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Afrique : plutôt mourir de faim que se nourrir d’OGM

Publié le 16 octobre 2011 par Copeau @Contrepoints

Alors que la disette, voire la famine, sévit à nouveau dans la Corne de l’Afrique et notamment au Kenya, des organisations anti-OGM jouent sciemment avec la vie de millions de personnes.

Par Wackes Seppi
Article publié en collaboration avec le site Imposteurs

Afrique : plutôt mourir de faim que se nourrir d’OGM

Sécheresse au Kenya

On se souviendra peut-être qu’en 2002, lors d’une crise qui avait affecté six pays du sud-est africain, les leaders locaux n’avaient pas bien accueilli l’aide alimentaire états-unienne [1]. En septembre 2002, les Nations Unies, l’OMS et la FAO parvinrent à convaincre ceux du Lesotho, du Malawi, du Mozambique, du Swaziland et du Zimbabwe de l’accepter, certains d’entre eux ayant toutefois exigé que le maïs US soit immédiatement moulu pour empêcher son utilisation comme semence [2]. Quant à la Zambie, son président, M. Levy Mwanawasa, la refusa, la traitant de « poison »; trois millions de personnes y étaient menacées de famine, autant dire de mort.

La cause : le maïs US était susceptible d’être OGM.

La cause ? Des organisations non gouvernementales (ONG) – drivées notamment par Greenpeace [3] et Friends of the Earth (Les amis de la terre) [4] – n’avaient pas hésité à mener campagne contre le maïs US en utilisant des arguments tels que le danger pour la santé humaine, le risque de contamination des maïs locaux ou le risque de se voir fermer ultérieurement les frontières de l’Europe à leurs exportations de produits agricoles [5].

Une mention toute particulière doit être décernée à M. Jean Ziegler, ci-devant Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation et présentement vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Selon des propos répercutés par Reuters, il mettait en effet les opinions des organisations non-gouvernementales, qui disent que l’homme est en danger quand il consomme de la nourriture OGM dans la durée, au-dessus de l’opinion de l’OMS, qui dit qu’elle est sans danger. Les ressorts pavloviens qui animent M. Ziegler l’avaient emporté sur l’urgence de la situation de millions d’Africains :

Je suis contre la théorie des entreprises multinationales qui disent que si vous êtes contre la faim, vous devez être pour les OGM.  C’est faux.  Il y a plein de bonne nourriture, naturelle et normale, pour nourrir le double de l’humanité [6].

Cette scandaleuse – le mot est bien faible – irresponsabilité a été résumée par l’expression « Better dead than GM fed » (« plutôt mort que nourri aux OGM »). The Economist a fait un commentaire aussi cruel que pertinent sous ce titre :

Les Africains ont deux motifs de se méfier de l’aide alimentaire GM : l’un stupide, l’autre légèrement moins.  Le motif stupide est la suggestion que les aliments GM sont un danger pour la santé humaine [...] Le motif plus sensé de se méfier des aliments GM est qu’il y a des gens qui, n’étant pas en danger de famine, se font des soucis sur leur alimentation. On les appelle des Européens [7].

Afrique : plutôt mourir de faim que se nourrir d’OGM

Famine au Kenya

Ce long rappel du passé s’imposait avant d’aborder le présent : l’irresponsabilité des nantis est de retour, cette fois-ci au Kenya !

Pour autant que nous ayons pu le déterminer, les ONG qui ont pignon sur rue se font discrètes, au moins sur le plan de la communication.  D’autre part, la règle du jeu médiatique est la suivante : ne pas avoir de problème avec une aide alimentaire GM n’est pas une information ; avoir des objections en est une.  Encore que, au Kenya, la presse n’est pas unilatérale.

The Standard du 24 juillet 2011 nous apprend donc que M. Christopher Wanga, vice-président de l’Association vétérinaire africaine, dit qu’il est dangereux d’opter pour le maïs GM parce que le pays manque de mécanismes fiables de contrôle de la qualité. « Il est difficile de savoir si nous importons les bons produits » [8]. Singulière logique ! Et il sied de rappeler que les produits GM sont maintenant largement cultivés et consommés dans le monde sans qu’aucun problème sanitaire n’ait été détecté (ce sont actuellement quelque 150 millions d’hectares, avec une croissance annuelle de quelque 10 %).

