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"Parce que tu me parles avec des mots, que moi je te regarde avec des sentiments" : mon année Ciné

Publié le 14 janvier 2012 par Petistspavs

ET MAINTENANT, CINéMA...

L'exercice me tend chaque année le miroir de ma puérilité et d'un narcissisme de moyen aloi, mais chaque année je m'y vautre comme une main manucurée dans une rivière de diamants. Ou, c'est selon, comme le dernier souffle dans le poitrail en vain avide d'un agonisant. LE Palmarès des films de l'année, petit plaisir égocentrique (donc triste), vain comme un verre vide, mais Oh combien jouissif. Une façon de me faire la tronche cannoise et la coupe inrocks, tout en restant moi-même, chez moi, assis confortablement sur mes petits pavés, cajolant mes souvenirs de l'année passée. Le plaisir est tellement réel à me faire le censeur du bon goût et de la tendance lourde que je ferai peut-être suivre ce papier, si on m'en donne le temps, d'un palmarès musical (mes CD, mes concerts de l'année, mes découvertes) et/ou littéraire.

Commençons donc (dans l'ordre de mes passions, si j'en crois le temps que je lui ai consacré en un an) par le cinéma. Tout d'abord, quelques tendances assez faciles à relever.

Mon ciné en 2011 : les tendances.

