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Le Paradoxe anglais

Publié le 09 janvier 2008 par Steven Petitpas

« Sorry ! » Voilà ce qu’on entend toujours dans les couloirs de l’école. Des élèves, enfants ou ados, qui passent leur temps à s’excuser. La politesse : cheval de bataille de l’Angleterre. Ordre, étiquette. Uniforme ! Bien présenter : c’est important. 
« Your shirt ! » C’est comme une formule magique. Si vous lancez cette phrase à un élève passant dans le couloir, quel que soit son âge, son réflexe immédiat, totalement conditionné, sera de vérifier si sa chemise est bien rentrée dans son pantalon. En classe, un regard désapprobateur suffit souvent à réduire au silence les plus bavards d’entre eux.

 
« L’éducation, ça n’existe pas en France. » Voilà ce que m'aura un jour lancé un professeur, sur un ton rieur, alors que je quittais sa classe. Qui aime bien châtie bien, comme on dit. Certes, l’ordre et l’étiquette ne sont pas les premières choses qui viennent à l’esprit quand on pense à l’école française. L’écart entre les systèmes de nos deux pays relève de l’évidence. Je quitte la salle en me disant tout de même que cette petite provocation, parce qu’elle généralise et joue du préjugé, manque un peu... d’éducation.
J’ai eu l’occasion d’assister à quelques réunions de Sixth Form, tenues au sein de l’Howard Hall, la salle de spectacles de l’école. Il y a, je vous assure, de quoi être impressionné. C’est, répandue sur les sièges, une véritable armée de centaines d’ados en costume qui obéit au doigt et à l’œil. On se lève comme d’un seul homme, on s’assoit d’un seul mouvement. Le silence est absolu.
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L’école anglaise : une machine bien huilée. On fait le tour des rouages, et on se frappe le torse de satisfaction. Tout cela fonctionne si bien. « Ah oui ! C’est ça l’éducation ! »
Depuis quelque temps, je fais moi-même le tour de la machine. J’arrive peu à peu à l’idée que, sans doute, on ne regarde pas d’assez près.
Oui, on porte la cravate. Mais on fait un nœud énorme de façon à ce que celle-ci s’arrête au troisième bouton de chemise. C’est plus mode. C’est plus rebelle. Les cheveux sont longs, en bataille, ébouriffés et cachent le visage. C’est à dessein qu’on laisse dépasser sa chemise, qu’on ne sert pas son pantalon. On fait mine de ne pas craindre les « your shirt ! »
Oui, on porte le tailleur. Mais la jupe de working girl ne couvre qu’une moitié de cuisse. On porte le tailleur, mais une ceinture kaki mal à propos paraît sous une chemise rouge bien décolletée. 

La machine cahote un peu, mais on ne le remarque pas. A quoi bon ? Après tout, l’éducation, la vraie, n’existe qu’en Angleterre.
Il y a l’école. Et puis, il y a après l’école. Le soir. La pression du système éducatif qui disparaît. Les pubs, la bière. Sur les coups de 20 heures, les premières brochettes apparaissent. Les brochettes de jambes. Des jambes complètes, de la cheville jusqu’aux hauteurs les moins décentes de la cuisse. Peu importe la saison. Peu importe la température. Sous les lampadaires on distingue à peine les visages : elles sont cinq ou six, leur coiffure est identique ; alignées, la tête parfois décorée d’un diadème de plastique, elles rient, marchent de travers à cause de quelque absorption d’alcool dont elles semblent très fières. Elles exhibent leur féminité naissante, mais prennent le soin de tenir à distance toute forme de distinction féminine. Elles portent des ballerines, mais marchent en canard. Elles boivent la bière au goulot.
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De temps à autre écervelées, elles aiment que les garçons éméchés les suivent dans la rue. Les garçons, eux, portent encore la chemise. Chemise blanche (ou à peu près), ouverte à mi-torse. Ils ont jeté la cravate (trop serrée). Complètement défroqués, ils se tassent aux portes des pubs, armés du passeport du grand frère. Et puis ils boivent, jusqu’à libération. Jusqu’à respiration. Jusqu’à extraction du système. Jusqu’à finir sur le pavé. Jusqu’à vomir la machine, l’étiquette, l’ordre, le pays tout entier.
Demain, il faudra retourner à l’école. Il sera toujours temps, alors, de bien présenter.


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