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Des vœux qui vaillent – littérature, cinéma… humanité ?

Publié le 04 janvier 2012 par Mademoiselledupetitbois @MlleduPetitBois
Des vœux qui vaillent – littérature, cinéma… humanité ?

Forêt et colombe (1927), de mon cher Max Ernst. Toute ressemblance avec 2012…

L’heure est aux bons vœux, messieurs-dames. Alors oui, plein de bons vœux à foison pour tout le monde ! En espérant qu’il ne s’agisse pas, seulement, de vœux pieux. Pour ma part, j’en ferai deux… ou trois.

*Le premier est parfaitement égoïste : comme disait Daho, “j’fais un vœu, le vœu d’un duel au soleil…” avec l’homme magnifique, superbe, sublime qui m’a tenue éloignée ces derniers temps de mon Petit Bois (entre autres bonnes raisons !).  Je ne vous conterai pas ma vie privée, mais je ne peux résister et frimerai deux secondes en vous disant que j’ai reçu, avec sa rencontre, le plus beau cadeau de Noël du monde. Pardon…

*Le deuxième est parfaitement égoïste : je fais un vœu contre l’oubli. En cette année d’élections, je vote contre l’oubli. Je m’explique…

Il y a en ce moment un film merveilleux au cinéma. Il s’appelle Le Havre. C’est la dernière œuvre du génial Aki Kaurismäki. Et je vous engage vivement à aller le voir. C’est décalé, tendre, généreux, bizarre, drôle. Original, intelligent, digne. Digne. Où un monsieur qui vivote s’engage à aider un jeune migrant à rejoindre l’Angleterre.

Il y a deux ans, j’écrivais ailleurs un texte à propos de deux œuvres portant sur le même thème que Le Havre. Il s’agissait du film Welcome de Philippe Lioret et du superbe livre de Dany Laferrière, L’énigme du retour. En deux ans, on a vu la crise s’emparer de nos vies quotidiennes, on a vu des charters organisés, on a vu des Roms maltraités, des enfants étrangers à l’école maternelle arrachés, et encore bien d’autres atrocités. Et comme on baigne dans un flux constant d’informations aussi tragiques les unes que les autres, on a oublié.

Des vœux qui vaillent – littérature, cinéma… humanité ?

Vérité, cœur et conscience : la vraie politique, celle des arts et des lettres

On oublie, tous les jours, tout le temps, la médiocrité et l’indécence, l’indignité dans lesquelles nous sommes plongés. Je ne fais pas de politique les Amis, je serais bien en peine d’épouser vaille que vaille des lignes de parti où l’esprit de corps impose, comme à l’armée, de mettre parfois le libre-arbitre de côté pour mieux gagner (gagner quoi ? bonne question). Il y a, dans les engagements politiques, une si grande part de calculs qu’elle transforme, là plus qu’ailleurs, en enfer les meilleures intentions. Quand nécessité fait loi, je ne donne pas bien cher des convictions, et j’ai vu ça de mes yeux vu. Bref, tout ça pour dire que, si je ne m’engage pas politiquement, je n’en suis pas moins une citoyenne un peu engagée (qui vote, à chaque fois).

Du moins j’essaie, même si je suis consternée par le jeu médiatique et les effets d’annonce qui ont pris le pas sur les idées (quelles idées dites-vous ? Là encore, bonne question). Médiocrité, disais-je plus haut. Il n’empêche, je sais qu’il y a des gens qui résistent, qui continuent d’y croire, et j’essaie (désespérément) de faire de même. Je connais même une élue (chère A. si tu lis… Amitiés) qui à elle seule amenderait presque le reste de la classe politique.

Les seules armes qui demeurent efficaces à mes yeux, vous l’aurez compris si vous me lisez depuis un moment, sont artistiques. Littérature, cinéma, arts plastiques, scènes…

Parce que, disait l’immense Isaac Bashevis Singer que j’adore (encore) :

“Au mieux, l’art ne peut pas être autre chose qu’un moyen d’oublier un moment le désastre humain.”

C’est le seul oubli possible et recommandé : oublier le désastre humain, à grande échelle – car il est inéluctable. Comment, lugubre, ce que je dis là ? Mais non, attendez, voyons… Comme chez cet écrivain, l’art donne sur le monde un éclairage autrement politique, c’est-à-dire politique au sens premier du terme, comme dans le théâtre grec. C’est le seul moyen, par l’oubli, de lutter… contre l’oubli. De  notre humanité. Ben oui.

Quand on ouvre un livre, on ouvre les yeux. Hors du monde, on s’offre une vision du monde, avec vue sur le monde, tel qu’il est. C’est aussi ce que dit, en mieux, Edgar Morin.

