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La chute de la maison Usher (et autres faillites du système scolaire)

Par Borokoff

A propos de Detachment de Tony Kaye 3.5 out of 5 stars

Adrien Brody - Detachment de Tony Kaye - Borokoff / Blog de critique cinéma

Adrien Brody

Aux États-Unis, Henry Barthes (et pas Roland) mène une vie austère et solitaire. Professeur remplaçant et trentenaire, il reste fidèle à une doctrine qui lui a permis de ne pas craquer dans tous les collèges difficiles où il est passé : le détachement. Mais alors qu’il vient d’être nommé dans un collège « ghetto » de la banlieue new-yorkaise, sa théorie de la distance avec les élèves et de l’autoprotection éprouve de plus en plus ses limites et se fissure…

Voilà une vraie bonne surprise dans le spectacle parfois formaté des sorties de la semaine. A plus d’un titre, Detachment est un film original et qui sort du lot, à la fois film d’auteur, manifeste esthétique et hommage à des cinéastes comme Jarmusch (Stranger than Paradise, 1983) ou Cassavetes qu’il cite en s’inspirant du côté charnel de Faces (1968) par exemple.

Detachment s’ouvre sur une citation de Camus : « Jamais je n’ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde » qui pourrait être la ligne de conduite et une attitude convaincantes d’Henry Barthes (Adrien Brody, enfin de retour dans un vrai rôle) pour se protéger si elles ne confinaient pas à la pose et au mutisme.

Dans un montage qui mêle habilement séquences animées (dessins de Tony Kaye lui-même), souvenirs traumatisants en Super 8 de l’enfance d’Henry avec sa mère et son grand-père et interviews face à la caméra (à la façon d’un documentaire) de Barthes qui confie ses pensées et son sentiment sur l’échec du système scolaire (américain ou pas), Detachment décrit un professeur d’anglais érudit, vêtu très élégamment mais qui mène un existence triste, solitaire voire mélancolique.

Adrien Brody - Detachment de Tony Kaye - Borokoff / Blog de critique cinéma

Déjà dans son enfance, Barthes était un petit garçon silencieux et introverti, réservé et secret jusqu’à l’âge de 7 ans, où le suicide de sa mère provoqua sans doute son repli définitif sur lui-même. D’autant que Barthes a l’intime conviction que sa mère a été violée par son grand-père.

La rencontre de Barthes avec une très jeune femme qui se prostitue et qu’il va héberger constitue l’élément déclencheur de sa remise en question et de son ouverture sur les autres. Barthes a besoin de parler, de se confier à quelqu’un. Il vit trop seul. Il a gardé trop de souvenirs sur la conscience pour ne pas péter un jour un plomb, d’autant que ses élèves lui mènent la vie dure pour ne pas dire une existence infernale.

Pour suivre l’évolution de ce personnage dans ce collège où tout part à vau-l’eau, où les élèves, pour la plupart en échec scolaire, insultent continuellement les professeurs jusqu’à leur cracher dessus, Kaye opte pour une mise au point de sa caméra approximative, volontairement imprécise (zoom/dézoom).

Sa caméra tremble, nerveuse, renvoyant bien au chaos et à cette impression de brume, de flou artistique qui règne dans ce collège autant que dans la propre existence de Barthes.

Detachment de Tony Kaye - Borokoff / Blog de critique cinéma

Le cinéma du réalisateur d’American History X est un cinéma physique, qui aime les gros plans sur les visages, cherchant à y capter la moindre émotion, à y scruter la moindre faille, le moindre doute.

Barthes aimerait avoir l’humour et le sens de l’(auto)dérision de son collègue Charles (superbe James Caan) mais il n’arrive pas à rire de la situation ni de lui-même, engoncé dans son costume trois pièces trop serré.

Barthes est habité par la grâce et une sorte de compassion qui frise un mysticisme à la Abel Ferrara (Bad Lieutenant), les péchés d’Harvey Keitel en moins. Barthes ne supporte pas que cette fille vive dans la rue et se fasse violer comme il ne supporte que l’on ne s’occupe pas mieux de son grand-père en maison de retraite.

C’est finalement son attachement affectif (en même temps que sa difficulté à avoir tout contact physique) avec une jeune collégienne, artiste mal dans sa peau, qui provoquera son implosion, mais une implosion saine et salvatrice pour lui.

Barthes est-il un grand sentimental ? Peu importe. C’est surtout un professeur dubitatif et impuissant qui constate les failles béantes d’un système scolaire qui conduit au néant (citation de Poe et de sa nouvelle fantastique La chute de la Maison Usher, pas le chanteur). Quant à la morale du film, elle est ambigüe. Au début de Detachment, on assiste à une série de mini-interviews en noir et blanc de professeurs qui disent être entrés un peu par hasard dans l’Éducation Nationale (ou l’équivalent) avant de constater qu’ils y étaient restés malgré eux.

Que faut-il en penser ? Que l’échec scolaire est d’abord celui des professeurs ou dû au manque de moyens mis dans l’Éducation Nationale ? La question reste ouverte. Comme un malaise en suspens…

http://www.youtube.com/watch?v=baY_IHefWhI

Film américain de Tony Kaye avec Adrian Brody, Marcia Gay Harden, James Caan (01 h 37.)

Scénario de Carl Lund : 4 out of 5 stars

Mise en scène : 3.5 out of 5 stars

Acteurs : 3.5 out of 5 stars

Dialogues : 3 out of 5 stars

Compositons par The Newton Brothers : 3.5 out of 5 stars


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