Magazine Finances

Y a-t-il une vie après la perte de la note AAA ?

Publié le 14 janvier 2012 par Raphael57

AAA2.jpg

Cette fois les jeux sont faits : la France vient officiellement de perdre sa notation AAA auprès de Standard and Poor's, note qu'elle avait depuis 1975... année depuis laquelle l'État n'a plus voté un seul budget à l’équilibre ! Celle-ci a été abaissée d'un cran, à AA+, avec perspective négative, ce qui laisse envisager une nouvelle dégradation dans les mois à venir... Dans la foulée, l'agence de notation a également soufflé le chaud et surtout le froid en abaissant de deux crans les notes de l'Espagne (A avec perspective négative), de l'Italie (BBB+), du Portugal (BB), de Chypre (BB+), et d'un cran les notes de l'Autriche (AA+), de la Slovénie (A), de la Slovaquie (A+), et de Malte (A-).

Seules sont préservées les notes de l'Allemagne (AAA avec perspective stable) et de la Finlande (AAA sous perspective négative). Bref, ce fut l'hécatombe des notations au sein de l'Union européenne ! A l'échelle mondiale, il ne reste désormais plus que 16 États notés AAA sur les 127 suivis par Standard and Poor's. Parmi les heureux notés, on trouve : Singapour, le Canada, le Royaume-Uni, la Norvège, la Suisse, le Danemark, la Suède, l'Australie, l'Ile de Man, Guernesey, Hongkong, le Liechtenstein, le Luxembourg, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande.

Un décryptage de la situation s'impose.

Qu'est-ce qu'une agence de notation ?

Ce sont des sociétés privées dont le métier consiste à apprécier le risque de solvabilité financière d'une entreprise ou d'un État, en donnant une note à la dette émise par ces agents économiques. Plus la note est basse, plus le coût de la dette (les taux d'intérêt) est en général élevé. Standard and Poor's, Moody's et Fitch sont les 3 principales agences de notation et se partagent près de 90 % du marché mondial de la notation.

Peut-on faire confiance aux agence de notation pour noter un État ?

Le gros problème de ces agences de notation c'est qu'elles sont privées, c'est-à-dire qu'elles se font payer par exemple par l'entreprise à qui elles doivent donner une note : il y a donc là confusion des genres et même conflit d'intérêt possibles... comme en témoignent les notes AAA qu'elles ont accordées à des produits financiers toxiques et aux subprimes !

Mais dans le cas de quelques grands États dont la France, l'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les États-Unis, la notation est déclarée "non sollicitée", car le gouvernement ne paye pas pour obtenir ces notes. Néanmoins, le résultat reste le même : chaque variation de la note provoque d'innombrables dégâts sur les marchés financiers, qui se répercutent ensuite tout au long de la chaîne économique de décision pour aboutir à des dégâts politiques et sociaux (plans d'austérité...).

Mais surtout, un État n'est pas une entreprise qui pourrait faire faillite ! Bien au contraire, l'État reste une entité souveraine et ne peut donc pas être mis en liquidation judiciaire. De plus, que peut-on attendre de ce système de notation qui, en janvier 2009, dégradait la note de la dette publique portugaise tout en créditant General Electric de la meilleure note AAA ? Cela signifiait aux marchés financiers que General Electric était sans risque à cette époque... mais que le Portugal était un débiteur moins sûr qu'une entreprise privée ! Actuellement, Microsoft et Exxon Mobil sont même mieux notés que l'État américain lui-même...

Pourquoi la note semble-t-elle si importante ?

A priori, la note des agences de notation étant censée refléter la solvabilité de l'État, plus la note est basse, plus le coût de la dette (les taux d'intérêt) est en général élevé.

De plus, une note basse ne permet que très peu de diversifier les sources de fonds (banques, fonds de pension, assureurs, etc.), car certains d'entre-eux n'ont pas le droit légalement d'investir dans des produits financiers mal notés. Ainsi, la perte du triple A peut provoquer en plus hausse des taux d'intérêt à servir sur la dette, une fuite des investisseurs les plus stables comme les fonds de pension.

Enfin, le pire est certainement que les réglementations financières et prudentielles ont intégré ces notes dans leurs divers codes, conduisant par exemple la Banque centrale européenne à n'accepter en garantie que des titres ayant une certaine note auprès de Standard and Poor's...

Au final, une dégradation de note aura des conséquences sur l'ensemble du système financier, ce qui peut donc en faire un risque systémique !

Pourquoi Standard and Poor's a-t-elle dégradé les notes ?

Standard & Poor's, dans son communiqué officiel, précise qu'elle a dégradé la note de la France en raison "de l'aggravation des problèmes politiques, financiers et monétaires dans la zone euro à laquelle la France est étroitement liée". Puis elle décerne quelques bons points à notre économie en écrivant que la France continue de "refléter son économie saine, diversifiée et solide dont la main-d'oeuvre est hautement qualifiée et productive", avant de souligner l'endettement public élevé et les rigidités du marché du travail dont on se demande bien avec quelle légitimité elle peut en parler.

