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Quand Balzac voulait brûler les planches

Publié le 23 janvier 2012 par Les Lettres Françaises

Quand Balzac voulait brûler les planches

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Honoré de Balzac

L’écrivain du XIXe siècle tirait à la ligne. Ses articles, ses essais, ses feuilletons étaient payés à la ligne. On ne saurait expliquer le caractère pléthorique de la littérature française de cette période par cette seule nécessité. Mais elle y a largement contribué. L’écrivain pouvait vivre de sa plume, mais plus difficilement de sa production romanesque en librairie. C’est sans doute un paradoxe, mais seulement en apparence. À moins de connaître, comme Victor Hugo avec les Misérables et même des recueils de poésie comme les Feuilles d’automne, des succès populaires considérables, tous étaient contraints à produire et à produire encore des mots sans fin pour se Maintenir à flot. En dépit du succès que rencontrent ses premiers romans, Balzac n’échappe pas au sort commun. Théophile Gautier parle d’un chevalet de torture en parlant de son bureau et Balzac écrit : « Je suis dans mon cabinet, comme un navire échoué dans les glaces. » Pour échapper à ce destin, existe alors un miroir aux alouettes : le théâtre. Une pièce qui est applaudie et jouée longtemps apporte et la gloire et l’argent. Alors l’auteur de proposer sa première oeuvre théâtrale en janvier 1823 au Théâtre de la Gaîté où elle est refusée. Elle s’intitule le Nègre et s’inspire de sa propre expérience d’auteur de l’ombre chez Lepoitevin. C’est un échec.

Mais Balzac n’est pas homme à se décourager facilement. Au fil des ans, l’écrivain bataille pour que ses droits soient reconnus, et ses relations épistolaires sont pour moitié des disputes et des comptes. Cette guerre incessante lui fait écrire en 1841 la Loi sur la propriété littéraire – loi, qui au bout du compte n’est toujours pas en usage aujourd’hui, même si des progrès ont été constatés depuis. Il n’en reste pas moins qu’il espère encore et toujours enflammer les spectateurs des salles parisiennes (Henry James poursuivra le même rêve et connaîtra le même échec !). En 1839, ce démon le reprend et il engage un secrétaire pour l’aider à la rédaction d’une pièce, l’École des ménages, écrite en seize jours pour le Théâtre de la Renaissance. Mais elle n’a pas eu l’heur de plaire. « Ma pièce est d’ailleurs sans doute mauvaise et à refaire », déclare-t-il à une correspondante, et Stendhal le console dans un billet : « L’amour passion est dangereux à monter sur la scène, le spectateur devient jaloux de l’amant. » Il n’en écrit pas moins une nouvelle pièce, Vautrin, qui risque les foudres de la censure avant même d’être représentée au Théâtre de la Porte Saint-Martin, et Rémusat, ministre de l’Intérieur, la fait interdire. Victor Hugo, Alexandre Dumas, Théophile Gautier volent à son secours, et la presse s’émeut. Balzac prend fait et cause pour l’acteur principal, le célèbre Frédérick Lemaître, que la presse accuse d’exagérer le caractère immoral de l’intrigue. Cette petite bataille d’Hernani l’occupe alors qu’il est alité. Le théâtre fait faillite et il ne reste de cette mésaventure qu’un livre publié en toute hâte. Balzac tente de nouveau sa chance avec les Ressources de Quinola au Théâtre de l’Odéon le 19 mars 1842 – un échec total –, avec Paméla Giraud au Théâtre de la Gaîté à l’automne 1843 – un autre échec – et avec la Marâtre au Théâtre historique en 1848, qui passe inaperçue. L’ironie du sort veut qu’en 1851, un an après sa mort, une comédie, Mercadet, le faiseur, connaisse les faveurs du public. Et seule cette pièce est restée longtemps inscrite au répertoire. Ce volume renferme de nombreuses lettres ayant trait à l’affaire Vautrin et au désastre qui s’ensuivit, nous permettant de mieux connaître ce Balzac-là, qui décrit le monde du théâtre dans les Illusions perdues, projette de le faire dans Une actrice en voyage et Du théâtre tel qu’il est. Si la Comédie humaine lui a valu le renom de son vivant, son théâtre est tombé dans l’oubli.

Gérard-Georges Lemaire

Correspondance, tome II, 1836-1841,  Honoré de Balzac, édition établie par Roger Pierrot et Hervé Yon, « Bibliothèque de la Pléiade », « NRF », Gallimard, 1 456 pages, 62,50 euros.

N° 89 Janvier 2012



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