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La double mémoire de David Hoog

Par Jean-Jacques Nuel
Après un premier article sur le recueil de nouvelles "Douze mètres cubes de littérature", je reproduis un article sur un autre livre de Roland Fuentès - chronique précedemment parue dans la revue Europe n° 907-908 medium_fuentesdmdh.3.jpgRoland FUENTES, La double mémoire de David Hoog, A contrario, 14 €. Après quelques recueils de nouvelles confidentiels et une belle reconnaissance par le prix Prométhée de la Nouvelle (« Douze mètres cubes de littérature », paru aux éditions du Rocher), Roland Fuentès livre un nouvel ouvrage, un court roman, chez A contrario, éditeur littéraire qui vient de démarrer ses activités en Saône-et-Loire. Un livre qui nous séduit d’emblée par son inspiration fantastique (il se place dès la citation en exergue sous le signe de Kafka) et son style littéraire sans concession aux maux de l’époque, la facilité et la vulgarité. L’écriture est dense, recherchée sans être précieuse, comme une politesse que l’on rend au lecteur. Au cours d’une plongée dans les calanques de Marseille, David Hoog a repêché une boîte contenant un message qui lui est destiné. Par ce message, un autre être récemment décédé, un certain Wolf, activiste d’extrême-droite, tente de revivre dans et par Hoog en prenant possession de son esprit. Une jeune fille mystérieuse, Jeanne (dans laquelle s’est réincarnée la compagne morte de Wolf) participe à cette entreprise dévastatrice en le nourrissant de lectures xénophobes. Elle tisse une toile patiente, Hoog perdant progressivement sa mémoire originelle au profit d’une autre, étrangère. Mais son ami d’enfance Bobo, un africain, l’aide à lutter contre cette emprise et à rester fidèle à ses souvenirs. L’histoire est une sorte de Horla moderne, le héros étant gagné par un autre qui veut prendre sa place. Hoog est pris entre deux passés, deux rêves dont l’un se révèle cauchemar. Mais ce Horla contemporain connaît une fin heureuse, le bien l’emportant au terme d’une lutte très manichéenne (la pitié contre la haine). On l’avait constaté dans les nouvelles composant le précédent recueil « Douze mètres cubes de littérature » : la psychologie intéresse peu Roland Fuentes, et si l’on privilégiait cette lecture, les caractères (la haine comme seul sentiment du militant extrémiste, la générosité caractérisant l’immigré, etc.) apparaîtraient simplistes. Ce livre est plutôt la chronique des combats pouvant se livrer dans un esprit, et la métaphore de la mer et du plongeur, très présente, n’est pas fortuite. David Hoog découvre lors d’une plongée la boîte contenant le message fatidique par lequel Wolf prend possession de son âme ; à la fin du roman, pour parachever sa victoire sur lui-même, il retournera sous les eaux afin de replacer la boîte où il l’avait prise ; mieux, il la fera glisser dans une fosse sous-marine d’où nul ne pourra plus l’extraire, comme dans les profondeurs les plus secrètes de l’inconscient. Les descriptions sont particulièrement originales chez Fuentès, car elles ne s’attachent pas au contour objectif des choses ni à leur relevé topographique. L’action se passant à Marseille et dans sa région, tout est dominé par la lumière, le soleil et la mer qui deviennent des composantes du livre. Ce ne sont pas les lignes et les courbes des objets qui se précisent, mais les taches de couleur, les éblouissements de lumière. « Le soleil coule sur la vitre. Du jour fondu se répand dans la pièce. » Ce ne sont pas des paroles distinctes qui se détachent, mais des bruits, des sons, des échos. « Les mots s’évaporent par le toit, le vent les livre en pâture aux oiseaux. » Les corps subissent les variations du vent, de la chaleur ou de l’eau glacée. L’écrivain est un appareil enregistreur des sens, un kaléidoscope de sensations, comme s’il était au centre d’un monde plus global que le simple monde articulé. Par ce bref roman poétique et maîtrisé, Fuentès confirme ses dons et occupe désormais une place originale et bien affirmée dans le domaine du fantastique littéraire.

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