En ce qui concerne la zone euro, l'agence de notation juge avec sévérité le nouvel accord budgétaire visant à renforcer la discipline au sein de la zone euro, considérant qu'il ne s'agit pas d'une réponse adaptée à la crise que connaît la zone. Pour le dire autrement, Standard and Poor's ne fait pas confiance au tandem Sarkozy-Merkel et ne croît pas à la règle d'or que l'Allemagne souhaite imposer à tous ses partenaires européens.   

La fin du triple A va-t-elle conduire à la catastrophe financière en France ?

Tout d'abord, plus personne n'était dupe que la France avait déjà perdu son triple A dans les faits, au vu notamment du différentiel de taux (appelé spread dans le jargon) qui existe entre les taux allemands et français. C'est au reste ce que je confirmais au journaliste de TV8 qui m'interrogeait à ce sujet au mois de décembre. 

De plus, il faut se souvenir du cas des États-Unis, où la dégradation de la note par Standard & Poor's, de AAA à AA + avec une perspective négative, fut loin de provoquer le cataclysme tant redouté... tout simplement parce que d'une part les marchés l'avaient anticipée et d'autre part les bons du Trésor américain restent très prisés des investisseurs (où voulez-vous que les excédents soient investis ?).

Mais qu'en sera-t-il pour la France, sachant qu'en 2012 il lui faudra emprunter 178 milliards d’euros sur les marchés financiers dans le cadre du refinancement de sa dette et de son déficit public ? Les taux d'intérêt sont restés pour l'instant très bas, avec un taux moyen historiquement bas en 2011 de 2,8 %... Mais il faudra certainement s'attendre à une hausse lors des prochaines adjudications d'OAT, ce qui pourrait déboucher sur une dégradation des conditions de crédit offertes par les banques à leurs clients, les prêts immobiliers étant par exemple tributaires des taux longs des OAT.

Mais surtout, si l'État français voit sa note dégradée, tous les agents subsouverains, terme jargonneux qui désigne tous ceux qui bénéficient de la garantie implicite de l’Etat, verront leur situation à l'emprunt se dégrader potentiellement. Il en va ainsi des collectivités territoriales, de la Caisse des dépôts et consignations, de l'Unedic, etc. Plus grave encore (sic !), le Fonds européen de stabilité financière (FESF), qui est censé sauver les États en difficulté au sein de la zone euro en empruntant (grâce à la garantie apportée par la France, le Luxembourg, l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la Finlande) des fonds sur les marchés pour les leur reverser, risque également de perdre la note AAA, après cette dégradation de la France et de l’Autriche. Mais grand prince, Standard and Poor's a déclaré que le FESF pourrait conserver sa note AAA si l'Allemagne et les trois autres États notés AAA augmentaient leur soutien financier, condition qui a une probabilité d'occurence à court terme aussi élevée que la création d'eurobonds...  

Que peut-on faire pour réduire le poids des agences de notation ?

Tous les États ont affirmé vouloir réduire l'influence des agences de notation, Bruxelles ayant même cherché à créer - sans succès - plus de concurrence entre elles afin de diminuer la probabilité d’une dégradation de la note d'un État. La Commission européenne avait également souhaité - sans succès - suspendre la notation d’un pays aidé par la troïka (FMI, BCE et Union européenne) pour ne pas le déstabiliser davantage. Enfin, la proposition de Michel Barnier de créer une agence de notation publique au sein de l'Union européenne a été loin de faire l'unanimité et fut passée à la trappe aussi rapidement qu'elle émergea.

En définitive, l'Europe est à mon sens victime de son idéologie ultralibérale, qui se traduit dans les traités et en particulier dans le récent accord conclu sans le Royaume-Uni. Dorénavant, ce non-événement économique de la perte du triple A restera dans les annales de l'économie comme la preuve qu'une politique économique basée uniquement sur le maintien d'une note conduit à des catastrophes sociales (austérité, grèves, manifestations, mouvement des indignés, etc.) et dessert au final la souveraineté politique !

Quant à François Fillon, son discours où il s'évertue à expliquer que "c'est une alerte qui ne doit pas être dramatisée, pas plus que sous-estimée", il faudrait lui rappeler que c'est pourtant son gouvernement qui n'a cessé de faire de l'austérité (réforme des retraites, règle d'or, plans de rigueur, TVA sociale, ...) dans le but avoué de conserver le triple A :


Sarkozy explique l'importance du triple A par lefigaro

N.B : l'image de ce billet provient du site de la RTBF 



Retour à La Une de Logo Paperblog