Une partie de la communauté scientifique, pourtant formée à l’analyse, n’est pas en reste. Ainsi M. Kavaka Mukonyi, chef de la bioprospection au Kenya Wildlife Service, estime que :

Lorsque de la nourriture est importée, cela signifie que nous remettons nos droits alimentaires aux multinationales. Elles auront tous les droits. Les semences qu’elles introduiront auront des caractères d’autodestruction, ce qui fera que nous resterons esclaves des multinationales de la même manière que le sont les entreprises de floriculture du pays.

Manifestement, cet homme a succombé à la propagande d’organisations qui se prétendent écologistes, tiers-mondistes ou altermondialistes sur Terminator, un formidable serpent de mer.

Mais l’attaque la plus virulente vient de l’association Kenyans in Diaspora qui a écrit au gouvernement. Une petite recherche suffit à démontrer que les poncifs les plus éculés y sont passés. C’est en fait, au moins en partie, un quasi-copier-coller d’un argumentaire qui a fait l’objet d’une multiplication virale sur la Toile [9]. Poncifs ? La liste commence par des allégations sur un acide aminé, le L-tryptophane, obtenu par génie génétique et utilisé comme complément alimentaire – rien à voir avec les plantes génétiquement modifiées. Elle se poursuit avec la tentative d’améliorer la valeur protéinique du soja avec un gène de la noix du Brésil – le programme avait été interrompu en son temps bien avant la phase commerciale. Nous nous arrêterons là.

Le débat a pris de l’ampleur au Kenya dans le contexte de l’adoption par le gouvernement des règlements sur les OGM pour donner effet au Biosafety Act de 2009  ; le dernier a été publié le 12 août 2011. Il a commencé avant l’émergence du problème de la disette qui affecte le nord et menace 2,9 millions de personnes selon l’ONU. L’article du Standard s’inscrit toutefois dans cette problématique puisqu’il s’ouvre par :

Forcés de survivre grâce à des fruits sauvages du fait de la sécheresse et de l’insécurité alimentaire, les Kenyans affamés vont bientôt être confrontés au dilemme des aliments génétiquement modifiés. Alors que le gouvernement se prépare à importer du maïs génétiquement modifié pour combler un déficit alimentaire croissant, des scientifiques lancent des mises en garde contre l’importation d’alternatives génétiquement modifiées qui pourraient ne pas être sûres.

Notez le « pourraient », le conditionnel, arme absolue des marchands de peur.

Ajoutons que le centre et l’ouest affichent des récoltes record, mais le pays est confronté à des difficultés d’acheminement des régions excédentaires vers les régions déficitaires [10]. Le gouvernement fait aussi l’objet d’accusations de corruption, et la disette est cyniquement utilisée pour des règlements de compte et à des fins politiques. Les choses ne sont pas simples.

Toutefois, les « anti » n’ont pas le monopole dans la presse kényane. Celle-ci n’est pas univoque et ne succombe pas systématiquement aux sirènes des marchands de peur. En cela, elle se distingue de celle des pays – faut-il en nommer un en particulier ? – qui s’adresse à « des gens qui, n’étant pas en danger de famine, se font des soucis sur leur alimentation » et qui contribue à forger et entretenir l’hypocondrie alimentaire.

Ainsi, The Citizen du 27 juillet 2011 analyse les carences des scientifiques dans la communication sur les tenants et les aboutissants et les enjeux des biotechnologies ; sous un titre qui se réfère aux avantages des OGM [11].

Le Nairobi Star du 23 juillet 2011 a usé de gros bon sens pour répondre aux insanités de Kenyans in Diaspora. En bref : combien de Kényans, légaux et illégaux, de la diaspora en Afrique du Sud et aux États-Unis d’Amérique ? Combien de morts par suite de l’ingestion d’aliments GM [12] ?

Et les évêques de l’Église catholique romaine se sont exprimés clairement, même s’ils ont ménagé les supporters de Greenpeace et Cie : « Nous sommes en faveur des aliments non modifiés génétiquement, mais s’il y a une crise et qu’ils peuvent ressusciter quelqu’un pour une semaine, mangez les » a dit l’archevêque Zacchaeus Okoth. Pour l’évêque Cornelius Korir, « c’est péché qu’une personne meure de faim » [13].

Le gouvernement kényan a décidé d’autoriser l’importation de maïs GM sous certaines conditions qui vont sans doute compliquer la logistique. Et offrir aux opposants – activistes et en particulier détenteurs d’autorité au sein de l’administration – des points d’appui, non plus sur le principe général de la culture et de l’importation des OGM puisqu’il est acquis, mais sur l’application des règles dans chaque cas particulier ; des points d’appui pour tenter de faire prévaloir leurs préoccupations mesquines sur l’urgence vitale de milliers de victimes de la sécheresse.

