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26 février 1802/Naissance de Victor Hugo

Par Angèle Paoli

Éphéméride culturelle à rebours


  Le 26 février 1802 naît à 22h30 à Besançon Victor-Marie Hugo, troisième fils de Léopold Hugo, futur général d’Empire, et de Sophie Trébuchet.

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Dessin de Victor Hugo pour Les Travailleurs de la mer
Plume, pinceau, encre brune et lavis, rehauts de gouache blanche
Source : Ms N.af. 24745, fol. 85 © B.N.F. Paris


V

LES RISQUES DE MER


  L’overfall*, lisez : casse-cou, est partout sur la côte ouest de Guernesey. Les vagues l’ont savamment déchiquetée. La nuit, sur la pointe des rochers suspects, des clartés invraisemblables, aperçues, dit-on, et affirmées par des rôdeurs de mer, hardis et crédules, distinguent sous l’eau l’holothurion des légendes, cette ortie marine et infernale qu’on ne peut toucher sans que la main prenne feu. Telle dénomination locale, Tinttajeu, par exemple (du gallois, Tin-Tagel), indique la présence du diable. Eustache, qui est Wace, le dit dans ses vieux vers :

  Dont commença mer à meller,
     Undes à croistre et à troubler,
     Noircir il cieux, noircir la nue ;
     Tost fust la mer toute espandue.**

  Cette manche est aussi insoumise aujourd’hui qu’au temps de Tewdrig, d’Umbrafel, d’Hamon-dhû, le noir, et du chevalier Emyr Lhydau, réfugié à l’île de Groie, près de Quimperlé. Il y a, dans ces parages, des coups de théâtre de l’océan desquels il faut se défier. Celui-ci par exemple, qui est un des caprices les plus fréquents de la rose des vents des Channels Islands : une tempête souffle du sud-est ; le calme arrive, calme complet ; vous respirez ; cela dure parfois une heure ; tout à coup l’ouragan, disparu au sud-est, revient du nord-ouest ; il vous prenait en queue, il vous prend en tête ; c’est la tempête inverse. Si vous n’êtes pas un ancien pilote et un vieil habitué, si vous n’avez pas, profitant du calme, pris la précaution de renverser votre manœuvre pendant que le vent se renversait, c’est fini, le navire se disloque et sombre. Ribeyrolles, qui est allé mourir au Brésil, écrivait à bâtons rompus, dans son séjour à Guernesey, un mémento personnel des faits quotidiens, dont une feuille est sous nos yeux :
— « 1er janvier. Étrennes. Une tempête. Un navire arrivant de Portrieux, s’est perdu hier sur l’Esplanade. — 2. Trois-mâts perdu à la Rocquaine. Il venait d’Amérique. Sept hommes morts. Vingt et un sauvés. — 3. Le packet*** n’est pas venu. — 4. La tempête continue.— … — 14. Pluies. Éboulement aux terres qui a tué un homme. — 15. Gros temps. Le Fawn n’a pu partir. — 22. Brusque bourrasque. Cinq sinistres sur la côte ouest. — 24. La tempête persiste. Naufrages de tous côtés. » Presque jamais de repos dans ce coin de l’océan. De là les cris de mouettes jetés à travers les siècles dans cette rafale sans fin par l’antique poète inquiet Lhy-ouar’h-henn, ce Jérémie de la mer. Mais le gros temps n’est pas le plus grand risque de cette navigation de l’archipel ; la bourrasque est violente, et la violence avertit. On rentre au port, ou l’on met à la cape, en ayant soin de placer le centre d’effort des voiles au plus bas ; s’il survente, on cargue tout, et l’on peut se tirer d’affaire. Les grands périls de ces parages sont les périls invisibles, toujours présents, et d’autant plus funestes que le temps est plus beau.
  Dans ces rencontres-là, une manœuvre spéciale est nécessaire. Les marins de l’ouest de Guernesey excellent dans cette sorte de manœuvre qu’on pourrait nommer préventive. Personne n’a étudié comme eux les trois dangers de la mer tranquille, le singe, l’anuble, et le derruble. Le singe (swinge), c’est le courant ; l’anuble (lieu obscur), c’est le bas-fond ; le derruble (qu’on prononce le terrible), c’est le tourbillon, le nombril, l’entonnoir de roches sous-jacentes, le puits sous la mer.

Victor Hugo, L’Archipel de la Manche in Les Travailleurs de la mer, Le Livre de Poche classique, Librairie Générale Française, 2002, pp. 46-47-48-49.


* Overfall : Mouvement de la mer dû à la violence du courant.
** Vers extraits — avec deux fautes — de L'Établissement de la fête de la conception Notre-Dame (éd. de 1842). Wace, poète jersiais du XIIe siècle dont les éditeurs rapprochent le nom d'Eustache par l'intermédiaire de Huistace, est l'un des premiers auteurs des romans de la Table ronde (Y. Gohin).
*** Packet : pour packetboat, bateau amenant courriers et colis.



Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 13 août 1837/Victor Hugo, En bateau à vapeur sur les bords de Somme ;
- (sur Terres de femmes) 11 janvier 1849/Victor Hugo, Choses vues ;
- (sur Terres de femmes) 14 janvier 1855/Lettre de Victor Hugo à Émile Deschanel.




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