Magazine Culture

Témoignage d’un demandeur d’asile

Par Alaindependant

La  demande d’asile, une  vie en suspens   
   J’ai quitté  mon pays, pour des raisons de sécurité. J’ai rejoint un Centre d’Accueil totalement isolé, quand cela est devenu une nécessité. C’est là que j’ai dû attendre la réponse à ma demande d’asile. Des années durant.
Rétrospective et vue d’ensemble :
   Bien que sachant  ce qu’est la vie dans un Centre d’Accueil,  j’étais par contre loin de m’imaginer ce que j’allais y trouver et encore moins que j’allais y passer autant de temps, loin de la vraie vie, en dehors de la société.
   Les problèmes de santé s’accumulant au fil du temps, ce fut une lutte pour la survie de tous les instants, au centre de laquelle trônait le restaurant, tel un lieu de culte trois fois quotidien : aller manger est la seule activité continue de la plupart des résidents. Il suffit de quelques mois sur les lieux pour prendre du poids.
   Je n’ai pu ni aller dans un autre Centre, ni me rapprocher d’une ville universitaire, plus tard. En général, la tactique courante des résidents pour obtenir un transfert est de récidiver dans le délit. D’autres préfèrent y rester  car ils reçoivent des soins qui nécessitent un suivi hospitalier. Quand la maison sociale est finalement arrivée,  j’étais pour ma part trop malade pour me prendre en charge. J’y ai donc renoncé.
   Et quand bien même  les occupations trouvées ou improvisées s’étaient voulues un exutoire et ont vu les minutes et les heures se volatiliser, cela ne change rien à la réalité. Le temps qui coule inexorablement se rappelle à vous, impitoyablement.
D’autant plus que des drames proches ou ceux plus lointains provenant de votre région, de votre contrée ou quartier, ou d’autres parties du monde, secouent les terres et les hommes, au quotidien et dans la durée. Que dans ce trou hors de la vie, des hommes et des visages de tous les horizons défilent à un rythme tel qu’il est rare que votre mémoire en garde une trace ou un signe aussi infimes soient-ils. Et que par-dessus tout, votre santé qui décline jour après jour vous tarabuste et vous rappelle à bon ordre, alors que vous pouvez si peu faire.
   N’était-ce la touche d’humanité sciemment voulue par ces membres du personnel qui font leur travail avec chaleur – pour ne pas parler de ceux qui portent leur hostilité à fleur de peau - malgré les moyens très limités dont ils disposent, un tel milieu  serait vraiment un monde de la folie ou de la perdition.
   Comment survivre en effet dans l’attente et à l’attente, dans les conditions de vie d’un Centre plus proche d’une prison que d’un lieu de vie et garder la raison ?  A tourner en rond, d’un Centre à un autre, ou dans le même, des gens sont devenus fous ou presque...