C’est, semble-t-il, plutôt mal parti.  Selon le Daily Nation, rapportant un incident au sein de l’administration qui relève visiblement d’une guerre des chefs, 61 permis d’importation accordés au Programme alimentaire mondial (une institution des Nations Unies et le maître d’œuvre de l’aide alimentaire) ont été annulés [14].

M. Ingo Potrykus, le père du riz doré enrichi en beta-carotène qui pourrait sauver des millions de vues et de vies, n’a pas hésité à brandir le crime contre l’humanité face aux activistes tels que Greenpeace [15] et aux gouvernements frileux [16].  Un crime contre l’humanité, c’est ce qui est peut-être bien en train de se jouer au Kenya.

L’aide alimentaire arrivera sans aucun doute dans les régions qui souffrent : le PAM a appris à composer avec les lubies des pays destinataires de l’aide. Mais arrivera-t-elle à temps et en quantité suffisante ? C’est une autre question. En tout cas, un seul mort pour cause de retard ou d’insuffisance évitable suffit à notre sens à établir le crime.

Remarque : Cet article a été rédigé il y a quelques semaines et publié avant-hier sur le site Imposteur. Depuis, l’aide internationale semble se débloquer.

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Sur le web

Notes :

[1]  Voir par exemple Famine and the GM debate

[2]  Déclaration de l’Organisation des Nations unies concernant l’utilisation des produits alimentaires génétiquement modifiés envoyés au titre de l’aide alimentaire en Afrique australe

Le Directeur Général exhorte les pays à réfléchir avant de rejeter l’aide alimentaire génétiquement modifiée

[3]  Sur la face présentable de Greenpeace (enfin…) : USAID and GM Food Aid
Extrait : « In fact, the cynical manipulators of the famine in Africa are the US government, USAID and the GM industry. » Quelle audace !

[4]  Le site de Friends of the Earth a, semble-t-il, été expurgé. Mais on trouve en abondance une citation de son porte-parole, Nnimo Bassey : « C’est aux Africains de décider de ce qu’ils mangent, pas aux autres de décider pour eux. » (Traduction). Quel cynisme ! Pour beaucoup d’entre eux, le choix était entre manger et mourir. Voir par exemple US presses Africa to take GM foods – Six countries beset by starvation reject offer of altered crops
Et aussi : Stop Playing With Hunger! – U.S. Genetically Modified food force-fed to developing countries
Ainsi que : Aliments OGM : les États-Unis ‘jouent avec la faim’

[5]  Voir notamment : Civil Society Organisations Condemn GM Food Aid
Il est à noter que beaucoup d’entités se réclamant de la qualité d’ONG dans les pays en développement sont tributaires d’entités similaires des pays développés pour leur financement et leur fonctionnement, particulièrement pour ce qui est de la matière première intellectuelle et médiatique.  L’African Centre for Biosafety (Afrique du Sud), par exemple, indique en toute transparence qu’il est soutenu par EED, HIVOS, SWEDBIO et NORAD.

[6]  Voir par exemple UN food envoy questions safety of gene crops

[7]  Better dead than GM-fed? – Europe’s greens are helping to keep Africans hungry

[8]  Scientists apprehensive over GMO import plan
L’article a aussi été publié sous un titre différent par la Kenya Alliance of Resident Associations (voir ici)

[9]  Comparer les citations de l’article précédent avec, par exemple, 50 Harmful Effects of Genetically Modified (GM/GMO) Foods

[10]  Voir l’excellent blog sur l’agriculture africaine

[11]  Ways sought to educate farmers on GM benefits

[12]  All you need to know about GMOS

[13]  Bishops in Kenya take new stance on genetically modified foods

[14]  Biosafety boss sacked in import row

[15]  Par exemple : http://www.biotech-info.net/2_IP_response.html

[16]  Lessons from the ‘Humanitarian Golden Rice’ project: regulation prevents development of public good genetically engineered crop products
« Que faut-il de plus pour ouvrir les yeux de ceux qui exercent des responsabilités politiques, pour qu’ils comprennent que c’est un « crime contre l’humanité » que de ne pas changer une réglementation sur les OGM fondée sur une précaution extrême pour l’asseoir sur la science et se laisser guider par des considérations de coûts et de bénéfices des caractères en cause plutôt que par des considérations idéologiques ? »


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