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Pas dansant, ces pas dansés (l’esprit de corps froid à Beaubourg)

Publié le 24 novembre 2011 par Mademoiselledupetitbois @MlleduPetitBois
Pas dansant, ces pas dansés (l’esprit de corps froid à Beaubourg)

Du rythme, mais peu d'élan

Petit tour de piste dans cette expo dansante… mais peu entraînante. Autour du mot d’ordre Danser sa vie emprunté à Isadora Duncan, le Centre Pompidou revisite l’histoire de la danse moderne : des ballets des années 1900 avec Loie Fuller jusqu’à Merce Cunningham, c’est toute l’expression corporelle figurée à travers les arts qui s’expose en vidéos, peintures et sculptures. C’est riche, c’est bien fichu, mais curieusement : quelle froideur !

S’ouvrant sur la Danse de Matisse, le parcours est assez rythmé, entre les images de l’Après-midi d’un Faune (l’une de mes œuvres préférées de Claude Debussy, chorégraphiée par Nijinski en 1912), les dessins de Bourdelle sur Isadora, ou encore la série des danseurs de Rodin. Le regard comme les oreilles sont aux aguets. Pourtant, au fur et à mesure, bien qu’il soit appréciable d’être surpris par la magnifique Danse de Derain, de retrouver Sonia Delaunay, Picabia ou Kupka, de flipper aussi devant la Totendanz (danse de mort) de Mary Wigman, les thématiques choisies s’orientent davantage sur la mécanique des corps que sur la grâce.

Pas dansant, ces pas dansés (l’esprit de corps froid à Beaubourg)

Nijinski, grand Faune funky scandaleusement beau dans l'Après-midi de Debussy

Les titres des salles seront plus explicites : « Rythmes abstraits », « Danse et géométrie », « Ballets futuristes et mécaniques », « Danse biomécanique et constructiviste », « Danse postmoderne et minimale »… Sous trois grands angles – La danse de soi, Danse et abstraction, Performance et danse (on ne craint pas la redondance, hein) – c’est bien la mathématique dansante qui est représentée, avec, à mon goût, peu d’élan vital. De chorégraphies en arts visuels, l’ensemble a fini par me laisser un goût de désincarné (si vous me passez l’expression), mais enfin… Si je connaissais déjà une bonne part des arts exposés (Bauhaus, De Stijl, Futurisme, fumisterie de Klein, furie de Fabre, fantaisies de Man Ray et fantastiques distorsions de Kertesz…), j’ai adoré la Danspaar de Vilmos Huszár (enfer et damnation, cette incroyable peinture est introuvable sur le web !), et la démo Solo de William Forsythe (1997) chorégraphe que j’avais eu la chance de découvrir à Garnier il y a une dizaine d’années.

Fort heureusement, avec lui le conceptuel peut faire sourire autant qu’il impressionne. Et puis il y a la claque, dans la salle noire où est diffusée le Sacre du Printemps dans la version de la désormais très revendiquée Pina Bausch. Mode ou pas, son travail ne peut pas ne pas toucher, émouvoir, secouer le spectacteur. A moins d’être un glaçon.
Ces œuvres-là ont l’avantage de réchauffer un tant soit peu l’atmosphère que j’aurai trouvée dans son ensemble plutôt glaciale donc. Rien de Robbins, de Fosse, de Découflé par exemple – trop joyeux ? Ah si, j’oubliais : en prix de consolation vous trouverez quand même (s’il vous reste de l’énergie) la petite salle pop marrante dédiée à Jérôme Bel, à la toute fin du parcours (mauvaise conscience des organisateurs ?). C’est bien le seul espace qui sollicite – et c’est un comble – les pieds ! Quant à l’humour, ce n’est manifestement pas cette année, à Beaubourg, la spécialité maison. Dommage qu’on s’y prenne autant au sérieux.

Pour ma part, je considère la danse comme une absolue pulsion de vie, de joie, de violence parfois, mais toujours faite de sensations fortes ramenant les esprits pensants que nous sommes à la condition première : Etre – un corps en mouvement, qui éprouve, ressent, exprime. C’est un accès, pas toujours aisé mais assuré, vers la liberté. « Danser, c’est le rythme de vie le plus heureux », disait Marcelle Sauvageot*. « Quand le corps se meut sur un rythme une autre vie s’élève, le monde se transforme… » Et pour accompagner les mots de cette merveilleuse femme des années 30, je choisirai, en guise de conclusion assortie, les gracieux et harmonieux pas dansés de Ginger et Fred. Où une autre vie s’élève, sans aucun doute.

– « My oh my » : Smoke gets in your eyes, danse de rêve par Ginger Rogers et Fred Astaire dans la comédie musicale Roberta (1935) de William A. Seiter, sur les musiques du fabulous Jerome Kern, où s’illustre aussi brillamment la grande Irene Dunne ainsi que Randolph Scott. En DVD (ou à la Cinémathèque…)

– Danser sa vie, art et danse de 1900 à nos jours, exposition au Centre Pompidou, jusqu’au 2 avril 2012. Métro Châtelet, Beaubourg, Hôtel de ville.

* – Marcelle Sauvageot, Laissez-moi (Commentaire), publié aux Editions Phébus. Disponible en librairie, mais je signale une réédition toute fraîche de ce texte sublime en janvier prochain.

Ps. Grand merci à swinging Séverine, collée serrée aux œuvres exposées… héhéhé.


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