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Une vie de sans-papier, par Djouher Khater

Par Alaindependant

   Dans la société, le sans-papiers est un étranger au milieu des autres. Très souvent, infréquentable. Sauf pour ses compatriotes. Car handicapé par les stéréotypes et la langue. S’il est l’autre pour les autochtones, pour lui-même qui se situe dans l’entre-deux, il n’est plus tout à fait de là-bas, et non plus d’ici. Dans l’attente d’une régularisation,  il vit …Dans le noir d’une vie suspendue. Il attend, les jours passants, une clé pour la survie dans la dignité.
   Chassé de son pays par la misère ou l’insécurité, il a bourlingué sur la portion de terre où il a échoué avec pour seule arme l’espoir. Pour survivre, il a tout fait. Il a travaillé là où il a pu sans rechigner, répondant toujours présent au boulot le plus ingrat et en a redemandé. Dans le froid comme dans la nuit noire. Il a travaillé pour un salaire qui ne suffisait jamais. Il devait survivre, il a trimé.
   Malgré la défiance, malgré le mépris, il s’est mêlé de cœur à ceux qui l’ont accueilli ; il a partagé leur sel (c’est à dire, mangé avec eux, ce qui dans sa culture est un gage de fraternité) il a parlé leurs langues, il a aimé leurs cuisines et apprécié leurs cultures. C’était si difficile, mais il lui fallait s’intégrer. Malgré tout, il est resté un étranger, un homme sans identité sur cette terre étrangère où depuis si longtemps, il a échoué. Aux yeux des autres et au fond de lui. Et s’il souffre de sa condition, il souffre de séparation.
   C’est que pour lui, comme pour la grande majorité des hommes, c’est dans son pays, dans son climat et sa culture, parmi les siens, que l’on s’épanouit. Un peu ou beaucoup. Peu importe. Mais il a dû regarder ailleurs et  dans un dernier sursaut,  s’arrachant à ce qui le retenait, il a pris le large sans tourner le dos, car dans sa terre natale, il se mourait.
   Et voilà que le fruit de la séparation est une désagrégation qui l’a conduit dans le mur ; son cauchemar a été si long, qu’il ne se souvient plus du temps. Livré à lui-même, il ne s’en est pas sorti, mais il a rigoureusement respecté les normes de la morale et du droit de ces lieux-ci. Par respect pour lui-même, malgré l’image renversée que lui renvoi  le miroir résolu à l’humilier. Et par respect pour ce pays où il quête à ce jour une miette de dignité.
   Cette terre ne lui est pourtant pas inconnue. Des gens de son patelin y ont poussé racine. Des hommes de son pays lui ont donné leurs bras. Ses frères de tous les coins du monde lui ont donné leur vie. Si riche qu’elle soit aujourd’hui de la mosaïque qu’elle est, cette ruche vibrante de vie est forte de ce sang neuf qui fut il n’y a pas si loin, injecté dans son corps par les étrangers. Se peut-il qu’elle l’ait à ce point oublié ? Nous dirions alors qu’elle se renie.
     Mais alors, quand bien même ces hommes seraient des illégaux, les règles de l’hospitalité permettent-elles à un pays de chasser des hommes qui ont vécu si longtemps, à l’intérieur de ses frontières et parmi son peuple sans en être, de surcroit correctement ?
   Est-ce honorable pour un pays de lâcher des hommes qu’il a confinés dans ses marges, après avoir pris leur jeunesse et la sève vivifiante de la vie ?  
   Et de façon générale, la politique de l’immigration telle que conçue actuellement décourage t’elle les sans-papiers et les candidats à l’exil ou ne fait-elle qu’accroitre les frustrations, la colère, le repli communautaire et les débordements?
   Le fait est que, quand on a mis les pieds dans l’engrenage, on n’a plus le choix : on a perdu trop d’énergie et de temps. C’est encore plus grave quand on est sensé devoir retourner là où l’on se sait fichu pour de bon. Alors qu’on demande juste une clé pour la survie dans la dignité.
   Toutefois, si l’on veut ériger des barrières pour se protéger de  l’autre, ne faut-il pas d’abord,faire en sorte qu’il ne se retrouve étranglé sur la terre de ses aïeux au point que  l’exil devienne à ses yeux, la seule issue? Sinon, nulle barrière ne suffirait.
   Les hommes, certes, aiment voyager, rencontrer leur semblables, découvrir d’autres contrées. Nul ne peut le nier. Mais ils aiment  pour la plupart vivre dans leur climat, dans leur culture et parmi  les leurs, ils n’émigrent que forcés. C’est le cas des sans-papiers. Est-ce humain de les chasser, après les avoir tolérés ?
 
   Djouher Khater   


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