Etat des lieux d’un Centre :
   Les conditions de vie qui se surajoutent à la détresse qui a motivé le départ et le refuge dans un territoire inconnu,  ont une part déterminante dans la perdition ci-dessus évoquée. Un tour succinct des lieux peut expliquer bien des choses.   
     Le  numéro… : Dans un Centre vous êtes un numéro. Malgré les trésors d’attention déployés par le personnel  pour appeler chacun par son nom, vous êtes le numéro tel...  Ce sera votre dénominateur dans le Centre.
   La chambre : A l’arrivée, on vous donne votre literie et on vous assigne une chambre. Ceux qui viennent en  famille sont  regroupés dans une chambre commune. Les personnes isolées, sont affectées dans des chambres collectives. De dimensions variées, ces dernières  peuvent contenir jusqu’à 12 personnes et plus. On commence généralement par affecter les arrivants dans les grandes chambres, puis selon leur place dans la liste d’attente, on les affecte dans des plus petites quand des places se libèrent.
   Les chambres à deux sont les plus convoitées, c’est une forme de luxe, recherché par tous. Comme il n’y a qu’un petit bloc qui dispose de chambres à deux, elles sont réservées aux cas extrêmes. Si l’on est sur la liste, il fait attendre son tour.
   Il est clair qu’en dehors de la chambre, le reste des commodités est commun. Cette promiscuité est un calvaire quotidien pour ceux dont la culture d’origine, les habitudes ou l’éthique privilégient une certaine  intimité et une conception particulière du respect de soi.
    La restauration : Les résidents ont droit au petit déjeuner et à 2 repas, par jour dans le restaurant du Centre. Dans mon Centre, c’est le système du self- service qui est pratiqué. Le résident choisit parmi les variétés du jour,  ce qui lui sied. Dans ce Centre, fait exceptionnel, les repas  sont chauds. Les végétariens et les malades soumis à des restrictions ne sont pas en reste. Les végétaliens et les personnes qui ont des sensibilités par contre, peuvent toujours attendre. Il n’ya rien pour eux.
   Les résidents musulmans d’origine asiatique sont ceux qui insistent le plus à propos du Halal. Taraudés par la faim, ils ravalent leur inquiétude et se font une raison.  
   On sert des frites deux fois la semaine. L’ambiance est alors à la fête, bien que les rations soient insuffisantes. Une poignée parfois. Cela n’est pas un problème pour ceux qui mangent peu, mais les autres ? Ils doivent attendre le second tour, et encore…
   Les gens peuvent aussi réserver une place à la cuisine des résidents et combiner à celle du restaurant, leur cuisine du terroir.
   Au restaurant, il y’a du thé et du café, à volonté.
     En général, on jette beaucoup de nourriture dans le Centre. Des plats pleins atterrissent à la poubelle, et du pain. Car la nourriture est aussi insipide qu’indigeste et les quantités astronomiques.  Les résidents n’ont pas le reflexe de ne prendre que ce qu’ils peuvent manger... Par inconscience, machinalement ou par rage. Ou parce qu’ ils ne peuvent avaler, malgré l’envie. Aussi parce qu’ils ont peur d’être mal jugés, puisqu’ils pensent devoir s’adapter à tout prix !
   Il existe des centres où les résidents  préparent à manger, en achetant dans le magasin du Centre, ce qui leur convient. Et des Centres où parait-il on ne sert que des repas froids.   
    L’habillement : La vesti-boutique sert à fournir de l’habillement. Les résidents peuvent y aller périodiquement dans des délais fixes.  Ceux qui ont la chance d’être inscrits à l’heure de l’ouverture peuvent, s’ils savent fouiner tomber sur de bonnes choses, à porter comme ils disent dans l’enceinte du Centre. La vesti-boutique est  une aubaine pour certains  qui constituent  des stocks qu’ils revendent à l’extérieur ou envoient dans leur pays.
   Les vêtements peuvent être remisés dans l’atelier de couture.  Mais parce que  les responsables  sont débordées, il faut savoir attendre. Les plus malins arrivent à leur fin sur le champ,   les autres auront à patienter longtemps.
    Les déplacements : Quand on réside dans un  Centre isolé on ne peut aller en ville à 15 KM, qu’en s’inscrivant la veille à la navette, pour l’aller et retour, car on pourrait ne pas trouver de place, si on ne le fait pas assez tôt. Les navettes de la matinée étant exclusivement réservées aux déplacements médicaux et autres démarches en rapport avec la procédure, on ne peut les prendre qu’en cas de chance, soit si une place est disponible.
   On  va en ville  pour faire des petits achats dans les grandes surfaces. Si on rate  le retour,  il  faudra attendre la navette de  20h 30 ou celle d’après , dans une autre gare. Car à la campagne, le transport commun est rare,  il n’y a plus de bus après  17 h30.
   On a  droit à un ticket de train et de bus ou de tram  pour aller aux rendez-vous officiels ayant trait à la procédure. Une fois qu’on a consommé son lot, on ne  plus en avoir . Pour le résident du Centre, le prix d’un ticket aller-retour jusqu’à Bruxelles, équivaut à  2 fois ce qu’il pourrait gagner en une semaine de travail communautaire, plus l’argent de poche. Les résidents se débrouillent  alors pour avoir des tickets à prix réduits. Mais c’est tout de même trop cher.
