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La blanquette... rouge

Publié le 29 février 2008 par Rogerroger
J’ai commencé à vraiment me poser des questions sur notre cuisine le jour où un Français – un vrai : insolent, dépositaire de la supériorité gauloise sur le reste du monde, et sachant flairer un vin madérisé – d’ordinaire courtois, m’a fait appeler, passablement énervé, me désignant son assiette d’un geste théâtral parfaitement explicite : la «blanquette de veau » ne lui convenait pas. Mais alors pas du tout. « C’est la première fois de ma vie que je vois une blanquette… rouge ! »
Il me semble qu’à l’époque, notre Chef afghan, Ramin, formé en quelques semaines par un Français, sans doute trop vite reparti, avait confondu deux recettes et noyé la farine de la blanquette dans le vin rouge et le fond brun du bœuf bourguignon…
Un exemple, un peu caricatural, de ce qui se trame, se concocte, parfois, dans les cuisines d’un restaurant « français » à Kaboul, surtout à ses débuts. Ainsi que du rapport passionnel, et culturel, de nos compatriotes, mais aussi de tous les autres « citoyens du monde », avec ce que l’on appelle communément la « bouffe ».
La cuisson d’une viande relève souvent, par exemple, du sacré. De nombreuses personnes ont décidé une fois pour toutes – enfant ? - si elles préféraient leur bœuf bleu (« very rare »), saignant (« rare »), à point (« medium ») ou bien cuit (« well-done »). Gare aux fantaisies, aux légères déviations, aux coups de chaud intempestifs… Aucune erreur ne sera pardonnée. (Sauf pour ceux, et cela se rencontre aussi, que le contenu de leur assiette indiffère…)
Cette intransigeance est légitime et même valorisante, sur le long terme, pour des restaurateurs improvisés. Mais cela est toujours surprenant et fort révélateur de la part du psychologique dans ces histoires de table – le rapport à la chair, au sanguinolent… – du mythologique, du vécu de chacun (« ma mère le faisait comme ça »). (En y repensant, j’imagine le traumatisme pour le pauvre gars qui a vu arriver une blanquette rouge !)
Les Français ont une inclinaison nette pour le presque cru, les Anglo-Saxons pour le bien cuit.
A nos débuts, selon l’usage propre au terroir, le magret de canard était servi rosé, sans consigne différente du client. A force d’essuyer moult plaintes de notre « public » cosmopolite et de retourner en cuisine se faire repasser à la poêle, il est devenu « well-done », voire, pour quelques barbares du Nord, « very well-done », morceau charbonneux au fond de l’assiette, sans laisser aucune chance aux papilles de capter la moindre saveur.
Il n’a pas fallu moins de quatre séjours prolongés de Chefs français pour arriver au niveau minimum requis pour satisfaire le goût commun (en renonçant, toutefois, à contenter les plus pinailleurs des Français). On est parti de loin. Nos cuisiniers afghans, à coup sûr marqués par une alimentation de survie à base de graisse, ne se sont jamais vraiment passionnés pour nos rituels sophistiqués, et ont toujours refusé de manger les plats qu’ils apprenaient à réaliser ! Seul Ramin, formé en Allemagne, nous proposait des recettes de son invention… à base de chou, chaque fois.
Les autres ont fini par se plier à nos méthodes de travail… étranges. Lentement mais sûrement. Pour assurer leur gagne-pain, mais aussi avec le désir de bien faire.
Des recettes simples, « françaises », adaptées au « goût des autres », ont fini par s’imposer : camembert frit ; coquilles Saint-Jacques à la crème d’ail doux ; galette de pomme de terre au saumon fumé ; filet de lieu noir au beurre blanc ; et, pour les desserts, à peu près n’importe quoi pourvu que du chocolat figure dans la composition…
Peu à peu, d’importantes améliorations ont été apportées : le jour où nous avons remplacé le « bloc de foie gras », par exemple, par du « foie gras entier » - merci l’Armée française – certaines clientes américaines snobs ont cessé de vitupérer avec des : « C’est quoi cet’ pâté ! »
Puis, notre dernier Chef, Jean-François, jeune et doué, a, entre autres petites révolutions gastronomiques simples, appris à cuisiner un vrai tartare… comme chez nous, en lieu et place du steak haché mi-cuit mélangé à des herbes non identifiées, chapeauté d’un œuf frit, que l’on a servi pendant des mois (« C’est quoi cet’ truc ! »)
En fait, il serait presque possible d’ouvrir un restaurant français sans grande prétention culinaire n’importe où, à condition de pouvoir s’approvisionner en foie gras, charcuterie, bœuf, camembert et chocolat… Sans oublier notre pinard national, il va sans dire…

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