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Sandrine soimaud : interview exclusive !!!

Par Geybuss

SANDRINE SOIMAUD : INTERVIEW EXCLUSIVE !!!

Il y a quelques semaines, je vous présentais ici TU (paru chez Buchet-Chastel), le nouveau roman de Sandrine Soimaud.

L'histoire de cette femme internée, qui se bat contre elle même m'a bouleversée. Et ce livre est devenu l'un de mes coups de coeur de cettre rentrée littéraire 2011.

Sandrine Soimaud a eu la gentillesse de m'octroyer sa confiance et de répondre à mes questions.

SANDRINE SOIMAUD : INTERVIEW EXCLUSIVE !!!

Quel fut le déclic qui vous lança dans l’écriture de “TU” ?
S.M : J'avais écrit un livre, "Amours Posthumes " dont le sujet était l'enfer que l'on peut s'infliger à deux, en dépit et parfois même à cause de la force des sentiments et des liens tissés au fil du temps. Par la suite, j'ai eu envie d'évoquer celui, très personnel, dans lequel on s'enferme, lorsqu'on laisse les blessures passées rejaillir au présent. L'histoire de Lisa, est celle d'une emprise, celle du "non-désir" originel, sur sa perception de chaque instant... J'avais en tête cette image d'une mémoire noire, envahissante, qui, à la manière d'une pieuvre, entrave et empêche d'avancer. Parce que mon personnage porte cette blessure, son désir fêlé se nourrit exclusivement de celui d'autrui, au point de s'ignorer, de se nier. D'une façon plus insidieuse, Lisa cherche la confirmation du désintérêt qu'elle a suscité à l'origine. C'est cette problématique que j'ai voulu mettre en scène et pousser à son paroxysme, celui d'une annihilation de la pensée...

 Y-a-t-il dans ce roman quelques éléments autobiographiques et dans ce cas, cette écriture est-elle devenue thérapeutique pour vous ? Sinon, question 3 direct !
S.M :  Ce qui est autobiographique, c'est le thème: cette difficulté de vivre le présent sans se référer au passé, à agir au lieu d'être réactif et à désirer autre chose qu'une validation extérieure dans le regard des autres, je l'ai longtemps éprouvée. Seules des années et une vigilance constante m'ont permis de m'en défaire... Mais l'écriture n'a pas été thérapeutique pour moi, puisque j'avais déjà eu cette prise de conscience.

Je voyais, dans mon entourage, une personne très proche se débattre encore dans le maillage de son enfance et j'ai ressenti le besoin d'écrire ce livre pour elle, afin qu'elle se sente moins seule, mieux comprise. Mais la vie de Lisa et celles des autres, sont bel et bien fictionnelles...

Comment fait on pour décrire si bien la maladie mentale, la perte de la raison, la schizophrénie ? Imagine –t-on ? Se documente –t-on ? Visite-on des établissements psychiatriques ? Rencontre-t-on malades et professionnels de la santé ?
S.M :  Pour moi, et cet avis a été partagé par des psychiatres qui ont lu le livre, Lisa n'est pas schizophrène. Elle souffre, se réfugie dans le délire, mais elle est avant tout dépressive et fragile. La "voix" n'est pas une instance extérieure qui lui intime d'agir, elle est interne et commente. C'est la voix devant la glace, qui dit "Quelle sale tête aujourd'hui", cette petite voix-là, chez Lisa, est hypertrophiée depuis l'enfance. Elle lui a permis de conjurer son extrême solitude, et, plus tard, elle lui évite de sombrer totalement dans le déni de la réalité... Néanmoins, nourrie par la peur, elle projette sur la réalité une grille d'interprétation qui ne se réfère qu'à ses échecs et finit par boucher totalement l'horizon.

Mais effectivement, j'ai lu des ouvrages "cliniques", j'ai visité un grand hôpital psychiatrique et j'ai beaucoup parlé du rythme et de la relation au patient avec une amie infirmière psy.

L’atmosphère du livre est forcément étouffante. Quel fut votre état d’esprit durant l’écriture de ce roman ?
SM : L'écriture d'un roman, quel que soit l'univers qu'il dépeint me rend beaucoup plus sereine. Lorsque le sujet "m'habite", je réponds à une forme de nécessité, et, si j'osais, je parlerais d'un besoin vital, j'éprouve donc un sentiment de complétude... Même si cela peut sembler paradoxal lorsque l'on écrit sur un sujet comme celui-là.

