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The Times et les ghettos de riches

Publié le 26 janvier 2008 par Dlaufer

C’est une chose très rare que d’entendre un Britannique lancer un appel à la révolution. Albion nous avait habitués depuis des siècles à l’art bien plus délicat, même s’il manque parfois de panache, de l’évolution. Que s’est-il passé, du pouvoir autocratique d’Elisabeth I à celui, décoratif, d’Elisabeth II ? Aucune date précise n’y répond, il y a fallu cinq siècles de manœuvres habiles et complexes. C’est pourquoi lorsqu’un Londonien en tweed et flanelle termine un article vengeur d’un très sérieux : « A l’assaut des barricades ! », c’est tout un pan de psychologie nationale qu’on voit s’écrouler devant soi. Les causes doivent donc être bien graves. Et elles le sont.

Phil Spencer - et même son nom sort tout droit d’un roman de Somerset Maugham – est un expert reconnu de l’immobilier en Angleterre. Cette semaine, il décide de s’attaquer à un sujet encore discret, celui des enclaves d’appartements gardés et privés. Depuis quelques années, le marché de l’immobilier londonien a vu une véritable explosion de ce type de logement. Avec la naissance, chez nous, des milices privées, le phénomène nous menace donc directement.

Un exemple entre mille, le Bow Quarter. Lorsque je cherchais un logement à Londres en 2006, j’avais été séduit par des photos prises d’un appartement au sein de cette promotion immobilière. Il s’agit d’une ancienne et immense fabrique d’allumettes en briques rouges. On y a conçu des centaines d’appartements de standing et les photos me faisaient saliver : hauts plafonds, immenses fenêtres, murs de briques nues, cuisine ultramoderne, parquet foncé, lumière, espace. Rendez-vous pris, je me dirige en métro dans la banlieue est de Londres et émerge des entrailles de la terre sur Bow Road. C’est un endroit parfaitement sinistre, peuplé majoritairement par une immigration récente et déshéritée, près d’un immeuble sur quatre est abandonné et délabré, les commerces sont des échoppes à poulet frit ou des pizzeria à l’emporter, et au bout de l’avenue, le pont de l’autoroute vous barre la vue et vous détruit les oreilles. Incrédule, je me suis rendu à l’adresse convenue. Un garde privé en uniforme m’a fait signer un formulaire qui indiquait que j’étais attendu. Et puis comme Alice, j’ai franchi la barrière et me suis retrouvé de l’autre côté du miroir. Un univers propre et fleuri, peuplé de Blancs, avec un petit supermarché privé, un club de gym, des allées impeccables et des halls d’entrée rutilants. Quinze minutes plus tard je ressortais, presque soulagé, dans le chaos extérieur avec le sentiment d’avoir fait un tour dans l’Afrique du Sud des années 70. Ou pire, dans un futur pas si lointain.

The Times et les ghettos de riches

Il y a cinquante ans, le gouvernement travailliste avait comblé les fossés des bombardements allemands dans les quartiers chics de Londres par des milliers de logements sociaux. Après les traumatismes de la guerre, le mot d’ordre était « mixité sociale ». Ce fut un échec retentissant : les pauvres trouvaient tout trop cher dans ces quartiers de profiteurs, et les riches avaient peur de ces salauds de pauvres. Tout le monde y avait perdu. Mais maintenant, les riches sont beaucoup, beaucoup plus riches ; ils ont donc beaucoup, beaucoup plus peur. Et pire encore, ces salauds de pauvres sont toujours plus pauvres, et il y en a de plus en plus. Alors face au gouvernement « démissionnaire » ou « irresponsable », on prend la loi et l’ordre dans ses petites mains gantées de cuir d’antilope, et on vous construit des superforteresses en plein milieu de la misère totale. On ne peut pas exprimer d’une façon plus réelle la disparition de la classe moyenne, et avec elle la naissance d’une confrontation sociale dont l’issue ne peut être que tragique. L’échec des travaillistes des années cinquante fut cuisant. On peut s’attendre à ce que l’échec des ghettos de riches soit explosif.


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