Contrairement à 2010, l'année cinématographique écoulée n'était porteuse d'aucune proposition majeure, propre à modifier notre regard sur le cinéma, comme le furent en leur temps Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) d'Apichatpong Weerasethakul ou Les Mystères de Lisbonne de Raúl Ruiz. 2011 n'a pas connu de réelle redéfinition des règles de la grammaire cinématographique mais, tout comme 2009, cette année un peu sage fut très riche.
En termes de tendances, l'absence remarquable du cinéma asiatique, l'un des plus féconds (j'ai noté la mise en exploitation de cinq films coréens seulement, dont deux du prolifique Hong Sang Soo -- le délicieux Ha ha ha en début d'année et Oki's movie en décembre, deux films d'ailleurs produits en 2010 -- qui sortira deux ou trois films cette année, ainsi que deux polars "lourds" -- les formidables et sanglants J’ai rencontré le diable et The Murderer) a fait le lit de son concurrent sud-américain qui a aligné une série impressionnante de films de grande qualité, en particulier argentins et chiliens (
L’homme d’à-côté, L’œil invisible, Play a song for me, Medianeras, Absent et le délicieux Bonsaï ne sont que les plus remarquables et 2012 commence si bien avec le délicieux Les
acacias
de l'argentin Pablo Giorgelli). L'absence non moins notable du cinéma hollywoodien à gros budget (je parle de cinéma, non de marketing) a favorisé une sur-représentation dans les salles françaises d'un cinéma US parfois un peu pataud mais dit "indépendant" et souvent de bonne facture (SomewhereLa dernière piste, Blue Valentine, Beginners, Putty Hill, Mes meilleures amies). Souhaitons toutefois que le label "indie", trop facilement distribué, cesse de jouer les sergents recruteurs au bénéfice d'un Hollywood à bout de souffle. La persistante intégrité de l'oeuvre singulière d'un Tarantino ou d'un James Gray montre que le fabuleux (mais triste) destin du surdoué Tim Burton, génial auteur-réalisateur d'Edward aux mains d'argent ou de Ed Wood, condamné à jouer les respirateurs artificiels d'un empire Disney à l'agonie, n'est pas la fatalité du ciné indépendant US. Que Jeff Nichols, dont nous découvrons le sombre et beau Take shelter médite là-dessus.
Deux mots très rapides sur une tendance relevée par tout le monde : de Tree of life à Melancholia, un certain cinéma d'auteur flirte avec le Cosmos, mais sans la prétention cosmétique du grand Hollywood. De création du monde en fin du monde, beaucoup de films avaient en 2011, selon la belle expression de Jean-Marc Lalanne dans Les inrockuptibles, "la tête dans les étoiles afin de répondre à leurs questionnements terrestres". Wagnérienne et sensible chez Lars Von Trier, l'Apocalypse nous surprend par une disparition progressive de tout signe tangible de la vie sociale dans Le Cheval de Turin, le testament minimaliste, dépouillé jusqu'à faire apparaître le mouvement même de la beauté, de Béla Tarr.
Autre force tellurique du cinéma récent, la poussée mélancholique. Elevée au rang de doctrine (de dogma ?) par Lars Von Trier, la mélancolie, une certaine mélancolie entre vague langueur et désespoir irrigue le cinéma récent, dès qu'il s'intéresse à la jeunesse. Ainsi, les amants contrariés de La ballade de l’impossible (Norvegian wood), les ados dylaniens de Play a song for me et Rêves volés, les jeunes adultes de l'argentin Medianeras, du chilien Bonsaï, des français Pourquoi tu pleures ? et En ville, du grec Attenberg et de l'américain Beginners sont victimes d'une atonie fondamentale qui ne les incite pas à l'action (changer le monde leur est inaccessible) mais à l'introspection et la rêverie nostalgique d'un temps qu'ils n'ont pas forcément vécu. Signe d'une crise des valeurs versée dans les gênes d'une génération qui se vit comme sacrifiée, les jeunes gens du cinéma semblent se contempler dans l'oeil languide du Jeune Werther.
Nous retiendrons enfin de 2011 la force renouvelée d'un certain cinéma français enfin décomplexé et capable d'assumer sa complexité. Outre ceux qui figurent dans mon palmarès privatif, L’Exercice de l’État, En ville, Robert Mitchum est mort, Belleville-Tokyo, De bon matin, Tous au Larzac, Let my people go et surtout The artist se sont révélés de très bonnes ou d'immense surprises. Les neiges du Kilimandjaro et Le Hâvre ont confirmé, contre Lioret et Cédric Kahn, le génie français pour un cinéma solidaire sans pathos. Bouleversant de justesse. Bien entendu, la France reste une grosse productrice de bouses, de la petite bouse sympathique par son rythme mais répulsive par son idéologie générale (Polisse) à la grosse bouse immonde et totalitaire (Intouchables) qui tient le public (17 millions de spectateurs à ce jour contre 1,7 millions pour cette perle rare qu'est The artist) par un étalage indécent de faux bons sentiments et de vraie hypocrisie sarkompatible. Mais globalement, le cinéma français s'est montré, surtout depuis Cannes, adulte, gonflé, porté par un constant esprit de novation que ne contredit pas un certain classissisme dans la forme.
Pour terminer, mais est-ce une tendance, est-ce une cabale qui ne vise que moi, spectateur singulier, ainsi que ma compagne, mais il semble qu'une partie du public des salles de cinéma, des meilleures comme des plus ordinaires, ne prenne plaisir aux films qu'à la condition d'en dégoûter les autres. S'il n'est plus possible d'exiger de personnes adultes nourries à TF1 et à l'individualisme le plus crétin de se comporter civilement en société (conversations privées pendant la séance, usage d'iPhones, de Black Berries, de Samsung-HTC et autres merdouillis - tout engin de communication à distance devient un simple merdouillis dès qu'il franchit l'entrée d'une salle de cinéma, mais aussi de concert, de théâtre, partout où tout un chacun a besoin d'un minimum, voire d'un maximum de tranquillité), cabrioles, gesticulations et élancements sur son siège, arrivée dans la salle d'autant plus bruyante et animée qu'elle est tardive, consommation de produits addictifs sucrés, bruyants et puants etc. Sur le dernier point, je comprends qu'UGC et Pathé-Gaumont doublent leur chiffre en vendant des saloperies du genre Pop Corn qui font mal aux dents, au ventre et aux oreilles et au nez des
voisins, car ils se situent clairement parmi les distributeurs commerçants qui montrent les films pour le simple plaisir du pognon. Je le comprends moins d'une chaine comme MK2 (dont je suis par ailleurs, et par force, un client fidèle) qui prétend exister sur la scène culturelle et, reconnue "Art et essai" (mon oeil, pour être poli), bénéficie des mêmes avantages fiscaux que les réseaux Action ou Utopia et autres salles indépendantes parisiennes ou de province. Il faudrait, Cher Monsieur Karmitz, vous souvenir de vos vies antérieures, lorsque vous réalisiez Camarades et Coup pour coup ; choisissez votre camp.

