Thomas Bernhard lauréat

---

Thomas Bernhard lauréat

***

On s’est ingénié à faire de Thomas Bernhard (1931-1989) un écrivain irascible, provocateur, qui a craché dans la soupe des prix et des récompenses officielles. En réalité, ce qu’il avait préparé avant de tirer sa révérence et qui a donc paru posthume, prouve qu’il a été un homme beaucoup plus complexe et subtil. Si l’on veut comprendre son attitude face à son gouvernement et à la culture autrichienne, il faut saisir l’humour fracassant dont il a fait preuve pour en parler. Le récit qu’il nous fait du jour où il a reçu le prix Grillparzer à l’Académie des sciences à Vienne est un chef-d’œuvre de la comédie mondaine. Mais on devine que ce prix le touche et l’encourage. Il s’en prend aux apparences : l’achat du costume qu’il a souhaité porter pour la circonstance et qui s’est révélé trop étroit est à mourir de rire. S’il tourne en dérision les institutions et les arbitres du goût officiel, il fait aussi montre d’une profonde auto-dérision. Quand il va recevoir une distinction à Brême en 1962, il raconte de quelle façon il a remanié son récit Gel, commencé à Vienne puis revu à Francfort. Et l’incident qui le conduit à l’hôpital à Hambourg quand on doit lui remette le prix Julius Campe est digne d’une anthologie du burlesque. Et le moment où il a atteint le sommet de la reconnaissance littéraire en terre germanique avec le prix Büchner, il décide de rompre le consensus boiteux avec la littérature du passé. Ces petits discours de circonstance sont rares ; ce sont des bijoux d’ironie et de double sens. Bernhard s’est placé sur le fil du funambule qui ose défier ses pairs et ses juges, même ses admirateurs, et il a enchaîné les estocades, mine de rien, par la seule magie de son verbe.

Gérard-Georges Lemaire

Mes prix littéraires,

de Thomas Bernhard, traduit de l’allemand par Daniel Mirsky, Folio, 144 p., 4,6 euros.

 

---