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"Ángeles" de Reynald Freudiger

Publié le 31 janvier 2012 par Francisrichard @francisrichard

Dans Ángeles, avec un accent sur le A, s'il vous plaît, publié aux éditions de L'Aire ici, Reynald Freudiger propose au lecteur douze récits, y compris la préface qu'il a lui-même rédigée. On n'est jamais si bien servi que par soi-même...

S'agit-il de récits comme le sous-titre le laisse entendre ? Ou de nouvelles ? Ce serait plutôt des contes, parce que le ton des narrateurs et narratrices, à qui l'auteur prête sa plume, est bien celui de conteurs.

Dans la préface l'auteur nous avertit qu'il convient de lire chacun des récits d'une seule traite. Il a raison. Il faut bien lire chacun d'eux d'une seule haleine.

D'abord parce qu'il n'y a pas de paragraphes pour se reposer et prendre ses marques. Ensuite parce que chaque histoire a son rythme par lequel il est nécessaire de se laisser entraîner pour en goûter la saveur. Enfin parce que, sinon, on oublierait le fil de l'intrigue, tellement ils sont denses et requièrent d'attention.  

Reynald Freudiger propose de lire un récit à l'aller, un récit au retour, au cours d'un trajet quotidien dans les transports publics. Comme le compte des cinq jours de la semaine n'est pas suffisant, il s'en tire en disant que la préface ne compte pas et que le dernier conte est la cerise sur le gâteau...

Il ne m'en voudra pas de ne pas avoir suivi son conseil. Je me rends à pied au bureau et je viens de passer ma soirée à lire son livre, sans en décoller et sans désemparer.

Anges est le dénominateur commun de ces contes. La préface n'échappe pas à cette règle puisqu'elle nous explique d'où vient le titre hispanique. Toutes les histoires se passent en Amérique latine, à l'exception d'une seule qui se passe en Suisse, avec en arrière-plan la Colombie.

Les personnages sont divers. Leur choix en dit long sur les préoccupations de leur créateur : une faiseuse d'anges, qui est un terme bien aimable pour désigner une avorteuse paradoxalement mystique, un serveur bolivien sans-papiers en Argentine, qui se fait expulser, une horrible nounou, violeuse du temps de la dictature, qui fait de nouveau des siennes etc.

Il n'est donc pas surprenant de lire dans un de ces contes un éloge de Cuba :

"En Suisse on dit que le communisme cubain, comme tous les communismes, c'est raté, que c'est mal, que Castro est un affreux bonhomme, un dictateur, et que son frère pareil. Moi, j'ai fait Cuba. Et après avoir vu par moi-même, je dois dire que c'est bien, et que ceux qui critiquent devraient au moins faire l'effort de venir une fois. Parce c'est avant tout une île paradisiaque."

Dans un autre conte une jeune colombienne fait l'amère expérience d'une sortie de boîte organisée par la banque suisse où elle fait un stage et où les hommes ne se montrent pas moins machos que dans son pays d'origine, auxquels son père, lui-même macho, aurait aimé qu'elle échappât...

Il aurait été étonnant qu'il ne fût pas question d'usine qui contamine une source et qui est fermée grâce à des "organisations écologistes [qui] peuvent parfois se faire entendre, même sous les tropiques". Avec pour conséquence de ruiner les amours adolescentes de deux jeunes gens qui s'y sont baignés. 

Une apparition barbue a lieu à l'arrière d'un car. Les superstitieux évoquent instantanément le Christ. Un des passagers soutient mordicus qu'il s'agit de Don Quichotte, cherche à en convaincre les autres et ne veut "pas en démordre, parce c'était l'occasion rêvée de mettre la littérature au milieu du village, à la place de l'église".

Les deux derniers textes sont davantage poétiques, même s'ils relèvent de la même vision du monde, à laquelle il n'est pas nécessaire d'adhérer, au contraire, pour apprécier la façon dont elle est rendue.

Le 20 janvier 2012, Reynald Freudiger s'est vu décerner, après sélection d'un comité d'acteurs du livre, par un jury de 644 élèves ici, pour Ángeles, le prix du Roman des Romands, qui récompense la "génération nouvelle", au Théâtre Benno Besson d'Yverdon. Ce prix est tout à fait mérité puisqu'il reflète, ô combien, avec bonheur, l'air du temps...

Francis Richard


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