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La Sape : Un dandysme congolo-congolais

Par Ynkodia

 

 

 

Papa Wemba
 

Aujourd’hui, la Sape gagne de plus en plus le monde de deux rives congolaises (Brazzaville et Kinshasa). Cette «société des ambianceurs des personnes élégantes» (SAPE) a vu de nombreux adhérents et adorateurs intégrer son cercle, hier encore fermé aux profanes. Les initiés du culte de la beauté des vêtements transmettent leur art au commun des mortels. Ces dandys nés cultivent au quotidien dans les deux villes les plus proches du monde une culture qui devient avec l’émergence du mouvement dans le monde occidental une exception. Une marque culturelle reprise par les politiques qui ont fait un legs colonial et historique fructifié et embelli à l’image congolaise. Une touche singulière reconnue mondialement et les dirigeants aidant donnent une place de choix et de reconnaissance par le biais des célébrations officielles qui l’élève au rang du patrimoine national, riche et rayonnant.

La genèse du mouvement

Le colon blanc, en découvrant le majestueux Congo, a laissé dans les rives et terres son propre habit. Une tunique que nos ancêtres découvrent stupéfaits dans leurs paisibles royaumes et villages de rassemblement. Mais l’origine de la Sape remonte à Bacongo, ce quartier phare de la ville sud de la capitale du Congo Brazzaville où les dénommés cracks, fréquentant les bars, dancings et marchés populaires, ont inventé ce concept novateur. Dans ce célèbre quartier des peuples Laris et Kongos, la mode devenue Dieu est adorée par les sapeurs tirés à quatre épingles qui se déambulent dans les rues, les avenues à cœur joie et autour de leurs multiples supporters ou zélateurs. Une véritable ambiance de fêtes orchestrée par les concours de la mode subsiste dans la capitale brazzavilloise où les partisans des quartiers de Poto-poto, de Ouenzé, de Moungali et d’autres viennent s’affronter à ciel ouvert. Habillés par les grands couturiers occidentaux, ces compétiteurs célèbrent la mode et chantent à l’infini le refrain de leur rêve de rejoindre Paris: l’eldorado. La capitale de la Mode. Cette capitale française où leurs ainés « sapeurs » résident et ne cessent d’alimenter, d’amplifier ce merveilleux rêve en envoyant les habits en vogue pour la promotion et le développement du mouvement. C’est cette trajectoire impulsée par leader politique André Matsoua et élargie par les Parisiens Bacongolais qu’est née explicitement la Sape. Historiquement, la palme d’or du premier sapeur de tous les temps revient à ce chef et qui, plus tard, donna ses lettres d’élégances aux jeunes étudiants congolais de Paris d’autrefois. Ainsi de Bacongo à Paris, la mode en traversant la mer et les océans s’est développée et a gagné sa place de prédilection et de concrétisation au Musée Dapper à Paris, au Musée des confluences de Lyon. Parmi les grands héritiers de la sape à Brazzaville, on peut citer: Ya Francos, Kalafath, Lony, Nono, Belos, Miro, Gomes, Kapata,

  

Baudouin Mouanda

Mais la Sape a aussi connu une autre voie de développement et d’amplification: Kinshasa. L’homme politique Patrice Lumumba a été le premier dandy congolais. Singulièrement le quartier Matonge (prononcé: Matongué), au village Molokai, est et reste aussi le foyer genèsique de la sape. A ce sujet, Papa Wemba est incontestablement le pionnier de ce mouvement. Ce célèbre musicien insuffle dans les années 80 un air de la Sape en décrétant que celle-ci appartient à la religion «Kiténdi» (Tissus en Lingala). Avec lui, feu Niarcos et les musiciens de «Viva la musica» (Groupe musical du célèbre Papa Wemba) et autres chanteurs de l’époque, comme Koffi, Bozy, Evoloko, Emmeneya, Defao et autres, vont reprendre le flambeau. De Kinshasa à Paris en passant par Bruxelles, le grand Jules (prénom de Papa Wemba) va diffuser cette nouvelle façon de s’habiller qui rivalise avec «l’Abacost», tenue officielle du gouvernement zaïrois à l’époque. Mais le mérite de Papa Wemba reste dans les chansons dédiées à la Sape et aux couturiers parisiens qui vont donner à celle-ci une renommée mondiale. Et l’apparition du film de «Djo Balard», le roi de la Sape, va parachever cette ascension fulgurante du mouvement de la Sape.

Aujourd’hui, d’autres courants sont nés autour de ce concept. De la Sape à la Sapologie, une culture est née et se développe à travers le monde. Une vision scientifique de la sape popularisée par le défunt chanteur Bernard Boundzeki. De Londres à Rome en passant par Milan, Paris et autres, la sape à la congolaise s’invite et participe dans les défilés et salons prestigieux de la mode. L’Internet, où les vidéos des sapeurs se regardent sans cesse, élargit de plus bel le mouvement qui atteint toute l’Afrique. Les défilés de mode se déroulent partout. Au Togo, au Burkina Faso, en Cote d’Ivoire, au Cameroun, au Gabon, en Afrique du Sud, etc., les sapeurs et les sapeuses continuent de célébrer ce culte de la beauté, de la séduction, du paraître.

Quel avenir ?

Hector Mediavilla Sabate Brazzaville

 La Sape, comme moyen d’expression du peuple de deux rives, s’est enracinée dans les mœurs et les coutumes. Un langage est créé autour de ce mode vestimentaire. Art de paraître pour les uns et art de beauté pour les autres, la Sape, en traversant les âges, transmet et véhicule un message de confraternité, de solidarité et de partage. Car, à la base, ce culte du «je» est né d’un troc ou échange d’habits entre frères et amis. Une manière de plaire et de séduire l’autre, son amour, sa conquête, son semblable. Elle est donc une arme de persuasion, d’être et d’exister…, de vivre à travers une passion de l’amour du vêtement. La Sape marque l’identité des personnes et correspond à un certain style de vie. Qui ne s’écrierait-il pas en voyant un « sapeur » bien dans sa peau que l’habit fait le moine ? Car les sapeurs sont maintenant dans toutes les couches sociales. Ces nouveaux champions de la mode ont aussi une tête bien faite et s’identifient au monde intellectuel et se réclament être les défenseurs d’une culture, d’un nouveau mode de vie, d’un idéal. Et ils sont aussi les acteurs de la cohésion sociale et donc des passeurs de valeurs fraternelles.

Avec la prise de conscience du mouvement par les politiques et de l’impact positif qu’elle suscite dans ce monde des dirigeants, la Sape, comme autrefois la beauté de l’âme et de l’esprit, demeurera demain une lumière qui éclairera la culture jumelle de ces deux rives. Et qui dans un proche avenir se réunira autour d’autres valeurs et richesses communes qui feront de ces deux rives les nations fécondatrices de l’unité entre peuples africains.

Yves Makodia Mantseka

 


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