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La guerre de l’euro

Publié le 11 décembre 2011 par Mercure

royaume-uni2Le jeudi 8 décembre 2011 à Bruxelles, les pays européens ont gagné une bataille cruciale pour leur survie, mais n’ont pas encore gagné la guerre.

On verra dans quelques jours si les marchés ont stoppé leur avancée ou confirmé leurs menaces.

Ce jour-là, cependant, l’un des plus combattifs des chefs néolibéraux du monde a quitté la salle de réunion de Bruxelles la tête basse. Pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, le front des Européens, enfin solidaires, a refusé à la « perfide Albion » les privilèges qu’ils lui concédaient aisément dans le passé. Si la Grande Bretagne désire un jour faire partie de la nouvelle Europe, il lui faudra désormais le faire dans le rang commun.

Heureusement, David Cameron n’a pas insisté. Sa défense d’une City néolibérale n’a pas marché. Cela constitue une première bataille gagnée dans la crise, et souligne fortement la responsabilité du néolibéralisme dans celle-ci. L’ombre de Thatcher commence à s’effacer !

La situation économique de la Grande Bretagne ne permet plus à celle-ci de faire la grande « chochotte », et il est même possible, sinon probable, que la sortie « côté cour » du Premier ministre anglais puisse provoquer dans un certain temps la fin de sa coalition avec Nick Clegg, soit de nouvelles élections assurées, dont il ne sera pas sûr de sortir cette fois vainqueur.

Reste à connaitre les réactions de son opinion publique. Isolée, la Grande Bretagne risque de ne plus peser très lourd, sans compter que son éternel compagnon de route, les É-U, ne brillent plus guère non plus sur le front économique.

Mais le fait sans doute le plus important que l’on retiendra, sera le lâchage de la Grande Bretagne par les neufs autres pays de l’Union européenne qui ne font pas partie de la zone euro. C’est-là une véritable claque !

* * *

Comment vont réagir les marchés ? et surtout les agences de notation ? Il est probable que celles-ci ne s’attendaient guère à une réaction aussi énergique à leurs menaces de la part de la zone euro. Sans doute vont-elles sursoir à leur offensive, dont le déclenchement tentait de couvrir le flanc d’un système dollar en perdition.

La seconde manche va se dérouler devant les Parlements des États européens, qui auront le dernier mot, assez rapidement semble-t-il. On peut parier qu’ils suivront leurs chefs d’État malgré quelques réticences.

Les populations de leurs pays connaissent en effet la frousse de leur vie depuis les ébranlements financiers traversés par la longue file des États grecs, irlandais, portugais, espagnol et italien. Elles ont sans doute compris que la solution à leurs désillusions est à trouver du côté de la solidarité, et qu’elles devront donc se serrer les coudes.

La guerre contre l’euro ne sera cependant pas définitivement gagnée pour autant. Beaucoup d’efforts restent à accomplir. Sans doute fallait-il que des dangers aussi profonds se manifestent pour qu’enfin la nécessité et l’urgence d’une intégration plus complète puissent être acceptée aussi largement. Il faut souligner, et c’est très important, que les dispositions présentées jeudi à Bruxelles, présentées sous un angle économique, constituent bel et bien aussi l’amorce d’une véritable intégration politique, dans la mesure où le rôle de contrôleur budgétaire dévolue désormais à la Commission de Bruxelles constitue à demi-mot une première atteinte à la souveraineté des États membres de la zone. Acrobatie qui n’a sans doute échappé à personne. C’est donc là un pas considérable accompli dans l’histoire de l’Europe, puisque ces dispositions devraient également s’appliquer aux neufs pays de l’Union qui ne font pas partie de la zone euro. Sans avoir été formellement dit, une adoption prochaine de l’euro par ces pays se trouve ainsi en quelque sorte sous entendue.

Les commentaires

De nombreux commentaires sur ces accords ont été faits à la hâte par les médias français et les milieux politiques de l’opposition française. Ils n’ont manifestement pas suffisamment fouillé les apports de la réunion de Bruxelles.

C’est ainsi que le reproche le plus courant a porté sur le fait qu’aucune réponse pratique n’ait été apportée aux menaces des agences de notation, et par conséquent des marchés, qui attendaient des décisions d’application immédiate de la part de l’Europe. Ses auteurs ont purement et simplement ignoré la mesure prise par la BCE consistant à investir dans l’immédiat une somme de 200 milliards d’euros dans le FMI, lequel à son tour pourra ainsi apporter les financements nécessaires aux États en difficulté, à des taux très inférieurs à ceux des marchés.

