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La montagne blessée

Publié le 13 janvier 2008 par Yvan

160-copie-1.jpg Menace d'orage dans la montée vers Ghorepani


Décision prise, objectif assumé, il est temps de me mettre en chemin en ce clair et lumineux matin. Presto ! Car la montée est longue jusqu'au col de Ghorepani, redoutée par bien des trekkers. Je veux éviter la chaleur accablante de la mi-journée, encore plus les averses qui ne manqueront pas de lui succéder, comme c'est de coutume depuis des jours. Curieuse cette mécanique climatique, ce cycle réglé comme du papier à musique alternant beau temps et intempéries. L'avantage du moins c'est que l'on sait à quoi s'attendre. J'anticipe déjà les futures chutes de neige qui pimenteront ma progression vers les camps de base du Macchapuchare et de l'Annapurna !
Mais le sort une fois de plus vient contrarier mon raisonnable plan de marche. Parvenu à une petite clairière, alors que je viens de prendre pied sur la rive gauche de la Kali Gandaki après l'avoir franchi sur un pont en troncs de bananiers et deux gués aux pierres instables, je me retrouve nez à nez avec une escouade de militaires qui m'ont bien l'air d'interdire toute progression. So, what happens ! Une traque aux maos maybe ? Quelques infortunés voyageurs stationnent déjà sur cette aire improvisée de parcage, que rejoignent au fur et à mesure que passent les minutes d'autres marcheurs - villageois, porteurs, trekkers... - tout ce beau monde se voyant désormais logé à la même enseigne : celle de l'attente... Si commune en Asie.
Or, point d'attaque de maoïstes en vue, je crois comprendre qu'il est question de travaux sur la rive opposée qui appellent de grandes précautions. On peut dire qu'au Népal on ne plaisante pas avec la sécurité des personnes ! Il s'agit plus précisément de faire exploser des charges d'explosifs afin de tracer la future route dans le flanc de la montagne. J'aperçois à trois cent mètres de distance une armée de carriers, qui on tout l'air de fourmis, oeuvrant sur ce chantier hors du commun. Encore ces fameux "forçats de la pierre" qui font ici progresser la piste de quelques dizaines de mètres par jour en direction de Tatopani. Tatopani, bientôt accessible en véhicule motorisé, t'y crois toi ! Bienfait certes pour les habitants de cette vallée enclavée, mais il faudra bien agrandir les bassins des thermes afin d'accueillir la nouvelle race de touristes qui à l'avenir s'y rendront  en 4x4 !
C'est à présent une véritable petite foule qui se presse , résignée mais sereine - bon, j'ai bien entendu une poignée de trekkers bougonner et râler ! - à ce coin de bois. Nombre d'entre nous ont déposé leur charge, leur sac à dos ou leur doko, se sont assis, ont commencé de deviser avec leurs voisins d'infortune. Ce genre d'événement a ceci d'opportun qu'il permet de lier connaissance avec des gens qui sinon nous seraient restés indifférents. Voilà qu'arrive un petit bataillon de porteurs, minces comme des triques et tout en muscles saillants, aux charges étonnantes. Pourtant j'en ai vu de ces hommes sur les sentiers népalais, trimballant d'improbables fardeaux, mais là ça dépasse les bornes de l'entendement ! L'un après l'autre, ils déposent précautionneusement leur tronçon de canalisation, long de deux mètres cinquante et d'un diamètre avoisinant le mètre, profitant de l'aubaine que représente cette pause imprévue. Plus tard je les observerai se préparant à repartir, prenant dix bonnes minutes pour charger leur obélisque de près de quatre-vingts kilos. Il faut naturellement le porter à la verticale, étroitesse des chemins oblige, donc le dresser puis le basculer sur le dos et l'y maintenir à l'aide d'un ingénieux système de lanières et de cordes, la stabilité et l'amorti étant assurés par une boule de chiffons glissé entre l'arrondi de la conduite et les omoplates !

Une salve assourdissante retentit, se répercutant en un écho sans fin contre les versants abrupts de la gorge. Accompagnant ce fracas, s'élèvent en tournoyantes volutes et bourgeonnants champignons gris, ocre et jaunâtres des tonnes de poussières et de débris de roches. Ils n'y vont pas de main morte pour entailler la montagne ! Mais ne nous y trompons pas, tout ceci doit être calculé au quart de poil par d'experts ingénieurs du génie civil népalais.
C'en est fini, croit-on, chacun se lève, empoigne son bagage, pressé à présent de lever le camp. Un soldat calme les ardeurs d'un geste de la main, un autre marmonne dans son talkie-walkie qui fait la liaison avec le chantier. Les opérations sont loin d'être terminées, nous aurons droit à quatre nouvelles séries de déflagrations, tout aussi impressionnantes avant d'avoir la permission de poursuivre notre route. J'aurais perdu - ou bien peut-être gagné, tout dépend du point de vue - une bonne heure au cours de ce curieux épisode de mon trek.

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Construction d'un nouveau pont au-dessus d'un torrent



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