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Perdus dans Kaboul (28)

Publié le 04 mars 2008 par Rogerroger
Tu ne m’as jamais considéré comme une personne fiable et crédible. A juste titre. Il faut dire que l’idée de me présenter à toi comme un spécialiste de la Schwedagon, ce jour là, au Strand, ne m’a pas mis dans une position des plus valorisantes, pour la suite de notre relation. Je venais juste de visiter pour la première fois de ma vie cette ravissante pagode. J’étais arrivé à Rangoun la veille.
Dans un premier temps, j’ai réussi à éviter le sujet. J’ai ensuite passé la nuit à apprendre par cœur le chapitre de mon guide consacré au temple, malgré tout je pense que notre visite commentée des lieux, le lendemain, ne m’a pas imposé à tes yeux comme homme de science et de culture, mais plutôt comme un plaisantin. Ce qui m’a permis de te prendre brièvement la main, en te racontant qu’un diamant de soixante-seize carats brillait sur le faîte de l’immense stupa dorée, ce que tu savais déjà, bien entendu.
Je n’avais d’abord pas voulu te déranger dans ta lecture. Je m’étais assis à bonne distance de toi, en léger retrait pour t’observer discrètement, jetant des regards appuyés dans ta direction, tout en donnant le change, au cas où, en tripotant le menu. Je ne me comporte pas de la sorte, d’habitude. Je ne sais, trop de solitude, dans cette ville brisée, la majesté coloniale de ce grand hôtel, et surtout ta silhouette, cette manière de te tenir, rigide, avec de brefs instants d’abandon et de fragilité.
De temps en temps, tu posais la tasse de thé et, machinalement, tu passais furtivement ta main sur les boutons de ton chemisier, entre tes seins menus, comme pour ôter d’invisibles miettes de gâteaux – auxquels tu n’avais pas encore touchés.
Tu lisais vite, tournais les pages avec régularité, d’un petit geste sec. Je découvrirai plus tard à quel point tu agissais de manière méthodique en tout, y compris lors de tes rares loisirs.
J’avais lu un livre de Maugham, longtemps auparavant, j’aurais pu aussi bien t’aborder par ce biais, au point où j’en étais. Nous aurions parlé de Graham Greene, dans la foulée, puis de John Le Carré.
De grands écrivains, tous les trois. Et tous des espions.

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