(Illustrations de l'articles : Oncle Boonmee, Les mystères de Lisbonne, Les acacias, La ballade de l'impossibleTous au Larzac, Take shelter et Bonsaï)

Mon ciné en 2011 : mon classement.

Malgré une très grande qualité générale (disons qu'en 2011, au moins un film sur quatre ou cinq était visible), un petit nombre de films m'a particulièrement séduit. Passage en revue, sans autre commentaire. J'ai conscience de la parfaite puérilité de ces listes. Alors, afin de ne pas me sentir seul, je fais ce qui rassure quand on ne se sent pas sûr, je cite : "Les cinéphiles ont tous ce vice qui leur reste : celui des listes. Si je fais une liste, je m'exonère du fait que je n'y figure pas, ou même que j'ai passé mon enfance à avoir peur de ne pas être sur la liste." (Serge Daney, Persévérance, P.O.L., 1994, p. 71)
Donc, voici une ou deux listes. Avec l'angoisse qu'elles ne vous plaisent pas, mais l'espoir qu'elles vous séduisent. 

 1


HORS SATAN
de Bruno Dumont, avec David Dewaele et Alexandra Lematre
(France) Distributeur : Pyramide

1 bis

LA GUERRE EST DECLAREE
de Valérie Donzelli, avec Valérie Donzelli et Jérémy Elkaïm
(France) Distributeur :  Wild Bunch

3


L'APOLLONIDE
de Bertrand Bonello (France) Distributeur : Haut et Court

4


TREE OF LIFE
de Terence Malick (USA) Distributeur : EuropaCorp Distribution 

5


PATER
d'Alain Cavalier et Vincent Lindon (France) Distributeur : Pathé distribution

6
 

 
L'ETRANGE AFFAIRE ANGELICA
de Manoel de Oliveira (Français, espagnol, portugais, brésilien)
Distributeur : Epicentre Films

7


LE CHEVAL DE TURIN
de Béla Tarr (Français, suisse, hongrois, allemand)
Distributeur : Sophie Dullac Distribution 

8


MELANCHOLIA
de Lars Von Trier (Français, danois, suédois, allemand)
Distributeur : Les Films du Losange

9


LES BIEN-AIMÉS
de Christophe Honoré (France)
Distributeur : Le Pacte 

 10

MIDNIGHT IN PARIS
de Woody Allen (USA)
Distributeur : Mars Distribution 

Les films que j'ai détesté écarter de ce palmarès.

Cette année, je voulais une liste de 10 films, pas 13 ou 15 comme certaines années, il faut savoir ce qu'on veut, il faut savoir choisir. Oui mais. Tel film qui m'a transformé en kleenex après usage intensif... Tel film qui m'a arraché des larmes de bonheur... Tel film français à l'intelligence cinématographique américaine...  Les huit films qui suivent n'ont pas fini de me hanter et de me faire du bien.


Pina (Allemagne) de Wim Wenders
avec les danseurs du Tanztheater Wuppertal


Les neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian (France)
avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan


La piel que habito (Espagne) de Pedro Almodóvar
avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes


Essential Killing (Polonais, irlandais, français, norvégien, hongrois) de Jerzy Skolimowski
avec Vincent Gallo, Emmanuelle Seigner


L'exercice de l'Etat (France) de Pierre Schoeller
avec Olivier Gourmet, Michel Blanc 


Le Hâvre de Aki Karosmaki (Fl, All, Fr)
avec André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin, Blondin Miguel
et la participation de Pierre Etaix et Jean-Pierre Léaud


Tomboy (France) de Céline Sciamma
avec Zoé Héran, Malonn Lévana, Jeanne Disson


La mujer sin piano (Espagne) de Javier Rebollo
avec Carmen Machi, Jan Budar, Pep Ricart

Mon ciné 2011 : les acteurs.

