Le retour du Petit Poucet

Vous avez été sages ? Vous voulez que je vous raconte un conte de fée ? Il était une fois un film pour enfants qui avait terrorisé son jeune public à sa sortie et qui allait ressortir en DVD près de 40 ans plus tard. Il s'agit du Petit Poucet de Michel Boisrond. Pour les besoins du tournage du bonus du DVD, à la demande de SND-Films, j'ai retrouvé et interviewé certains protagonistes de ce long-métrage sorti en salles en décembre 1972.
Encadré de ses cheveux longs, blonds et raides, le beau visage de Jean-Christophe Maillot est resté gravé dans la mémoire de celles et ceux qui ont vu "Le Petit Poucet" quand ils étaient petits. Il ressemblait comme deux gouttes d'eau à son frère, que je croisais régulièrement dans la cour du lycée Paul-Louis Courier à Tours. J'ai retrouvé Jean-Christophe Maillot à Monaco, où ce chorégraphe chevronné dirige les Ballets de Monte-Carlo. Le fait qu'il ait été choisi pour ce film est déjà un conte.
Michel Boisrond, le réalisateur du film, en était encore au casting : avec le scénariste, Marcel Jullian, il désespérait de trouver un jeune acteur pour incarner le petit Poucet. Ils avaient lancé leurs limiers vers les classes d'art dramatique de province pour dénicher enfin la perle rare. «Ils sont venus à Tours, au Conservatoire: ils voulaient un petit Poucet brun avec les yeux verts… Pas du tout moi, donc, parce qu'à l'époque, j'avais les cheveux blonds...», raconte Jean-Christophe Maillot (ci-contre) avec un sourire en montrant sa tête rasée. «Je faisais alors mes études de danse. Je suis sorti dans la cour, je devais faire l'idiot, parce qu'ils m'ont repéré et ils m'ont proposé de faire un essai dans les jardins du musée des beaux-Arts. Ils m'ont recontacté par la suite, je suis allé à Paris faire des essais et j'ai fini sur le plateau de tournage».
Impressionné, ce petit garçon timide et fragile se retrouve aux côtés de Jean-Luc Bideau, Marie Laforêt, Michel Robin, et surtout de Jean-Pierre Marielle jouant un ogre tonitruant, dans le décor rouge sang de sa maison du boulotteur de chair fraîche. «Marielle s'amusait à nous faire peur avec ses fausses dents. Il en imposait avec son jeu, sa voix posée si caractéristique. Il composait un personnage incroyable, terrifiant. Aujourd'hui, c'est quelqu'un qu'on verrait bien dans "Faites entrer l'accusé.»
Jean-Pierre Marielle a un souvenir assez lointain de ce film. Il en a tourné tant d'autres, depuis... Mais il s'en amuse encore : «Il fallait au moins une heure de maquillage, avant de tourner, si ce n'est pas plus. Alors quand on était maquillé, on entrait en scène et on s'endormait, tellement on était fatigué. C'est pour ça que j'ai passé une bonne partie du tournage à roupiller...» N'a-t-il pas effrayé les enfants avec son personnage ? «Non, les enfants aiment bien avoir peur... Au fond, ils savent que tout ça, c'est une plaisanterie !»

Jean-Pierre Desagnat, réalisateur de la 2e équipe sur ce film, a un avis un peu différent : «C'est assez méchant, Perrault. Boisrond et Jullian voulaient garder cette dureté mais la contrebalancer avec des images un peu flamboyantes, avec la couleur, les décors, les costumes de Pace. Mais les enfants ont eu les mêmes réactions qu'avec le conte de Perrault : ils ont eu peur. Il y a dans le film un repas avec la viande humaine, on entend à un autre moment le bruit du couteau qui coupe les gorges des petites ogresses… Ça a dû terrifier les parents.» Résultat, le film n'a pas fait le plein des salles, à sa sortie. Les journaux avaient découragé plus d'un parent en disant que le film faisait peur aux enfants.

Pour adoucir encore le récit, Boisrond a aussi fait appel à Francis Lai, tout juste auréolé de son Oscar pour la musique de Love Story, qui trône toujours dans son bureau : «C'était la première fois que je composais une musique de film pour enfants. J'ai créé un thème musical par personnage : l'ogre, la petite princesse, la reine, etc. Plus une comptine qui ponctuait l'ensemble du film : “Viens manger ta soupe, si tu veux grandir”...» Détail amusant, quand je lui ai fait réécouter un extrait du film, Francis Lai a découvert que c'était lui qui chantait la comptine. Alors qu'il avait enregistré un jeune garçon, à l'époque, mais dont la voix n'a finalement pas été retenue au montage.
Il n'a pas été facile de retrouver tous ces protagonistes, près de quarante ans après le tournage. Il en manque une, Marianne Ridoret, la jeune actrice qui joue la petite princesse Rosemonde dans le film. Grâce à Jean-Christophe Maillot, je l'ai localisée à Paris, mais un peu tard pour les interviews. Je ne sais pas s'ils ont vécu heureux, ni s'ils ont eu beaucoup d'enfants, chacun de leur côté. Mais si le Petit Poucet et la Princesse se rencontrent à nouveau, quarante ans après, comme il en est question, j'espère être présent pour vous raconter la fin de de ce joli conte de fée.
Tous ces interviews sont présentés dans le bonus du DVD "Le Petit Poucet". Sortie : le 19 octobre 2011.
Crédit photos : SND Films, Yollico Saito/Ballets de Monte Carlo