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Wang Meng, les sourires d’un sage d’aujourd’hui

Publié le 21 décembre 2011 par Les Lettres Françaises

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revue culturelle et littéraire - Les Lettres Françaises -  L'empire du milieu

L'empire du milieu

La Chine est sans doute aujourd’hui le pays qui fait, un peu partout en Occident, l’objet des jugements les plus hostiles et les plus péremptoires. D’autant plus péremptoires que la connaissance qu’on en a est modeste. Or, la moindre des choses serait d’avoir, s’agissant de ce pays immense et à l’histoire plurimillénaire, l’humilité d’essayer de comprendre avant de condamner. Peut-on rêver que la lecture des écrivains chinois y contribue? Si les écrivains chinois étaient plus traduits et lus ici, cela devrait sans aucun doute y aider, car, à travers la littérature de quelque pays que ce soit, ce qui se donne à voir, ce n’est pas seulement le talent et le caractère singulier de tel ou tel auteur, mais l’esprit d’un peuple. Et que la réalité d’un pays quel qu’il soit ne peut pas s’enfermer dans quelques formules définitives, qu’elle est faite de la vie d’hommes et de femmes concrets, contradictoires et irréductibles aux poncifs dominants. Encore faudrait il que cette littérature soit plus traduite et éditée.

Parmi les prosateurs chinois d’aujourd’hui, peu sont encore ceux qui arrivent jusqu’à nous. Après Lao She et Pa Kin (Ba Jin), on peut citer maintenant le nom de Mo Yan, dont j’avais publié aux éditions Messidor dans les années quatre-vingt-dix la Mélopée de l’ail paradisiaque, traduit par Chantal Chen-Andro, et qui s’est fait maintenant une belle place sur les rayons des librairies françaises. À travers ses romans se découvre une image haute en couleurs, violente en même temps que truculente, de la Chine rurale. Mais qui ici connaît Wang Meng ?

Wang Meng est nouvelliste. Il est à mes yeux une sorte de Tchekhov chinois, dans la tradition de Lu Xun. Ses nouvelles peignent avec précision et compréhension les contradictions de la société chinoise d’aujourd’hui où l’impératif catégorique du développement économique entre souvent en conflit avec les idéaux socialistes et les valeurs morales sur lesquelles sont fondés les rapports entre individus. Son regard est le regard critique et ironique d’un homme qui n’a pas abdiqué ses convictions, mais qui sait faire preuve en même temps d’empathie, de tendresse et d’un grand amour pour la vie réelle. Au moment de Tian’ Anmen, Wang Meng était ministre de la Culture du gouvernement de la République populaire de Chine. Ayant publié un de ses romans (le Salut bolchevik, dans lequel il relate les tribulations de la révolution culturelle), je l’avais rencontré au printemps 1989 à Paris, où il était venu en délégation. Nous nous étions vus dans sa chambre du Crillon et tout de suite, délaissant tout protocole, nous avions parlé des événements en cours. Nous avions évoqué le Tibet, qui venait de faire parler de lui dans nos journaux et les jeunes rassemblés depuis plusieurs jours sur la place Tien’ Anmen qui réclamaient la démocratisation du régime socialiste. Wang Meng vivait visiblement ces événements avec passion. À mes questions, il avait répondu à la chinoise, en utilisant une image empreinte d’une sagesse moqueuse. « C’est le problème de la cocotte-minute, m’avait-il dit, quand elle est fermée, ça va… quand elle est ouverte, ça va… Le moment délicat, c’est celui de l’ouverture du couvercle. »

Quelques jours plus tard, la répression mettait fin au mouvement et Wang Meng, jugé, comme Hu Yaobang, l’ancien secrétaire du PCC, trop réformateur et trop proche des manifestants fut démis de ses fonctions et assigné à résidence. Le lire aujourd’hui nous donnerait une autre idée de la Chine.

 Francis Combes

 Les livres de Wang Meng ont été publiés aux Éditions Bleu de Chine et aux Éditions en langues étrangères de Pékin.

N°88 – Décembre 2011


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