Alors que ceux-ci frisent actuellement les 7%, taux conduisant irrémédiablement à une faillite rapide, les taux du FMI pourraient tourner autour de 3 à 4%, coûts parfaitement soutenables pour les pays surendettés. Le mécanisme néolibéral du financement par les marchés se trouve ainsi contourné, tout en respectant l’interdiction faite à la BCE de prêter directement aux membres de la zone euro. Il est évident que ce processus pourra être renouvelé autant de fois que nécessaire. Pour l’Europe, c’est la fin du pouvoir des agences de notation. Par cette manœuvre intelligente, elle évite avec aisance les traquenards du néolibéralisme, « tout, pour et par les marchés », cause principale de la crise.

À vouloir réagir trop vite à l’événement, les commentateurs n’ont pas passé suffisamment de temps à la réflexion. C’est bien dommage ! Le flou qu’ils dénoncent en général se trouve plutôt dans leurs têtes.

Quelque soit ce qui en sera dit, il reste que ce qui m’est apparu le plus significatif, au-delà des précisions par lesquels ces accords devront être effectivement complétés, est la détermination et la fermeté qui s’en dégagent. Rarement les responsables politiques de l’Europe ont montré autant de préparation à une action résolue.

* * *

Une autre intéressante possibilité de réforme que les accords de Bruxelles apporteront, réside dans la mise en pratique de la taxation des transactions financières, à laquelle les Anglo-Saxons sont foncièrement opposés. Cette taxation, si elle n’était adoptée que par quelques pays seulement, se retournerait contre eux, car elle augmenterait fortement leur incapacité à se refinancer, les marchés les évitant désormais pour éviter des coûts qu’ils n’auraient pas à supporter ailleurs. Adoptée et appliquée par les vingt-six signataires du nouveau traité européen, cette disposition démantèlerait largement au contraire les fondements malsains du néolibéralisme, car l’Europe réunie est aussi puissante que les É-U.

Rappelons que cette taxation rendrait pratiquement impossible les spéculations automatiques. En effet, sans cette taxation il est actuellement possible de réaliser de nombreuses fois dans une même journée des allers et retours de transactions sur une même valeur sans le moindre coût, permettant ainsi des bénéfices faciles totalement inadmissibles, et des attaques boursières dénuées de tout véritable intérêt économique pour la société, contre des États, des devises ou d’importantes sociétés.

Une disposition dérivée de cette dernière et d’égal intérêt, pourrait aussi être adoptée. Elle consisterait à définir une période minimum d’écart de temps entre la date d’achat d’une valeur boursière et celle de sa revente. Elle complèterait efficacement la première mesure dans la lutte contre la spéculation, autre cause fort importante de la crise actuelle.

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Une conséquence indirecte des accords concerne l’aide de la Chine et des pays émergents en général. Celle-ci avait été envisagée avant le G20 tenu en novembre, mais celui-ci s’est déroulé en pleine offensive des agences de notation, jetant un voile extra­ordinairement pessimiste sur la situation de l’Europe. Cela suffit à faire fuir les généreux donateurs. À partir du futur traité, il n’est pas impossible que ces pays, et notamment la Chine, reviennent sur leurs préventions du mois dernier. Ce serait une méthode de plus pour contourner les marchés financiers. Donc, à suivre !

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Enfin, la mesure sans doute la plus importante d’un point de vue politique, est la suppression quasi totale de la règle de l’unanimité en matière de décision collective de l’Union européenne. Ramené dans un premier temps à 90 % des voix, cette règle permettra d’éviter qu’une seule ou deux voix manquantes à une décision de l’Union, ne paralyse celle-ci pendant de longues périodes, ce qui a été fréquemment le cas dans le passé. Ce taux pourrait être modifié à la baisse, à mesure que la solidarité s’accroitra au sein de l’Union.

Beaucoup de temps s’est écoulé depuis les traités de Maastricht et de Lisbonne. Les différents milieux politiques de l’époque ont cherché à introduire dans ces traités le maximum de protection possible pour leurs pays respectifs. Depuis, ils ont appris à se connaître, car ils ont travaillé ensemble pendant de longues années. Ils ont également compris que leur Union avaient d’importants ennemis dans le reste du monde. Notamment les pays passés au néolibéralisme. Une nouvelle confiance s’est donc établie entre eux. On peut donc penser aujourd’hui qu’une alliance informulée mais solide règne maintenant au sein de la classe politique européenne.

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Il semble bien que la marche en avant de l’Europe vers son intégration politique, dont la forme reste cependant à définir, soit devenue maintenant le programme de tous, au terme d’un long cheminement.

Il était temps !

© André Serra

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Cet article répond aux règles de la nouvelle orthographe


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