Des vœux qui vaillent – littérature, cinéma… humanité ?

Entretiens passionnants avec ce grand homme

“La littérature nous prépare à la vie. Elle canalise la circulation entre le réel et l’imaginaire. Elle allaite nos tropismes affectifs…. Elle propose les patrons modèles sur lesquels s’habilleront nos tendances individuelles, et cet habillage, qu’il soit sur mesure ou de confection selon les hasards, donnera forme à notre personnalité. Ainsi, au sortir des jeux de l’enfance, la littérature nous doue d’une âme et nous permet d’extraire un personnage de notre indétermination première. Elle nous offre une tenue et des antennes pour entrer dans le monde socialisé des adultes. Je ne veux pas dire que la littérature nous adapte à ce monde adulte. Au contraire, ses ferments de refus et d’inadaptation, son caractère profondément adolescent contredisent ce monde. Mais ils le contredisent en nous y faisant accéder.”

Ils le contredisent en nous y faisant accéder. Parfaitement. Je considère qu’il en va de même avec le cinéma. Le grand cinéma. Aussi je vous engage, encore une fois, à aller voir Le Havre, à voir Welcome si vous l’avez raté, à lire Laferrière, à lire Singer, Vercors, Hugo, Balzac, Beaumarchais, Kundera et tous ces auteurs qui par leur regard, rendent explicite l’humanité (telle que je voudrais qu’elle soit, telle que je la vois). Ils contribuent, magnifiquement, à donner au monde son sens, du sens, un peu de sens, sa conscience, et – parce qu’il n’y a que l’art pour ça – sa beauté.

*C’est là mon troisième vœu, et c’est tout le mal que je nous souhaite, à tous. Il est parfaitement égoïste, comme les deux premiers, parce que cela rendrait mon monde meilleur, tout simplement. Je citerai pour finir un politique tiens (merci Monsieur Blum) :

“Je le crois et je l’espère. Je le crois parce que je l’espère.” 

Meilleurs vœux…

– Le Havre, film d’Aki Kaurismäki, actuellement au cinéma.

– Welcome, film de Philippe Lioret, en DVD.

– L’énigme du retour, de Dany Laferrière, éd. Grasset.

– Mon chemin, Edgar Morin, entretiens avec Djénane Kareh Tager

Ps. Je ne sais pourquoi, les liens vidéo ne fonctionnent pas… Je capitule.

Pps. Il ya deux ans, donc, j’écrivais ceci sur ces deux œuvres qui, lues et vues aujourd’hui, montrent que rien ne bouge… Sauf la terre d’Haïti qui a, depuis, tremblé. Je vous livre cet article ici, tel que.

“Conscience sur canapé”

Welcome, Calais, Irak.
L’énigme du retour, Montréal, Haïti.
Deux histoires, contées par les moyens les plus émotionnels qui soient : cinéma, littérature. Et qui toutes deux content l’exil, la douleur, la perte, l’humain en péril, mis en péril par les autres – ceux qui les chassent, d’abord. Dictatures, guerres : derrière ces deux mots, il y a des hommes, et la pauvreté. Donc l’humain, qui se nuit à lui-même encore et toujours.

Commençons par Welcome et notre actualité : Calais et sa jungle. On écoute ces infos à la radio, à la télé, sur le web, et l’on sursaute, oui, la première fois (mais une seule fois car on s’habitue) à l’emploi de cette expression, la jungle, pour qualifier les lieux de squat et de planque de ces “personnes en situation irrégulière”. Personne, en effet, ce ne sont donc personne, ces hommes qui ont parcouru en général plus de deux mille bornes pour échouer dans la jungle calaisienne. Et on les traque. Chassés deux fois, au départ et à l’arrivée. Le pied.
A voir ce film, il y a comme un parallèle établi malgré soi entre la police de Vichy et la police de l’immigration (le film n’hésite pas à le faire, et on le suit). Faut respecter la loi, ok. Mais le devoir, qui le respecte ? Je parle de celui “d’aider son prochain” – ne sommes-nous pas en France, comme les traditionalistes de tout poil nous le répètent, majoritairement (et faussement) des chrétiens de tradition catholique ? Et alors, “aider son prochain”, ça ne parle donc plus à personne ? D’ailleurs je ne suis pas sûre que Rome ait l’exclusivité sur la formule. C’est une athée qui pose la question.