 

Quel est le passage (où la phrase) de votre livre qui vous touche, vous bouleverse le plus ?

S.M : Je crois que c'est le passage qui décrit la résonnance intime chez Lisa, de la souffrance et de l'abattement de son père.


Lisa pourrait-elle être n’importe qui ?
S.M :  Lisa porte en elle cette faille qui vient du non-désir, du manque d'amour, ressentis à l'origine de sa vie. En ce sens, elle ne pourrait pas être n'importe qui mais de nombreuses personnes. Rares sont celles qui ne portent pas des fêlures intimes, ces sentiments infantiles d'injustice, d'abandon, dont les douleurs "fantômes" se ravivent et s'exacerbent au gré d'évènements anodins.
De même, sa façon de s'oublier dans sa recherche d'une reconnaissance extérieure est à mon avis très répandue. Pour celles qui sont nées après la libération sexuelle, la féminité n'a pas toujours été vécue comme une évidence. Une fois l'ancienne rigueur battue en brèche, la sexualité s'est trouvée désacralisée et pour ainsi dire banalisée: nous n’étions plus ces objets précieux qu'il importait de préserver. Dés lors, inventer notre manière de devenir sujet, définir le champ d'exercice de cette liberté nouvelle, nous a confrontées à des choix, angoissants, pour nombre d'entre nous.

Aujourd'hui encore, comme le personnage de Lisa, de nombreuses jeunes filles passent à l'acte juste pour se débarrasser d'une virginité embarrassante et se sentir validées en tant que femmes. Si elles font l'amour, c'est pour l'avoir fait, le désir, et plus encore le plaisir, sont étrangers à leur élan. Dire non, refuser un acte qu'il est "normal" de considérer anodin leur semble difficile, voire interdit...Cette confusion, paradoxalement, les conduit à se placer elles-mêmes dans un statut d'objet, mais, cette fois, c'est d’un objet de consommation courante qu'il s'agit. Bien sûr, je ne voudrais pas que le sexe redevienne un tabou, j'aimerais juste que l'envie de l'autre prenne sa place de déclencheur...

Finalement, la mémoire est elle notre alliée ou notre pire ennemie ?
S.M :  La phrase mise en exergue en ouverture du livre, "Lorsque la mémoire va chercher du bois mort, elle revient avec le fagot qui lui plait..." résume assez bien l'influence que peut, selon moi, avoir la mémoire... Lorsqu'une personne est à vif, fragilisée, ses souvenirs se transforment en fardeau. La mémoire, dans les périodes noires, a tendance à ne sélectionner que ce qui conforte les peurs, les angoisses, le sentiment d'être inapte. Mais lorsqu'on parvient à remettre les choses en perspective, les échecs sont des expériences. Il suffit de ne plus les interpréter comme des fatalités, de ne pas les percevoir tels que les motifs récurrents d'une frise, sur le tracé d'une trajectoire que l'on perçoit forcément linéaire, quand le cours de l'existence permet tant de détours et de changements de cap...

Pourquoi les maladies psychiatriques sont elles si peu comprises, si peu acceptées, si peu considérée comme “maladies” justement, même si elles sont parfois invisibles par la grande majorité des gens ? Qu’est-ce qui pourrait changer les choses ? Faut il forcément être approchée par ces maladies pour les comprendre ou du moins les percevoir d’une autre façon.
 S.M :  Je ne pense pas être compétente pour apporter d'une manière générale, une réponse. Sur la dépression cependant, oui, je crois qu'il y a une peur, celle de reconnaitre, sans se sentir dévalorisé, que la souffrance psychique peut nous submerger, et que la seule volonté, que ce soit celle des proches ou la sienne propre, ne suffit pas à l'endiguer... Un travail thérapeutique passant par la parole peut désamorcer le processus, voire même éviter le naufrage. C'est un merveilleux travail d'alchimiste, qui transforme la sensibilité que l'on avait jusque là perçu comme une faiblesse, en force. L'entreprendre n'est pas le signe d'une insuffisance, ni que la folie nous guette. Au bout du chemin, les manques, les douleurs du passé conduisent à davantage d'humilité et génèrent plus d'humanité....

Quel est le message principal de votre roman ? Et comment réagit on, en tant qu’auteur, lorsqu’il semble mal compris ?
S.M :  Le véritable message du roman est qu'une "origine négative", le sentiment d'être perçu comme "indésirée" et donc indésirable, laisse une empreinte indélébile dont il est difficile de se dégager, même adulte. Cette blessure ternit le présent, elle dépose un filtre négatif, celui de l'impuissance du passé, et sa force diffuse pousse à chercher dans les évènements une confirmation de la "vocation" au malheur dont on a cru être l'objet.