   Les activités communautaires : Le grand souci d’un résident qui ne veut pas ou ne peut recevoir d’argent de l’extérieur, c’est de trouver des  ressources. C’est pourquoi, il y’a souvent des frictions et des frustrations relatives à la distribution des activités à caractère communautaire, auxquelles il ouvre droit toutes les deux ou trois semaines. Les tarifs sont symboliques, mais ce sont les seules activités payantes.
   La demande étant forte, la distribution des activités d’intérêt collectif se fait par roulement, et quand il y a des tâches supplémentaires ou des défections, par tombola. Ce pécule sert généralement à satisfaire les petites envies relatives à la restauration et à l’habillement.
    Les activités à caractère culturel : Pour l’animation, le Centre propose des activités hebdomadaires internes ou externes : piscine, gym, bricolage, randonnées, match de foot ou à des cours de langue… Le cinéma est le loisir préféré des résidents. Des disputes éclatent souvent au moment  du départ, tant la demande est forte et les moyens de transport  limités…Si la programmation est maintenue, une navette de sept places lui est réservée.  
   Les enfants et mineurs doivent obligatoirement aller à l’école à l’extérieur. Quoiqu’il ne soit pas aisé de trouver des places dans les écoles, ni de convaincre tous les mineurs et parents de l’importance du suivi. Les adultes peuvent s’ils le désirent suivre des formations à l’extérieur : français, informatique, généralement. Le Centre donne également la possibilité de s’inscrire à des cours de langue à distance.
   Pour mettre de l’ambiance, il y’a quelque deux fois l’an des soirées dansantes, les résidents s’y défoulent. On fête Halloween et à l’occasion, on donne un repas du monde. On y organise aussi des rares occasions d’échange et de rencontre avec l’extérieur .
   Du stress et des dérives : Ce n’est donc pas le vide, mais sur le long de l’année, c’est si peu. Mais surtout, le stress est tel que le résident passe à côté de ces rares  occasions de détente et d’acclimatation. Il en est qui en cinq ans de résidence dans un Centre,  ne se sont inscrits ni en cours de langue, ni suivi une formation. C’est dire le marasme !
   Car quand bien même il se forcerait, le résident d’un Centre  est ailleurs : sa vie est entre parenthèse et son avenir lui échappe. Il attend. Dans l’incertitude. Il attend. Quand bien même il le voudrait, il lui est si difficile d’apprendre. Car si à  l’arrivé il était déséquilibré, il  l’est  d’avantage au Centre.
   Dans ces conditions, l’alcool et la drogue peuvent devenir un refuge, c’est d’autant plus facile qu’il peut s’en procurer, puisqu’il y’a des receleurs sur place. Le manque de ressources ou l’appât du gain, ouvrent la voie à un autre commerce informel, encore plus dégradant.
   Dans ces conditions,  il est difficile de tenir le cap et de ne pas devenir  un grand malade. Parfois en un rien de temps.
   La santé : On vient au Centre pour des raisons politiques, mais également  pour des raisons de santé, entre autres. Certains y arrivent malades et huit mois plus tard, ils sont toujours au même stade. D’autres sont pris au sérieux parce que leur maladie est évidente, ou qu’ils font la comédie du grand malade. Mais toujours, les délais de prise en charge s’allongent et rendent la situation encore moins vivable.
   Pour pallier au rejet de leur demande politique, beaucoup essaient de constituer un dossier en vue d’obtenir une régularisation médicale sur la base de  leurs soucis de santé. Et se demandent à quel saint se vouer quand le scanner dément l’échographie ou que cette dernière dément le scanner.
   La violence est dans les deux camps. Le médecin qui soupçonne tout le monde, et qui banalise des cas extrêmes, sauvés in extremis par une intervention externe, et les résidents souffrants qui accusent d’être discriminés ou  laissés pour compte.
   On y voit des malades de tout genre, toutes les misères humaines sont concentrées dans ce microcosme,  hors du monde. De celui qui se fait opérer de son ongle ou d’une déformation du nez qui n’est visible que pour lui, à celui qui ne trouve pas d’écoute alors qu’il n’arrive pas à bouger. Il y’a de tout. Et des plaintes de partout.
   Il y’a aussi ceux qui ont attrapé dans le Centre des maladies lourdes : diabète, sensibilités graves, cardiopathies, suite à une Décision négative ou à cause du mode de vie démentiel, le SIDA consécutivement  à un mariage … Ceux auxquels le Centre aggrave les problèmes et ceux auxquels il donne une clef, aussi dramatique soit-elle.
   On y côtoie le paroxysme de la souffrance et de la déchéance autant que de la grandeur. Tel ce Monsieur, qui arriva dans un stade terminal, porté par l’espoir, droit et souriant alors qu’il pouvait à peine se mouvoir. Il refusa, dans une générosité paradoxale  pour quelqu’un qui a vécu la moitié de sa vie en  prison pour des raisons politiques,   d’être enterré dans le pays d’accueil  et insista pour être rapatrié. Il s’en retourna  grâce aux dons de ses compatriotes du Centre, mourir auprès de son peuple…C’est dire qu’il y’a des hommes qui ne savent pas ce qu’est le désespoir!
   Pour résumer, on ne repart pas du Centre indemne.  Sauf à y passer un temps très limité comme ces personnes qui arrivent avec des carnets d’adresses et se faufilent au  travers des mailles. Ou arrivent bardées de documents car elles se préparèrent longtemps, à l’avance.
En dehors du Centre :


