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Je ferai avec : note empathique.

Publié le 06 octobre 2011 par Francisbf

Je me suis toujours considéré comme quelqu'un d'un naturel gai et enjoué. D'ailleurs, c'est bien simple, demandez à n'importe lequel de mes amis, il vous répondra : « Francis ? Ce mec-là est un des plus gais que je connaisse ! Franchement, ouais, on peut dire que c'est un putain de gros gai (1), carrément. Et enjoué, avec ça ! Vous savez, comme un petit chat qui joue avec une pelote de laine ? Ben pareil. Quand je vois Francis jouer avec une pelote de laine en se roulant sur la moquette, je me dis que j'ai de la chance d'avoir un ami aussi enjoué. »

Cependant, aujourd'hui, ce naturel gai et enjoué est mis à rude épreuve. Mon front se plisse de funestes rides précoces, mes sourcils, d'ordinaire guillerettement perchés sur mon front d'albâtre, tombent avec morosité vers la racine de mon nez, jetant une ombre de tempête sur l'océan de mes iris azurés, et pour tout vous dire, un début de constipation saisit mes entrailles dans une poigne d'airain.

Oui, aujourd'hui, j'ai quelque chose qui me chagrine. Deux choses, en fait. La première, c'est que je viens de réaliser qu'il était trop tard pour me faire appeler Riton la Goberge. Que jamais, dans la rue, on ne viendrait m'interpeller « Hé, mais c'est ce vieux Riton la Goberge ! Comment ça va, yau de poêle ? ». Que jamais je n'entendrai, à l'Eurovision « and finally, Witon la Gobeuwge, France, twelve points ! ». Ça me fend le cœur.

Mais ce n'est que peccadille par rapport à l'autre de ces deux choses : je me suis rendu compte que, dans quelques semaines, j'aurai quitté le Sénégal. Je serai de retour en France, loin de mon petit appartement pépère avec la boulangerie à côté où je pouvais aller en babouches m'acheter un mauvais hambuger-piment, loin de ma douche pout-pout, loin des varans et des pélicans, loin de mon salaire, loin du tieboudienne, loin des moustiques facétieux et des couilles de mouton, loin des dix personnes auxquelles j'ai appris à tenir ici.

Et surtout, loin des gens que je n'ai pas encore rencontré, et c'est là ce qui, à mon cœur d'humaniste, est le plus douloureux.

Tous ces gens vont continuer leur morne petite existence, sans même avoir conscience qu'ils n'ont pas pu me connaître. Sans avoir l'idée de ces conversations passionnantes sur les mérites comparés de Docteur Who et de Community, ou Treme et the Wire. Sans connaître mon opinion des gens qui ont décidé l'arrêt de Firefly et Arrested Development, ou celui de la tactique des Bleus aux championnats d'Europe. Mon cœur saigne pour ces malheureux. Il saigne car le leur, dans leur ignorance de ce qui se trame, ne peut pas le faire. Peut-être est-ce mieux pour eux, je ne sais pas. Sans doute, à l'heure où décollera mon avion, ressentiront-ils un pincement, une sensation de vide dont ils ne sauront déceler l'origine. Puis ils se remettront au travail, le moral un peu plus bas, le dos un peu plus voûté.

Je m'en veux, pour tous ces gens. Je suis rongé d'une culpabilité pernicieuse, comme d'une syphilis qui s'attaquerait à mon amour-propre. Mais je ne puis faire autrement. Mon contrat arrive à son terme, et ne peut être reconduit. Je vais devoir me contenter d'apporter du bonheur à tous ceux qui, égoïstes, ont pleuré lors de mon départ, inconscients du privilège qu'ils avaient de me connaître déjà.

Je ferai avec.

(1) Haha. Non, papa, maman, désolé, je sais bien que vous avez toujours rêvé d'un fils homosexuel pour frimer devant vos amis, mais franchement, vous avez vu comment je m'habille ? Définitivement hétéro.

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