Par sa performance dans Habemus Papam, par sa simple présence peut-être, avant toute idée de performance, Michel Piccoli se montre l'Acteur Absolu. Ce monsieur qui tourna avec tout le monde et de préférence avec les plus grands (Godard, Bunuel, De Oliveira et tant d'autres), qui sera en 2012 à l'affiche des films d'Alain Resnais et de Léos Carax, sait tout faire, peut tout faire et se permet tout. Paul, le veule compagnon de Camille (Le mépris) qui portait un chapeau dans son bain "pour faire comme Dean Martin", est donc ici élu pape. Mais il refuse ce pouvoir à la fois séculier, moral et spirituel. Ce refus prend, par la grâce d'un jeu puissant, subtil, d'une richesse inattendue, une dimension humaine et morale sans égal. Michel Piccoli, acteur de l'année ? Pour moi, c'est une évidence.

Et comme le cinéma français a dominé 2011, il me semble juste de mettre en avant deux acteurs français (ou presque...) pour lesquels, à l'instar de Piccoli, jouer la comédie semble une forme élevée de la morale.

Jean-Pierre Darroussin aurait, si je distribuais des prix (loin de moi cette idée saugrenue), droit à un prix spécial pour son apport au cinéma français en 2011. Par ailleurs, conseiller financier broyé par le système qu'il a contribué à promouvoir dans De bon matin, militant syndicaliste habité par le doute et la compassion dans Les neiges du Kilimandjaro, flic désabusé au cynisme doux dans Le Hâvre, il est, par excellence, l'acteur du Vivre ensemble en France aujourd'hui.  Quant à Olivier Gourmet (né Belge, certes, mais un des acteurs
majeurs du cinéma français, comme du cinéma de son beau pays), il incarne dans L'exercice de l'Etat une sorte de centriste repenti qui acquiert, de renoncement en renoncement, une dimension tragique. Or, donner une dimension tragique à un ministre centriste n'est pas donné à tout le monde, les ministres dits "d'ouverture" de M. Sarkozy l'ont montré à leurs dépens.
Olivier Gourmet est grand.

Mon ciné 2011 : dans le rétroviseur.

Les reprises sont toujours un bonheur particulier, qui flatte la nostalgie et vient rappeler que le cinéma s'apprécie dans la durée. Cette année, Skolimoski, Bunuel et Godard m'ont fait à nouveau grimper aux rideaux. Jeanne Moreau m'a troublé en femme de

chambre tenant son journal un peu pervers. La moindre des choses quand on se met au service de Bunuel. Le mépris de JLG (1963) a repris des couleurs et son grand écran m'a ouvert un peu plus les yeux sur la beauté des images animées, en chambre ou au soleil. Mais 2011 fut l'année du grand retour de Skolimovski. La sortie du formidable Essential Killing a été l'occasion de revoir plusieurs films dont deux, distribués par MK2 comme de nouveaux films, figureraient dans mon palmarès de l'année, s'ils ne dataient des années 60 : Le départ, tourné grâce à Godard et Truffaut, avec un Jean-Pierre Léaud zébulon, étonnant, jamais en place, toujours juste. Et LE grand film de Skolimovski, Deep End, une sorte de synthèse drôle et mélancolique de la fin des années 60 en Angleterre, devenu un regard nostalgique sur la difficulté, alors, de grandir dans un monde taillé pour les adultes.
Le dernier mot de ce billet amoureux sera pour Godard. Le mépris a été un de mes grands bonheurs, précédé de Vivre sa vie. Bande à part devrait suivre dans cette merveilleuse logique de ressortie des films de la grande époque du grand Jean-Luc, qui nous ont donné envie de suites en DVD : A bout de souffle, Une femme est une femme, Pierrot le fou. J'ai toujours entretenu avec ces films qui sont un peu mes universités cinéphiles une relation très sentimentale. Avec le temps, rien ne s'efface ni ne s'émousse et c'est avec un immense sentiment de gratitude pour Jean-Luc Godard et d'amour pour la vie qui me permet de le redécouvrir aujourd'hui que je vous laisse avec Pierrot-Ferdinand et Marianne Renoir.
Je vous laisse avec une des plus belles scènes d'un des plus beaux films du monde, avec deux des plus beaux acteurs du cinéma.

 Un des plus beaux couples du cinéma, un peu comme aujourd'hui, Valérie et Jérémie...

Très bonne année.
Très bons films.
Et n'hésitez surtout pas à venir me raconter ce que vous avez aimé. Ou détesté ?
A très bientôt. 


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