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30 octobre 2009 | Mort de Pierre Silvain

Publié le 30 octobre 2011 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

  Le 30 octobre 2009 meurt à Paris Pierre Silvain. Auteur discret mais foisonnant, Pierre Silvain a publié de nombreux ouvrages. Dont, en 2007, Julien Letrouvé colporteur, paru aux éditions Verdier et unanimement salué par la critique. La même année paraît aux éditions L’Escampette Passage de la morte, ouvrage inspiré par Pierre Jean Jouve dont il fut un grand admirateur et un lecteur passionné.

  « C’est à une lecture intime, secrète, de l’œuvre de Pierre Jean Jouve que nous invite Pierre Silvain qui poursuit, dans la fréquentation des plus grands, l’élaboration d’une œuvre élégante depuis plus de quarante ans », nous dit la quatrième de couverture de l’ouvrage.


EXTRAIT

   La prairie d’une herbe courte mais épaisse s’étend jusqu’à la rive d’un lac. Il apparaît comme le trait étincelant d’une coulée d’argent qui la sépare de la montagne. Les sommets couleur anthracite, à mesure qu’ils s’éclaircissent, s’abaissent et s’éloignent sans que soient diminués leur netteté, le tranchant de leur découpure sur la dureté du ciel, ont par contraste une légèreté irréelle et semblent très mobiles, leur configuration changeant sans cesse au gré des courants aériens. Le soleil n’a pas atteint le zénith ou bien a entamé son déclin, car l’ombre portée de l’homme vous faisant face au premier plan, la tête un peu tournée vers la droite, s’allonge à ses pieds, violente, sur l’herbe de la prairie.
  Ici, Pierre Jean Jouve est photographié lors d’un de ses séjours à Sils Maria, en 1961. Il a près de soixante-quinze ans. La silhouette s’est alourdie. Le bord d’un petit chapeau noir protège le visage dont l’expression n’est pas distincte, les yeux restent cachés derrière les verres foncés des lunettes. De sa main enserrée dans un gant sombre il tient la canne mince et robuste sur laquelle semble peser tout le corps. Cent fois vous vous êtes penché sur la photo à cause de cette canne pathétique de vieillard et jamais sans qu’en surimpression peu à peu n’émerge de la grisaille d’un ancien cliché l’image du dandy qu’il a été, devant un faux décor de montagnes enneigées, ni que s’impose à vous la vision du même adolescent avec sa canne à pommeau qu’il suce de désir en croisant une femme, dans la poussière des allées d’un jardin public. Mais le vieil homme, seul, avançant malaisément dans cette steppe alpestre ― et à qui un souci d’élégance conservé jusqu’à la fin de sa vie fait négliger le bâton ferré des randonneurs ―, pose moins un regard de nostalgie sur ces années-là qu’il ne cherche le pays imaginaire d’Hélène et le pays réel où fut conçu par lui le mythe d’Hélène, au-delà de ces montagnes qui mettent hors de portée de vue la vallée de Soglio, en Engadine, au cœur de laquelle les deux pays se rejoignent et ne font plus, à jamais indissociables, qu’un même lieu.
  Le lieu à quoi le lie une affinité charnelle et dont son œuvre est pénétrée jusqu’à lui être consubstantielle, en ressent-il à présent assez impérieusement l’attraction pour désirer y retourner ? Est-il assuré d’y retrouver Hélène ? Hélène vivante, en dépit du doute qui point dans un des textes de son dernier recueil, Proses : « Etait-elle à m’attendre ici, après avoir été enfantée en rêve ? » et qui remet en cause la tranquille certitude des retrouvailles affirmées dans En miroir : « Je vais jusqu’à croire sincèrement qu’aucun visiteur de « Soglio » (le nom donné à Soglio pour servir de cadre au récit), par une après-midi de cristal translucide comme on en voit là-bas, ne peut ignorer qu’Hélène est dans l’atmosphère, prête à reparaître et revivre » ?
  Après tout ce temps, ces trente années passées depuis l’écriture « d’un trait, avec une émotion extraordinaire », des pages qui composent Dans les années profondes, après avoir à travers tant de livres de poésie, célébré l’héroïne du récit dans son existence transfigurée, multiforme, ses morts successives et ses réapparitions triomphantes—son éternité— ne s’est-il pas détaché d’Hélène comme, avec le grand âge, de toute femme de chair, et ne l’a-t-il pas, s’étant détourné de son illusoire réalité, rendue aux prestiges du moins impérissables de la fiction ?


Pierre Silvain, Passage de la morte | PIERRE JEAN JOUVE, Éditions de L’Escampette, 2007, pp. 58-59.

Passage de la morte



PIERRE SILVAIN

Pierre Silvain

Source

■ Pierre Silvain
sur Terres de femmes

Pierre Silvain, Julien Letrouvé colporteur (note de lecture d’AP } extrait)

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site des éditions Verdier) une fiche bio-bibliographique sur Pierre Silvain
→ (sur Littérature de partout) une note de lecture de Tristan Hordé sur Passage de la Morte
→ (sur Un nécessaire malentendu) un hommage de Claude Chambard à Pierre Silvain
→ (sur La Main millénaire, revue de promotion littéraire et artistique) « Pierre Silvain, l’œuvre singulière d’un romancier de l’étrange », par Jean-Pierre Vedrines
→ (sur Terres de femmes) 11 octobre 1887 | Naissance de Pierre Jean Jouve



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