   La maison sociale tous types confondus, est prévue pour être attribuée après  un passage de huit  mois dans un Centre. Il se peut qu’elle arrive  plus tard. Les résidents d’un Centre l’attendent avec impatience, et en parlent comme d’un rêve. Ce n’est pourtant pas la vie en rose. Une fois qu’ils y sont, ils déchantent souvent. Il y’en a qui regrettent le Centre avec sa prise en charge rapprochée, les autres l’apprécient un peu ou beaucoup.
   La  réalité est qu’en maison sociale, on vivote. On y subsiste dans un simulacre de liberté qui n’en est pas une. Et pour la plupart, dans l’ennui total.
   On a bien un permis de travail qui souvent ne sert à rien : les employeurs ne peuvent recruter quelqu’un dont la situation peut changer le lendemain. Ce permis est par ailleurs annulé par une Décision négative et son renouvellement soumis à des délais. Pour qui ne rechigne pas à la besogne, ni à l’exploitation la plus crasse, le  travail au noir  peut être une chance  de ressources miraculeuses. Et quand le niveau linguistique le permet, on enchaine les formations dans l’espoir d’une solution.
   Acculés  à la rapine, ces hommes  résistent comme  ils peuvent. Certains y voient  parfois, une voie de garage  et s’y jettent à corps perdu… Comme feraient d’autres, dans des circonstances si pénibles.
   En maison sociale, le demandeur d’asile est un étranger, au milieu des autres. Très souvent, infréquentable. Sauf pour ses compatriotes. Car handicapé par les stéréotypes et la langue. Sans cela, il reste tout de même un étranger. Pour les autochtones, il est l’autre. Pour lui-même, qui se situe dans l’entre-deux, s’il n’est  plus de là-bas, il n’est pas encore d’ici.
     Ou serait-il plus juste de dire, ni tout à fait de-ci, ni tout à fait deçà. Et celui-là n’est pas un sans-papiers. Il  est encore dans la légalité. Pour un temps. Qu’il  passe à attendre. Dans l’espoir et la crainte. Une clé pour la survie dans la dignité.
   Chassé de son pays, il est venu mû par l’espoir, en quête d’une deuxième chance. Sur place, il retombe sur terre. La réalité chasse le rêve.
   Que faire pour compenser cette perte d’identité, ce déficit du respect de soi que le manque de chaleur, la défiance de l’autre et le vécu considéré comme échec sur la rive étrangère, inoculent en vous à longueur de temps, comme un virus ? Que faire pour rester dans les normes du droit et de la morale, quand  on est livré à soi-même ?
   N’est-il pas aberrant de parler d’intégration quand les règles de l’hospitalité sont bafouées à ce point ou bien celle-ci se résume t’elle à offrir un lit ou un toit, de la bouffe et les plus vitaux des soins?
   Car si quelque part, cette période sert de tremplin autant que de pause, elle laisse quand elle s’allonge des séquelles qui seront sans nul doute indélébiles.
   La question reste donc posée : est-il humain de laisser les gens attendre aussi longtemps dans les conditions d’accueil des Centres et des maisons sociales ? Est-ce vraiment rentable en termes de dépenses sociales et de qualité d’intégration des réfugiés reconnus ?
   Et de façon générale, la politique de l’immigration telle que conçue actuellement décourage t’elle les sans-papiers et les candidats à l’exil ou ne fait-elle qu’accroitre les frustrations, la colère et le repli communautaire et les débordements?
   Le fait est  que, quand on a mis les pieds dans l’engrenage, on n’a plus le choix : on a perdu trop d’énergie et de temps. C’est encore plus grave quand  on est sensé devoir retourner là où l’on se sait fichu pour de bon. Alors qu’on demande juste une clé pour la survie dans la dignité.

Djouher Khater


Retour à La Une de Logo Paperblog