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Deleuze au miroir

Publié le 30 décembre 2011 par Cdsonline

Deleuze au miroir

Penser, d’abord, c’est voir et c’est parler, mais à condition que l’œil n’en reste pas aux choses et s’élève jusqu’aux «visibilités», et que le langage n’en reste pas aux mots ou aux phrases, et s’élève jusqu’aux énoncés. C’est la pensée comme archive. Et puis penser, c’est pouvoir, c’est-à-dire tendre des rapports des forces, à condition de comprendre que les rapports de forces ne se réduisent pas à la violence, mais constituent des actions sur des actions, c’est-à-dire des actes, tels «inciter, induire, détourner, rendre facile ou difficile, élargir ou limiter, rendre plus ou moins probable…». C’est la pensée comme stratégie. Enfin, dans les derniers livres, c’est la découverte d’une pensée comme «processus de subjectivation» : c’est stupide d’y voir un retour au sujet, il s’agit de la constitution de modes d’existence, ou, comme disait Nietzsche l’invention de nouvelle possibilités de vie. L’existence non pas comme sujet, mais comme œuvre d’art, et ce dernier stade, c’est la pensée-artiste. (Gilles Deleuze, Pourparlers, Les édition de Minuit, Paris)

Deleuze définit trois formes du penser qui semblent se déployer suivant une articulation chronologique: du plus originel (la pensée comme archive) au plus abouti (la pensée-artiste) en passant par une forme intermédiaire (la pensée stratégie).
Cette tripartition n'est pas sans rappeler les fameux stades de Kierkegaard esthétique-éthique-religieux (qui anticipent d'une certaine manière la structure tripartite lacanienne imaginaire-symbolique-réel).

Voyons comment Deleuze présente ses trois occurrences…

1/ Penser, d'abord, c'est voir et c'est parler…
Penser commence de façon simple, spontanée, ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure et nommer les choses qui sont. Oui mais. Penser réclame déjà un premier saut: ne pas s'en tenir aux choses "vues" (déjà connues) mais s'élever aux "visibilités" (l'inconnu du connu) c'est à dire comment les choses se donnent à voir là, dans l'instant, en réclamant toute mon attention, en traversant cette expérience précise, sous quelle perspective, dans quel éclairage, et prenant quelle forme, ces choses vues me forcent à trouver d'autres mots, de les articuler dans un énoncé dont je suis le sujet de l'énonciation

2/ Et puis penser, c’est pouvoir…
À partir de l'expérience esthétique (contemplative) du premier stade, peut se mettre en place une dynamique du penser (active), les verbes employés: "inciter, induire, détourner, rendre facile ou difficile, élargir ou limiter, rendre plus ou moins probable"… impliquent une subjectivité engagée (c'est ma "vision" des choses) une subjectivité à l'œuvre qui a pris acte des rapports de force (visible/invisible, lumière/ombre, forme/fond, champ/hors-champ, lisible/visible, etc.) que le sujet assume pleinement (son point de vue) et qui fait des choix de représentation pour l'Autre, la stratégie s'établissant toujours en fonction d'un objectif qui serait en l'occurrence… l'intersubjectivité, qu'un autre sujet puisse s'y (re)connaître (inciter, induire, détourner, rendre facile ou difficile, élargir ou limiter, rendre plus ou moins probable…)

3/ Enfin, penser c'est un «processus de subjectivation»…
Là Deleuze alerte le lecteur en émettant une restriction d'importance : "c’est stupide d’y voir un retour au sujet, il s’agit de la constitution de modes d’existence" qu'est-ce que ça veut dire?
Ça veut dire qu'il ne faut pas confondre la petite musique de son discours intérieur avec l'acte de penser. Penser réclame précisément la suspension de ce dialogue intérieur pour déboucher sur son objectif final ("dernier stade") : inventer "de nouvelle possibilités de vie", la pensée comme un acte créateur ("l’existence non pas comme sujet, mais comme œuvre d’art"). Le sujet de l'énonciation s'inclut alors de lui-même à l'intérieur de chaque énoncé, se modelant et prenant forme dans l'acte même du penser. Autrement dit, c'est à dire avec les mots de Jean Giono : "je ne décris pas le monde tel qu'il est, mais tel qu'il est lorsque je m'y ajoute, ce qui évidement ne le simplifie pas"…

Un retour sur l'image (le premier stade du penser, le stade originel, le stade esthétique qui engage les sens et leur synesthésie, à savoir le cœur en tant qu'il centralise la sphère des sens en permettant l'accès au langage) peut permettre d'éclairer cette dernière étape: que dit cette image?

Cette image montre un reflet — et même un double reflet ! — qui nous engage à réfléchir nous-même (doublement?) — le philosophe situé dans le coin gauche de l'image, affiche un air grave,  semblant lui-même abîmé dans sa propre réflexion, il a les yeux tournés vers l'objectif (vers nous) mais son reflet s'en détourne, comme pour regarder vers l'arrière, son profil nous invitant à entrer dans l'image, en creuser sa réflexion et y rencontrer le portrait de Marx, Marx qui est vraisemblablement  — partageant ce "privilège" avec Hegel et Freud — le penseur le plus mal réfléchi de tous les temps, au point où l'on a pu dire que le marxisme était la somme des malentendus autour de l'œuvre de Marx…=)

(à suivre… peut-être!:)

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