Ce que j'ai voulu dire c'est qu'il faut couper le lien, le cordon qui nous relie à nos blessures infantiles, sans quoi, on crée soi-même son propre malheur. Pour donner un exemple, Lisa n'a pas forcément choisi son compagnon en connaissance de cause, mais ce qui la distingue d'une autre, c'est que, convaincue qu'elle n'a pas droit à mieux, elle reste. L'autre sujet du livre, c'est la féminité, la difficulté en tant que femme d'exercer sa liberté, d'affirmer son désir.

Ce qui a été mal compris dans le roman est à la fois sa forme, destinée à illustrer une pensée avide qui tourne à vide, ce qu'illustrent ces rimes creuses, et pour lesquelles on m'a reproché de "me vouloir poétique"... Certains passages sont teintés d'ironie et d'humour et en parcourant les commentaires, j'ai appris qu'ils pouvaient être perçus au premier degré.

Il y a aussi sur le fond, cette idée que lorsque l'on est blessé, on reste immature, on désire le désir de l'autre, au risque de s'oublier tout à fait dans cette quête. La faiblesse démontrée par Lisa a pu agacer certains lecteurs, d'autant plus que se reconnaitre dans cette réactivité, admettre cette faiblesse, nécessitent une forme de courage. L'engouement de Facebook, les demandes de validation par "like", d'une photo, d'un texte, auxquels se prêtent les membres, montrent que beaucoup n'ont pas envie de remettre en question cette illusion que l'on peut exister essentiellement dans le regard des autres...

 Vous vivez à Bali si je ne me trompe ?! Pourquoi Bali ? A quoi ressemble votre vie sur cette île qui de loin, symbolise la zen attitude, le bouddhisme, les balades en vélo entre les rizières ?
S.M : J'ai longtemps vécu à Bali, mais je suis rentrée en Europe depuis quelques années, sans vraiment m'y retrouver tout à fait. Une part de moi a besoin de la sérénité de mon île, de cette extraordinaire ferveur qui anime ses habitants et d'une plus grande proximité avec la nature. Là-Bas, regarder onduler un champ de riz caressé par le vent, ricocher sur le sol l'eau d'une pluie attendue, et laisser simplement se perdre les heures, suffit à me combler.

Travaillez vous déjà sur un autre roman ? Une histoire qui se déroulerait à Bali est elle envisageable ?
S.M :  Oui, je travaille sur un autre roman, dont l'action se déroule en Europe, de nos jours, en quelque sorte, ici et maintenant. J'en suis encore aux balbutiements, mais le sujet m'implique et je sais que je le pousserai à son terme. Par contre j'ai écrit quelques nouvelles qui fonctionnent par paires, parmi lesquelles une d'elle se situe à Bali... Mais elles vont me demander encore beaucoup de travail pour en affiner la forme.


Et l’incontournable question : Quelle lectrice êtes vous ? Quels sont vos 3 derniers coups de cœur littéraires ?
 
S.M : Je lis beaucoup, j'aime le cinéma, mais je peux m'en passer durant de longs mois. Par contre, j'ai toujours un livre en cours...

  Cette dernière année a été particulière, j'y ai fait deux "rencontres littéraires" d'une intensité exceptionnelle...

"La bascule du souffle" d'Herta Muller m'a profondément bouleversée, subjuguée. Avec une délicatesse et une concision extraordinaire, elle tisse une toile sensible, où se rejoignent à la fois les sonorités, les images, les émotions, pour révéler un profond humanisme.

La seconde grande découverte a été celle des romans d'Antonio Lobo Antunes, et plus particulièrement "Splendeur du Portugal". Pour moi il s'agit d'un un génie, il réinvente le procédé du flot de pensées et, ainsi que je l'ai lu dans un article consacré à la mise en scène de son œuvre romanesque, il sait faire parler les femmes mieux que quiconque, avec une justesse et une subtilité qui retrace les moindres détours, les plus infimes mouvements d'un monde intérieur.

Et pour le troisième, il m'est difficile de faire un choix, j'ai beaucoup aimé "Le temps vieillit vite" de Tabucchi, un recueil de nouvelles magnifiques et la "La grande Maison " de Nicole Krauss, qui entrecroise cinq vies autour d'un meuble, un bureau et évoque entre autre la question du besoin irrépressible d'écrire...

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