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Une correspondance littéraire

Publié le 08 novembre 2011 par Les Lettres Françaises

Une correspondance littéraire

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On connaît plusieurs volumes de correspondance de Jean Paulhan (avec Valéry Larbaud, Giono, Alexandre Vialatte), épistolier abondant. On a moins l’habitude de voir comme auteur, sur un volume de la maison qu’il a fondée, Gaston Gallimard en personne. On connaissait cependant ses échanges avec Céline, reproduits dans le volume de Lettres de Céline à la NRF. Entraîné dans le délire paranoïaque de l’auteur de Normance, il y montrait une forme de génie comique, pince- sans-rire – Céline et lui auraient fait un joli duo sur une scène de théâtre. Ses lettres à Paulhan – interlocuteur oblige – sont beaucoup moins drôles : il faut être deux pour faire un spectacle, et Paulhan n’était sans doute pas un prince de l’humour. Il avait d’autres qualités, qui lui ont permis de diriger entre 1925 et 1940, puis, à partir de 1953, ce laboratoire qu’était alors la Nouvelle Revue française, puis de créer après la guerre les Cahiers de la Pléiade, et de succéder à Jacques Rivière, pendant près d’un demi-siècle, comme éminence grise de la maison Gallimard. « Depuis la mort de Jacques Rivière, la NRF, la maison, c’est vous et moi. Si vous renonciez à quoi que ce soit ici, je me retirerais et je laisserais la place à Claude. Je suis uni à vous totalement – plus rien ne m’intéresserait, si je ne vous sentais pas à côté de moi sans arrière-pensée », lui écrit Gaston Gallimard en juillet 1950, alors que des nuages menacent leur relation.

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Gaston Gallimard

Leur correspondance est celle de deux hommes dévoués au même but: la splendeur et la gloire de la maison. Au départ, c’est Gaston Gallimard qui prend contact avec Paulhan, pour lui parler de l’un de ses livres (« Cher Monsieur »). Très vite, Paulhan collabore avec la maison (« Mon cher Gallimard », écrit-il, et GG lui répond « Cher ami ») et, dès 1923, le pli est pris, qui ne changera plus: « Cher Gaston » et « Mon cher Jean ». On ne sent pourtant pas de véritable intimité entre les deux hommes, plutôt une estime réciproque, de la confiance, la certitude qu’ils œuvrent au même but. Leurs lettres ne sont pas celles de deux amis, ni même celles d’un éditeur et de son auteur (Gallimard évoque rarement les travaux littéraires de Paulhan, sauf pour lui déconseiller de publier un volume chez un concurrent et lui racheter un texte prévu pour une collection chez Fasquelle), mais celles d’un grand patron et de son collaborateur privilégié.

Leur correspondance n’est pas tant de celles qui se lisent d’un bout à l’autre, comme un roman épistolaire, avec ses pleins et ses déliés, ses moments de passion et ses moments de calme, au rythme de la vie qui s’écoule, mais de celles qu’on feuillette d’un œil amusé, comme une suite de memorabilia à propos d’une époque défunte où l’essentiel de la vie littéraire française se passait entre les murs de chez Gallimard. On s’apercevra – mais ce n’est pas une surprise – que Paulhan a en général un goût plutôt sûr (lorsque, dès la Nausée, qui s’appelle alors Melancholia, il détecte le talent de Sartre, mais craint que le philosophe en lui ne l’emporte sur l’écrivain), ce qui ne l’empêche pas de commettre des erreurs (il ne comprend pas ce qu’ont de novateur les Corps tranquilles, de Jacques Laurent, alors qu’il tente en vain de faire venir chez Gallimard Robbe-Grillet et sa Jalousie). On assiste à des passes d’armes à propos de Martin Du Gard – vieil ami de GG et dont Paulhan n’aime pas l’Épilogue des Thibault –, et on voit les deux hommes se retrouver dans une admiration commune pour Jouhandeau (qu’ils craignent de « perdre » au bénéfice de Grasset) et d’Aragon (« J’achève les Voyageurs… C’est encore mieux que je ne le pensais », écrit Paulhan en 1939, alors qu’il tente d’amener chez Gallimard Aragon, brouillé avec GG depuis 1930).

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Jean Paulhan

La lecture d’une telle correspondance amuse aussi pour ce qu’on y apprend des livres qui ne se sont pas faits: lorsque GG déconseille à Paulhan (pour ne pas dire qu’il le lui interdit) de collaborer à la collection « Libelles », créée par Jean-Claude Fasquelle, il précise qu’il a écrit à Giono, à Vaillant (sic), à Adamov, à Jacques Perret, pour s’opposer à ce qu’ils donnent un texte en dehors de Gallimard – et c’est ainsi qu’on apprend que tous quatre avaient prévu de publier un livre chez Fasquelle (celui de Giono devait s’intituler Portraits et caractères, celui d’Adamov, Écrivain en situation. Rêverie sur des volumes qui n’existent pas…), et que seul Vailland a passé outre, et a donné à Fasquelle son Éloge du cardinal de Bernis.

La correspondance Paulhan-Gallimard n’est pas un grand livre, ni même un livre indispensable d’un point de vue historique. Mais c’est une mine d’anecdotes, un puits de détails pour qui s’intéresse à un demi-siècle où la littérature française brillait sous la couverture blanche aux lettres rouges et noires.

Christophe Mercier

Gaston Gallimard-Jean Paulhan. Correspondance 1919-1968.
Éditions Gallimard, 610 pages, 29,50 euros.


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