en rapport avec la photo tirée du film qui illustre cet article.

Ce film, bien que Ngijol dans son interview semble vouloir se démarquer des afro-américains, s’inscrit en droite ligne dans le genre de comédies mièvres et toxiques qui maintenaient les Noirs dans des clichés d’hommes stupides et paresseux, aux États-Unis, dans les films des années 30-40. Le jeu d’acteurs d’Eboué et Ngijol consiste essentiellement en des mimiques débiles à la mode d’un acteur de cette période Mantan Moreland. Mantan Moreland excellait dans les attitudes sur lesquels les minstrels shows ont été conçus, c'est-à-dire celles stéréotypées censées définir les Noirs : les yeux exorbités, les sourires béats, les gigues incompréhensibles etc.

L’historien du cinéma et critique Donald bogle classe cet acteur, les rôles qu’il a interprété, dans la typologie des rôles de Noirs stéréotypés créés par Hollywood parmi les Coons qu’il définit ainsi : « Avant sa mort, le Coon s’était développé en le plus ouvertement dégradant de tous les stéréotypes noirs. Les purs Coons surgirent comme des Nègres fauchés, ces folles, paresseuses, indignes de confiance créatures sous-humaines bonnes à rien de plus que manger des pastèques, voler des poulets, débiter des âneries, et massacrer la langue anglaise […] Le dernier membre du triumvirat Coon est l’oncle Rémus, il est un premier cousin du Tom, cependant il se distingue par sa pittoresque, naïve et comique façon de relativiser […] L’hilarité de Rémus, comme le contentement de Tom et les pitreries du Coon ont toujours été utilisées pour indiquer la satisfaction de l’homme noir avec le système et la place qu’il y occupe.1 »

Donc ce que font Messieurs Ngijol et Eboué avec leur « film » c’est d’importer et d’actualiser des représentations du Noir développées par Hollywood et pour la destruction desquels une bonne partie des afro-américains s’est battu, pendant que d’autres prenaient, et visiblement prennent encore, plaisir à les incarner à l’écran. Pour la touche Hip Hop on peut penser à la chanson de Public Enemy « Burn Hollywood Burn » qui dénonce ces clichés.

A croire que dans la vie Ngijol et Eboué correspondent vraiment aux rôles stéréotypés de Noirs incultes et complexés qu’ils incarnent dans le film.

1 Ibid, p 8: “Before its death, the coon developed into the most blatantly degrading of all black stereotypes. The pure coons emerged as no-account niggers, those unreliable, crazy, lazy, subhuman creatures good for nothing more than eating watermelons, stealing chickens, shooting crap, or butchering the English language […] The final member of the coon triumvirate is the uncle remus. Harmless and congenial, he is a first cousin to the tom, yet he distinguishes himself by his quaint, naïve, and comic philosophizing […] Remus’s mirth, like tom’s contentment and the coon’s antics, has always been used to indicate the black man’s satisfaction with the system and his place in it”


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