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Maria Fusco, Copulation mécanique

Par Eric Bonnargent
Ébrécher le réel
Éric Bonnargent

Maria Fusco, Copulation mécanique

Ron Mueck

Écrivaine et critique irlandaise, Maria Fusco est pour la première fois traduite en français par les Éditions è®e. Dans chacune des vingt nouvelles qui constituent ce recueil, l’écrivaine guette l’apparition de fissures dans l’uniformité du quotidien. Bien que ces nouvelles aient des formes, des sujets et des tailles très variées, Maria Fusco pose toujours un regard plein de tendresse sur ses personnages.
Ce sont parfois des petits riens, des non-événements qui obligent ces personnages à prendre conscience de la médiocrité de leur existence : Jackie (« Comment soulever un lièvre ») passe en revue sa misérable vie de trentenaire en nettoyant les flaques de vomi dont Mark, son compagnon ivre-mort, a maculé la salle de bain ; une femme profite d’une insomnie (« Écume ») pour se laisser submerger par ses souvenirs en contemplant le sommeil paisible de son mari ; une jeune fille de treize ans échappe à la grisaille des banlieues défavorisées de Manchester grâce à une mystérieuse grossesse (« Ce Paradis »), etc.
Dans des nouvelles que l’on pourrait qualifier d’impressionnistes, Maria Fusco montre que si on lui prête un peu attention, le quotidien n’est pas si ordinaire que cela. Il suffit d’avoir la tête coincée dans un vieil appareil ophtalmologique (« Comment perdre de vue les étoiles ») pour réveiller nos angoisses ou voir la pluie tomber sur les vitres d’un taxi londonien (« Crachin ») pour se laisser aller à la méditation. Les objets usuels peuvent aussi provoquer des comportements inattendus, notamment ces poubelles auxquelles le promeneur ne prête plus attention. Dans « 1982, attraction morbide », Maria Fusco raconte l’étrange manie d’un homme qui passe ses journées à fouiller et à trier toutes les poubelles qu’il rencontre sur son chemin et cela au point de lire tous les journaux souillés et les fragments de lettres qu’il peut parfois y trouver. Aucune poubelle n’échappe à sa curiosité ; en laisser une de côté, ce serait « céder au favoritisme ». Les poubelles peuvent aussi déclencher des réactions d’une rare violence : « Un festin à faire peur » nous apprendra ainsi comment un homme a été dégoûté à jamais de la cuisine italienne en se baladant dans les rues de Soho. D’autres fois, ce ne sont plus les objets, mais les mots eux-mêmes qui transforment une balade bucolique en inquiétante promenade (« Death Park »).
L’étrangeté peut, à l’inverse, être admise en toute simplicité, comme c’est le cas des clients de cette boulangerie (« La tranche beurrée ») qui acceptent comme une offrande le beurre, le miel ou encore la terrine dont le fils de la maison tartine en secret quelques tranches de pains vendus par son père. L’humour loufoque est d’ailleurs présent dans de nombreuses nouvelles, que ce soit dans « Seize cours élémentaires sur l’inélasticité mécanique » qui montre deux hommes en train de dévorer un clown, dans « Copulation mécanique » qui raconte l’histoire d’amour entre Casanova et l’automate Rosalba ou encore dans « L’arroseur abattu » où l’on apprend que, même pour tromper l’ennui, il ne faut jamais braquer une banque avec un révolver en plastique…
Avec Copulation mécanique, le lecteur découvrira une écrivaine aux multiples ressources et au talent indéniable. L’art de la nouvelle est un art exigeant et Maria Fusco est une virtuose.
Article paru dans Le Magazine des Livres, novembre/décembre 2011.
Maria Fusco, Copulation mécanique

Maria Fusco, Copulation mécanique. Traduit de l’anglais (Irlande) par Maxime Berrée et Émilis Notéris. Éditions è®e. 13 €

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