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Venus noire homme blanc

Publié le 07 février 2012 par Scienceblog
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oici un film dont j’aimerais sans aucun doute qu’il soit diffusé dans les festivals « Science et Cinéma ». Un truc incroyable, qui vous laisse pantelant émotionnellement parlant, plein de questions après le film, un film coup de poing de Abdellatif Kechiche dont je peux ici vanter l’intelligence, la sensibilité : un grand réalisateur !

Le propos de Monsieur Kechiche (Avec Que Des majuscules, j’y tiens) se situe au delà d’une vision moralisatrice de l’histoire. On pourrait pourtant, en racontant l’histoire de Saartjee Baartman, femme callipyge dotée  en sus de petites lèvres génitaux inhabituellement développés, que Cuvier appelle « Tablier Hottentot », se complaire dans l’autoflagellation culturelle et dire, contre Guéant, qu’on a pas à être fier de notre civilisation : ce serait vrai, mais très insuffisant. On pourrait faire pleurer dans les chaumières sur la honte d’appartenir à la même espèce que des hommes frustres et violents qui conduisirent, voici deux siècles, une femme qu’ils prenaient pour une presqu’animale, à la déchéance et la mort. On pourrait se flageller encore un peu plus en montrant comment la science peut être aveugle et mauvaise quand elle n’a point de confiance, et patati et patata …

Seulement voilà : ce film ne se complait pas là dedans. Il décrit plutôt les rouages de la pensée collective, de la façon dont une société construit, chez les savants et chez les ignorants, chez les riches et chez les pauvres, une image collective de la négritude. Car Saartjie Baartman (ou Sawtche) est un symbole et déclaré tel : auscultée, puis découpée après sa mort, conservée dans des bocaux, moulée, et reproduit aussi fidèlement qu’on en était capable, elle représentait la négritude du début du XIXème siècle jusqu’au milieu du XXème. Et il aura fallu attendre la fin de l’Apartheid pour que le gouvernement sud-africain réclame à la France sa dépouille, puis dix ans encore pour que cette dernière accède à cette demande. Comme s’il était si difficile de se débarrasser de ces fantômes colonisateurs et culturels. L’image de Sawtche, si elle représente la négritude vue du coté occidental, définit aussi notre culture coloniale.

Les représentations de Cuvier et de St Hilaire sont des figures scientifiques qu’on peut imaginer ou exemplaires si on ne les regarde que par le prisme de l’Histoire des Sciences, ou tortionnaires si on ne les regarde que par le prisme de l’Histoire factuelle. D’un coté, le travail de collections de Cuvier qui le conduisent à énoncer les principes de l’Anatomie Comparée, je ne rentre pas dans les détails, sauf que pour comparer des organes, il faut bien les prélever … D’un autre coté, son comportement vis à vis de Saartjie Baartman, véritable pillage anatomie et mécompréhension d’une physiologie étrangère qu’il imaginait peut être si différente, ou bien, au contraire, pas si différente que cela. Mais la négresse ne pouvait qu’avoir un gros sexe, le fameux tablier hottentot. Il ne remet pas en cause les idées racistes de l’époque, mais qui le fait ? Il décrit le noir comme obéissant à une « loi cruelle qui semble avoir condamné à une éternelle infériorité les races à crâne déprimé et comprimé ».[...] A ce dernier égard, surtout, je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne ». Personne pour lui dire :« Pauvre George, c’est ton ancêtre ».

Bref, il se comporte avec Saartjie Baartman comme un biologiste aujourd’hui avec l’ADN, ne remettant en cause ni sa forme ni sa fonction. Le crime est qu’il ait été aussi peu humain face à une humaine, et qu’en tant qu’élite, et donc justifiant les pires actes de ses pairs, il se soit tant trompé. Même s’il rappelle dans ses écrits que cette patiente si particulière peut parler trois langues, l’anglais, l’africaner, des rudiments de français, montrent combien il faut nuancer notre perception positiviste, ou négativiste. Complètement intégré dans une société raciste, que peut-il faire, homme comme un autre dans un milieu des plus conservateurs ?

Geoffrey St Hilaire en pond des du même tonneau : il demande l’autorisation officielle de « profiter de la circonstance offerte par la présence à Paris d’une femme bochimane pour donner avec plus de précision qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour, les caractères distinctifs de cette race curieuse. » Son rapport devant le Museum d’Histoire Naturelle fait état d’un visage (celui de Saartjie Baartman) ressemblant à celui d’un orang-outang, et de fesses semblables à celles des femelles des singes mandrills. Délicatesse, quand tu nous tiens … Mais Geoffrey St Hilaire n’est pas non plus le pire des imbéciles, je ne vais pas le traiter en victime de son époque, mais quand même, il est conservateur à souhait, sinon il n’aurait jamais pu en esprit éclairé et libre au début du XIXème siècle être directeur du Museum d’Histoire Naturelle. Alors oui, le sort historique de ces deux personnages illustres pourrait être aussi convaincant que celui de nombreux directeurs d’instituts d’aujourd’hui.

En montrant sèchement ces personnages, Abdellatif Kechiche s’éloigne de la victimisation de la venus hottenttote ou de la diabolisation des chercheurs. Il fait état une époque qui a construit notre civilisation occidentale post-coloniale. Il est relativiste : il n’y a pas des bons et des méchants, même si quelques personnages, pour le relief, sont pires que d’autres. Il n’y a pas de civilisation pire que d’autre, il indique justement que la possibilité d’une classification des civilisations induit ce genre de situation.

Pour rappel, alors que j’écris ces lignes, Claude Guéant, actuel Ministre de la république, nous dit que certaines civilisations sont inférieures à d’autres. Et que le relativisme de gauche a tort. Le relativisme, c’est aussi se souvenir de l’Histoire, l’accepter, et devenir un peu moins imbécile. Comprendre notre histoire comme un fait, comme un élément de réflexion.

Le corps de Saartjie Baartman a été restitué rendu à l’Afrique du Sud en 2002, suite à un rapport publié par l’Assemblée Nationale, puis une proposition de loi. Ca n’efface rien, peut être pour les sud-africains, mais hélas rien pour moi. Les traces de la pensée coloniale sont toujours visibles aujourd’hui, dans notre société : algériens, marocains et africains sont désormais des étrangers, Caraïbéens, Guyanais, Réunionais, Kanaks, et j’en oublie restent peu ou prou des sous-français dans l’esprit d’une majorité de métropolitains. C’est notre civilisation, qui s’est construite sur la notion de domination et de supériorité : il n’y a pas lieu d’en être fier …


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