Je ne vais pas aller piocher dans les derniers exploits gouvernementaux ni me lancer en politique, ce n’est pas mon métier. Juste rappeler que la détresse n’est pas anodine, que ce qu’on laisse faire aujourd’hui nous le paierons plus tard. Comme avant 39. Toutes les œuvres portant sur la seconde guerre mondiale rencontrent ces derniers temps un succès étonnant : c’est à la mode, on doit manquer de héros. Alors il serait bon de regarder, lire du bon côté : se rappeler la notion de résistance, versus collaboration, sans nom ni célébrité. Certains habitants de Calais, comme on le sait trop peu, par exemple. Et peut-être s’impliquer un peu plus dans notre vie citoyenne, tenter de ne pas perdre l’indignation à la deuxième écoute d’une info édifiante, même si les vannes de l’information sont ouvertes à tel point qu’elles nous plongent dans l’absurdité et noient les cerveaux.

Laissons Calais et ses “fauves” affamés dans l’infamie française. Allons un peu plus loin, si loin qu’on s’en balance la plupart du temps (je dirais bien “loin des yeux…”, mais je me rappelle soudain Calais et… tout ça, là, sous mes yeux tous les jours). Allons donc à Haïti, où se situe le magnifique livre de Dany Laferrière. Lui, il a réussi à passer de l’autre côté, à se sauver des tontons macoutes de Papa doc, dictateur géniteur de dictateur depuis 1957, date de son entrée à la présidence. L’exil, ce qui fait que le Sud cherche à rejoindre le Nord. Jusqu’au Canada dans le cas de l’auteur. Avec L’énigme du retour, il rappelle ce que c’est que la faim (“impossible à comprendre” pour ceux qui ne l’ont jamais vécue), ce que c’est qu’être ailleurs, dans un autre climat, dans une autre culture, ailleurs.
L’exil est ce choix qui n’en est pas un. La vie de ceux qui partent, qui laissent derrière eux leur enfance, leur langue, leur famille, leurs repères, imagine-t-on à quel point elle est effrayante de difficultés ? Vous me direz, la migration c’est comme chez les piafs c’est inné chez les humains ça existe depuis toujours. Oui, oui, l’histoire. Mais l’histoire ne console pas, l’histoire ne rend pas les expériences individuelles moins difficiles, moins âpres – ce savoir-là est rarement dans les bagages de ceux qui partent, car ils partent avec la préoccupation qui a toujours été la leur : manger. Manger, rien qu’un verbe, la nécessité-même. Le seul bagage, c’est l’estomac vide. Et dans l’estomac vide, il y a la peur – des oppresseurs, des contrôles, du danger, la mort.

Et puis, et puis, voilà : je suis toujours ébahie de constater à quel point nos consciences – allez je vais parler pour moi seule – je suis toujours ébahie donc de constater à quel point ma conscience, qui n’a pourtant pas oublié la faim, s’endort aisément sous la couette, les images des infos et le chauffage central. Serais-je cynique ? Je ne suis pas loin de penser qu’il suffit de ne plus avoir besoin pour ne plus être solidaire. Même si je sais, aussi, qu’il faut bien qu’on protège nos petits systèmes nerveux de tous les malheurs du monde.
Et encore, à quelle échelle situe-t-on le besoin ? Tant de choses dont je ne suis, comme bien d’autres, pas à l’abri. Mais : j’ai ma carte d’identité française, je suis tranquille, je peux aller à Londres si je veux, facile. Je suis née en France, mes parents sont espagnols. Comme eux j’ai la chance d’être Européenne. Mais si j’étais née non pas dans le coin familial en Espagne, mais à 80 km au sud de là, sur les côtes d’Algerie ? Qu’en serait-il du choix que j’ai aujourd’hui dans ma vie ? Qu’en serait-il de ma passion pour la littérature, pour le cinéma ? En tant que femme en plus, rien, encore moins, moins que rien ? 80 bornes et plus la personne que je suis ? Moi qui m’oppose de toutes mes forces aux idées de déterminisme et de fatalité…

Les livres comme L’énigme du retour, les films comme Welcome, réveillent ma conscience. Ouf, elle est encore là. Engourdie certes, mais encore là. Et la question qui me taraude à cette heure c’est : pour combien de temps ? Et qui me contredira si je dis qu’aucun de vous n’ira voir le film ou lire le livre, en pensant “oui oh on sait”. Il y a savoir, et ressentir. Savoir sans ressentir, c’est ignorer. Ressentir, c’est la définition-même du vivant. Même si c’est pour pleurer sur notre sort à tous. Alors “ne te demande pas pour qui sonne le glas, il sonne pour toi.”

***

Nb. Pour l’ami Raphaël que je remercie et salue au passage, je précise que ce dernier vers cité est extrait d’un poème de l’Anglais John Donne, qu’Hemingway employa pour le titre et l’exergue de son livre. Je le restitue ici en entier : “Je suis de l’humanité et la mort de tout humain me diminue. Ne te demande pas pour qui sonne le glas. Il sonne pour toi.” Et ajouterai : “Nul homme n’est une île complète en soi-même.”


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