Magazine Cinéma

Voler c’est mal, merci papa (Part 1)

Par Raoulvolfoni

Je me souviens parfaitement de mon ami de l’époque. Fernand et moi avions douze ans, partagions la même classe, les mêmes récrés, pour tout le reste je crois que nous étions en concurrence. Je le qualifierais aujourd’hui de pote plus que de véritable ami. Disons que nous formions une paire.

La compétition faisait rage, sur l’épineux sujet des filles notamment. Il a d’ailleurs définitivement gagné le jour où la somptueuse Marie s’est laissée prendre dans se filets (dans ses griffes serait plus approprié, c’était un chasseur le mec, un braconnier même, en aucun cas un pêcheur). Tout est relatif à cet âge et cet épisode ne nous empêchait pas de faire fonctionner le duo.

Un peu désoeuvrés dans notre banlieue de la banlieue de Paris, nous prenions le bus pour rejoindre la grande ville et vaquer à nos occupations. C’est à dire ne rien faire de plus mais le faire ailleurs. J’étais déjà à l’époque très accroc à la musique, avec des goûts nettement moins affirmés qu’aujourd’hui, plutôt la variété internationale donc (un joli terme pudique pour qualifier ce qu’on appelle de la soupe en boite). Me plaignant sans arrêt du prix trop élevé des 45 tours, du peu de moyens dont je dispose (mes parents respectaient, à raison, l’idée de donner suffisamment pour faire mais pas assez pour ne rien faire), de la nécessité vitale de posséder l’intégralité du top 50, Fernand me suggère d’aller chez Monoprix.

L’idée peut sembler un peu abscond aujourd’hui mais cette enseigne vendait des disque vinyles il y a 25 ans. L’idée me parut abscond également à ce moment là mais pour une autre raison : à quoi ça sert de se ballader dans un magasin qui vend des poireaux pour regarder des disques qu’on ne peut s’acheter. A son regard plissé (un truc que je n’ai jamais réussi à reproduire, je ne suis pas très fort en imitations) et son sourire en coin (ça c’est plus facile), il y a baleine sous gravier. Mon sens inné du danger flaire immédiatement la mauvaise idée. Il ne veut pas qu’on se contente de les regarder, il suggère qu’on les « emprunte ».

Mais voler c’est mal non ?

Je le sais mais à douze ans, on veut paraître grand et fort et puis il y a cette compétition entre nous, hors de question que je décline (je crois que deux jeunes sur le point de faire une connerie ont encore les mêmes mauvaises raisons aujourd’hui, certaines choses changent, d’autres pas). Non seulement j’accepte mais je surenchéris (très fort Raoul) : quitte à piquer des disques, autant le faire vraiment; on en prend dix chacun.

La réponse produit son effet, il hésite, balbutie un truc puis finalement opine du chef (et là le chef c’est moi). Nous entrons donc dans le Monop’, motivés comme des Ministres d’Etat venant d’être nommés et rusés comme ces mêmes Ministres deux ans après. D’un pas alerte mais nonchalant aussi (il ne faut pas éveiller les soupçons dans les yeux vitreux des gardiens), nous obliquons vers la droite à travers le rayon parfumerie (tiens, ça sent bon), direction les disques. Arrivés devant cet étalage de pierres précieuses aux pochettes colorées, voire bariolées même, nous contemplons notre futur butin.

Chacun sait qu’une opération de cette envergure nécessite dextérité et rapidité (et un nom mais on a manqué de temps dans la préparation). Chacun s’affaire donc à constituer sa pile de dix en évitant de faire des doublons dans la précipitation, un regard à droite, un regard à gauche, un derrière pour plus de certitude et le tout est élégamment fourré dans nos pantalon, devant, pull rabattu dessus. L’affaire est entendue, ça nous aura pris quelques minutes. Le regard entendu, nous prenons chacun une voie différente afin de sortir du magasin par des sorties opposées (rusés qu’on était).

Tout sourire à l’idée de cette bonne musique que je vais écouter en rentrant, j’emprunte l’allée textile femme, chaussettes puis sous-vêtements (sans y prêter attention, je suis un grand maintenant, je pique des trucs), le tout d’un pas étonnement décontracté. Je vois le gardien arriver en face de moi mais sais aussi que son oeil vitreux ne peut avoir décrypté une opération si bien exécutée et qu’il est donc là par hasard. Il me croise et me bouscule, très légèrement. C’est bien ce que je pensais, son regard vitreux provient de l’excès de boisson, il est bourré le gars et en plus, sans le savoir, sa main a tapé pile à l’endroit où j’ai dissimulé mon larcin. Je souris, moqueur, me disant que s’il avait été moins bourré, il aurait sans doute senti les disques.

A peine quelques secondes s’écoulent avant que je sente sa main m’attraper le bras, entende sa voix m’inviter à le suivre et vois son sourire s’afficher. Le mien a disparu au milieu de la phrase.

Le gardien me fait sortir du magasin par un couloir, monter quelques marches, entrer dans un bureau et assoir, à côté de Fernand qui transpire déjà à grosses gouttes. Incrédule face à la qualité professionelle des deux gardiens, je ressens comme un grande vide, une peur irrépressible de la suite mélangée à l’incompréhension. Comment ont-ils su. Que va -t-il advenir de moi (dans ces cas là, l’amitié connait certaines limites et j’avoue ne pas trop me préoccuper du sort de mon pote). Je regarde Fernand et n’y vois rien. Enfin si, je le vois lui mais je ne vois plus ses yeux qui semblent s’être absentés momentanément derrière un torrent de larmes.

A suivre …


Retour à La Une de Logo Paperblog